Confusion en Kabylie après la reconnaissance du berbère

Confusion en Kabylie après la reconnaissance du berbère

En faisant savoir, à l’avant-veille d’une marche prévue pour vendredi 5 octobre à Alger (et interdite par les autorités, comme les précédentes), que le berbère pourrait bénéficier du statut de langue nationale, le gouvernement algérien augmente la confusion et l’exaspération en Kabylie.
TIZI OUZOU, Florence Beaugé, Le Monde, 5 octobre 2001

La coordination des arouchs, les comités de village et de quartier de Kabylie, a la très nette impression de s’être fait duper.
C’est un mouvement « pirate », concurrent du sien, qui a, semble-t-il, été reçu mercredi à Alger par le premier ministre, Ali Benflis, et s’est entendu annoncer que ses « principales revendications » étaient en passe d’obtenir satisfaction. En faisant savoir, à l’avant-veille d’une marche prévue pour vendredi 5 octobre à Alger (et interdite par les autorités, comme les précédentes), que le berbère pourrait bénéficier, après référendum, du statut de langue nationale, le gouvernement algérien a fait preuve d’un art inhabituel en matière de communication, augmentant la confusion et l’exaspération en Kabylie.

L’objectif des arouchs était en effet de rendre le tamazight langue officielle au même titre que l’arabe. Mais il n’avait jamais été question, dans l’esprit du mouvement né des émeutes du « Printemps noir », que cette revendication soit séparée des quatorze autres points de sa « plate-forme » présentée comme un tout non négociable.

Dans les rues de Tizi Ouzou, les uns dénoncent ce qu’ils estiment être une nouvelle manœuvre du pouvoir, tandis que d’autres se réjouissent spontanément de ce qu’ils considéraient comme une concession majeure. « Mes parents ne comprennent pas l’arabe, ils ne sont jamais allés à l’école, le fait que le tamazight devienne langue nationale leur permettra peut-être de ne plus se sentir étrangers chez eux », soulignait ainsi un enseignant. « Nous sommes furieux du procédé utilisé, qui ne trompe personne », martelait de son côté le porte-parole de la coordination communale de Tizi Ouzou, stigmatisant « ce pouvoir qui tente de monter une partie de la population contre l’autre et brouille les pistes en favorisant des structures parallèles », faisant allusion à un nouveau conseil communal qui pourrait être l’interlocuteur du gouvernement.
Se voulant pur et dur, en dehors des partis politiques, le mouvement des arouchs risque d’être tôt ou tard victime de son intransigeance. Il refuse le premier ministre Ali Benflis comme interlocuteur, ainsi que l’a proposé la présidence de la République il y a quelques jours, et exige à la place Abdelaziz Bouteflika en personne.

UNE POPULATION DIVISÉE

La situation se dégrade sur le terrain. Voilà des mois que la Kabylie est laissée à elle-même, dans une sorte d’autogestion chaotique, propice à tous les dérapages. Si les autonomistes semblent n’être qu’une infime minorité, la déliquescence actuelle pourrait, à terme, leur profiter. Il n’y a plus aucun signe d’autorité à Tizi Ouzou. Les gendarmes sont barricadés dans leurs casernes. S’ils s’aventurent dehors, ils risquent de se faire lyncher. Chaque nuit, des convois venus d’Alger sont contraints de leur apporter des ravitaillements.

Les actes de vandalisme se multiplient, tandis que le mot d’ordre de désobéissance civile lancé par les arouchs (ne pas régler ses factures de gaz et d’électricité par exemple) achève de diviser la population, exténuée mais soudée contre un pouvoir honni, toujours synonyme de corruption et de hogra (mépris). Les rues sont sales, envahies par des hordes de vendeurs à la sauvette qui concurrencent les commerçants patentés, lesquels refusent de se plaindre ouvertement, n’osent pas contester les mots d’ordre de grève mais paraissent à bout de nerfs… La police, à peine présente, semble avoir renoncé à assurer l’ordre.

Florence Beaugé

 

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