Le gouvernement répond favorablement aux enseignants
25 000 contractuels prochainement régularisés
Par Nordine Benkhodja, Le Jeune Indépendant, 6 février 2002
Après un sit-in de deux jours devant le palais du Gouvernement, les enseignants contractuels exclus ont enfin obtenu gain de cause. Le chef du gouvernement, M. Ali Benflis, a favorablement répondu, par le biais de son cabinet, aux revendications de la Commission nationale des enseignants contractuels. Selon les membres du bureau de la commission, 25 000 contractuels seront prochainement régularisés.
Les dernières heures de lattente ont été, lundi soir, éprouvantes. A 19 heures, la situation ne laissait présager aucune issue, alors que quelques heures auparavant, une délégation venait de sortir bredouille du palais du Gouvernement. M. Benflis aurait été, selon les responsables de son cabinet, occupé avec une délégation étrangère. Sur place, la colère des manifestants se faisait de plus en plus sentir. A 19h30, trois personnes dont une enseignante de Relizane seffondrent dépuisement. Une ambulance de la Protection civile transportera les malheureux vers lhôpital Mustapha, alors que la tension monte dun cran.
«Nous sommes décidés à aller jusquau bout. Croyez-moi, nous ne quitterons pas cet endroit avant davoir obtenu gain de cause. Dès demain, nous entamerons une grève de la faim», nous a déclaré un responsable de la commission. A ce moment-là, les chances dun dénouement étaient effectivement minces. Pendant ce temps, des jeunes des rues avoisinantes, solidaires avec les manifestants, leur avaient apporté de la nourriture et du café. Un geste très apprécié par les manifestants. A 19h50, la commission, sollicitée par des responsables du gouvernement, envoie de nouveau une délégation de sept personnes pour négocier ses revendications. Après deux heures dattente, les émissaires de la commission reviennent et annoncent une importante déclaration. A 22 heures, un porte-parole de la délégation annonce la fin de la crise. M. Omar Ghenaï, un des sept émissaires de la commission et enseignant contractuel de la wilaya de Bouira, explique : «Au cours dune réunion avec le chef de cabinet de M. Benflis, le secrétaire général du ministère de lEducation, le directeur des contractuels du même ministère et un délégué du ministère des Finances, nous avons posé le problème de notre devenir en tant quenseignants, et de nos revendications de réintégration et de reconnaissance. Les représentants du gouvernement nous ont annoncé la régularisation définitive de notre situation dans un délai qui ne dépasserait pas un mois. Nous avons fixé un délai : le 10 mars prochain.»
Notre interlocuteur ajoutera quil a également été décidé que 2 209 enseignants contractuels seront convertis en adjoints
déducation, alors que 3 833 contractuels (principalement des agents dadministration) exclus réintégreront leurs postes. Lannonce a été accueillie par des applaudissements et une satisfaction générale. M. Ghenaï nous dira quil est satisfait de cet aboutissement en attendant de le voir se concrétiser. Ces décisions paraîtront dans le Journal officiel, nous dira encore M. Ghenaï. Les enseignants se sont dispersés en chantant lhymne national et en ayant lintime conviction quune victoire a été remportée. Hier, un rapport de la commission, transmis à notre rédaction, expliquait quaprès un long dialogue sur les éventuelles issues à la problématique et la position juridique de celle-ci, les responsables de la commission ont affirmé quun suivi de ces décisions savère nécessaire avec les différentes directions de léducation. Par ailleurs, le rapport explique que la régularisation définitive de la question se fera après quune commission du gouvernement eut défini la formule juridique de ces accords. Ce qui se fera incessamment, selon le rapport. N. B.
Des écoles au cur de la terreur
Dix ans durant, le secteur de léducation a été plus que jamais au centre de la barbarie terroriste. Ce sont des centaines, voire des milliers décoles qui ont payé le lourd tribut. Ces écoles perdues dans les maquis de Zbarbar, à Chlef ou dans des villages éloignés à Relizane ne devaient leur existence quau courage de certains enseignants aujourdhui mis à la porte. Ce sont ces mêmes enseignants contractuels qui voulaient crier leur colère au chef du gouvernement et lui raconter ces années de braises vécues dans loubli et lindifférence.
Certains dentre eux ont tenu à témoigner à la presse de ce quils avaient vécu pour que leur drame sorte à tout jamais de lanonymat.
