Bouteflika: «Je suis là, je reste»
Bouteflika: «Je suis là, je reste»
Le président algérien poursuivait hier sa visite dans le sud du pays
Florence Aubenas, Libération, 21 juin 2001
«Mais comment ceux qu’on déteste pourraient-ils arriver à autre chose qu’à nous exciter davantage?»
Un avocat d’El Tarf
Tamanrasset, extrême sud de l’Algérie. Son centre-ville, qu’une armée de femmes a passé la nuit à balayer. Sa rue principale, où une fine couche de bitume frais vient juste d’être appliquée. Son jet d’eau, qui, mardi, s’est remis par miracle à cracher un filet après des années de régime sec. Tamanrasset, où le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, poursuivait ses visites dans le Sahara. Pendant sa première tournée dans le Sud, début juin, des pancartes révoltées étaient venues ternir les festivités municipales: «Pas de méchoui, du changement». Le 5 juin, à Laghouat, alors qu’il tentait d’improviser un bain de foule, il avait été accueilli avec des bouteilles en plastique.
Des émeutes, de cette vague de colère qui soulève la Kabylie, l’Est ou la capitale (plus de 100 morts, des milliers de blessés, une centaine de disparus), Bouteflika ne semble avoir tiré qu’une conclusion: inutile de tenter de traverser le décor. A Tamanrasset, c’est donc devant un parterre de notables, soigneusement triés, qu’il a lancé mardi soir: «Je ne suis pas un commandant qui laisse son navire couler. Je suis là, je reste selon la volonté du peuple algérien qui m’a élu.»
Dans la capitale, les cercles proches du pouvoir s’attelaient hier à orchestrer l’annonce du «commandant de bord Bouteflika» et, comme on lance une sonde, se mettaient soudain à parler élections. «Pas présidentielle, on l’a compris à Tamanrasset. Mais pourquoi pas des municipales?», disait, faussement naïf, un député du RND, le parti du pouvoir, joint au téléphone comme tous nos interlocuteurs.
Habit de démocratie. Depuis l’interruption du processus électoral en 1992, que s’apprêtait à remporter le FIS, le recours aux urnes a toujours été l’un des procédés favoris d’Alger pour tenter de faire oublier la «sale guerre» dans un semblant de fièvre électorale et masquer l’état d’urgence et le régime militaire sous un habit de démocratie. Ainsi, en moins de dix ans, huit scrutins ont été frénétiquement organisés, même si aucun n’échappa aux condamnations nationales et internationales pour fraude.
Dans toute la région de l’Est, où la révolte s’installe maintenant dans la durée, «on a en effet l’impression qu’on va essayer d’utiliser les mairies comme fusibles», raconte un député d’opposition de Mostaganem. A Aïn M’lila, samedi dernier, lorsque la ville a commencé à se soulever, «des policiers ont dirigé la foule vers l’hôtel de ville, raconte un professeur. Comme presque tous les maires d’Algérie, le nôtre est détesté. Avant d’arriver au pouvoir, il était gardien d’une entreprise nationalisée. Maintenant, il a plusieurs magasins, une voiture de luxe. Le jour du vote, il y a trois ans, des blindés de l’armée ont investi le bureau électoral et l’ont déclaré gagnant. Il aime d’ailleurs à nous le répéter pour prouver son pouvoir: « Ce n’est pas vous qui m’avez élu, ce sont les blindés. »» Tous ses biens flambent sans que les forces de sécurité interviennent. Dans la foule en colère, quelques notables, proches du pouvoir, répètent bruyamment: «Le problème, ce n’est pas l’Etat. Ce sont les élus locaux.»
A Mostaganem ou à El Tarf, où aucune pierre n’a volé, des réunions ont lieu ces derniers jours à l’initiative des wallis (préfets). «Ils invitent les élus municipaux pour les exhorter à sensibiliser la population, raconte un avocat d’El Tarf. Mais comment ceux qu’on déteste pourraient-ils arriver à autre chose qu’à nous exciter davantage? On dirait qu’on les envoie au lynchage.» Ailleurs, où les élus ont préféré prendre la fuite, les hôtels de ville sont déjà vides.
La vraie révolte. Le problème, c’est que la révolte a pris une telle ampleur que, désormais, «il faut être inconscient pour penser la contrôler», reprend un associatif de Tébessa. Là-bas, des émeutes déclenchées par des provocateurs ce week-end ont échappé hier à leurs instigateurs, tournant à la vraie révolte. A Aïn M’lila, aussi. On y enterre deux morts, des gamins de 14 et de 13 ans, abattus à balles réelles. «Et vous pensez qu’un vote va nous calmer?»
Hier, poursuivant sa visite à Illizi, Bouteflika essayait déjà une autre diversion. Concernant la langue amazigh, dont la reconnaissance est une parmi les revendications des manifestants, il a dit: «Des solutions existent.».