«15 camions militaires et 3 BTR pour nous conduire à lécole»
Ali Bouaâza est enseignant à lécole «Hadbi-Abdelkader» dans la commune de Beni Bouaâtab à Oued Fodha (wilaya de Chlef). Agé de 31 ans, marié et père de deux enfants, lhomme raconte le calvaire que lui et ses collègues vivaient durant les années 1994, 95 et 96. «Lécole était nichée entre deux crêtes de montagnes et surplombant un oued», raconte t-il. Notre interlocuteur dira que ladite école a fermé ses portes par crainte de représailles terroristes. Lorsquelle fut rouverte en 1995, Bouaâza était le seul enseignant sur place. Cest quelque temps après que six autres enseignants contractuels le rejoindront. «Le jour de louverture de lécole et en présence du wali de Chlef, jai demandé à être titularisé. Le wali ma répondu que ça ne sera quune question de temps et que le plus important est que lécole ne fasse pas le jeu des terroristes et ne ferme pas. Depuis, plus rien», nous a t-il confié. Durant plus dune année, Bouaâza a vécu dans la peur et la terreur. Au cur du maquis infesté de terroristes, lécole était protégée par un détachement militaire. «Nous ne descendions au village quune fois tous les 15 jours, escortés de 15 camions militaires et de 3 blindés BTR. Je me souviens dun jeudi matin, au début de lannée 1996. Il pleuvait et nous devions descendre avec les militaires au village El-Karimia, à 40 kilomètres de lécole. En cours de route, une bombe artisanale a explosé au niveau dun virage au lieudit Mekarzia. Une 404 bâchée qui se trouvait juste devant nous, a été précipitée dans un ravin, son conducteur, un militaire, laissé pour mort. Le directeur de lécole Djelloul-Benali a été blessé suite au violent accrochage qui sen est suivi. Il y eut plusieurs blessés et les forces de lANP avaient riposté par des tirs de blindés», nous confie Bouaâza. Lévénement rapporté par lenseignant nest quun fragment du cauchemar quotidien quont vécu des centaines denseignants à travers le pays.
Une autre attaque similaire sétait déroulée la même année au lieudit Ain El-Barka au cur de lOuarsenis. Plusieurs bombes avaient explosé au passage dun convoi militaire accompagnat des journalistes de France 2. En 1996, Ali Bouaâza recevra son avis de licenciement. Depuis il vit dans le dénuement le plus total. Ses années denseignement là où dautres nosaient même pas aller avaient joué contre lui. «Au centre dun accrochage, les élèves pleuraient et nous, à plat ventre» Omar B. est un enseignant de 24 ans, à lécole Medjdoub-Saïd à Kadiria (Bouira). Six ans durant, Omar a enseigné dans cette école perchée dans les monts de Zbarbar. Il dira lui-même que là où il exerçait, cest beaucoup plus les denses forêts de Zbarbar que le village de Kadiria. «A une certaine période, les terroristes étaient parmi nous. Ils faisaient appliquer leurs lois macabres. Ils interdisaient lenseignement du français et nous les regardions passer quotidiennement», nous racontera Omar.
La peur, linsécurité et lincertitude étaient leur quotidien. En évoquant un triste souvenir quil a vécu, Omar nous dira : «Je me souviens dun jour où notre école était au cur dun accrochage. Les balles fusaient de partout et les élèves pleuraient. Nous, nous étions à plat ventre en train de les rassurer. Cest une journée que je noublierais pas.» Des enseignants et enseignantes qui ont vécu de tels drames et des écoles qui ont subi la terreur ne se comptent plus, tant ils sont nombreux. Lécole de Khrissia à Achaâcha (Mostaganem), lécole des Frères Rahou à Guerrouma (Lakhdaria), et bien dautres ont été le théâtre des pires exactions terroristes. Des enseignants ont été assassinés devant leurs élèves, dautres se sont vus brûler les lèvres avec des cigarettes…
Ces hommes et ces femmes se sentent abandonnés, comme si lon navait plus besoin deux. Leur colère a fini par payer, le chef du gouvernement a répondu à leurs revendications. Aujourdhui, ils rentreront chez eux sans regretter leur parcours, sauf peut-être ce sentiment de se sentir «utilisés» à un moment où dautres navaient pas eu leur courage.