La foule brûle des commerces à Bordj El Kiffan

La foule brûle des commerces à Bordj El Kiffan

Trois cents, quatre cents, peut-être bien huit cents personnes, si l’on en croit les témoignages des riverains ont pillé, incendié et saccagé six bars-restaurants dimanche soir à Bordj El Kiffan.

Ghada H., Le Matin, 23 juillet 2002

Six bars-restaurants dont les plus touchés sont le Titanic Night Club, le Soummam et La Corniche, ainsi que huit véhicules de particuliers ont été détruits à coups de pierres et de cocktails Molotov. Les pertes s’élèvent à plusieurs milliards de centimes, selon les estimations des propriétaires. Tout a commencé après une rixe, vendredi soir, entre le gardien du parking des commerces en question et un jeune du quartier de La Verte Rive. Les deux personnes se sont battues à l’arme blanche. Le jeune homme, surnommé « Le gorille », est mort sur le coup alors que le gardien du parking est dans le coma. En colère, les jeunes du quartier ont décidé de se venger des commerces implantés près du « Fort Turc ». « Sans ces commerces rien de cela ne serait arrivé », affirme Ali un jeune du quartier. « J’aurais aimé que le feu emporte tout. » Depuis que ces bars-restaurants se sont installés dans la région, cette côte est devenue un lieu de rendez-vous pour tous les délinquants de la capitale, affirment les habitants du quartier. « Le soir, les habitués de ces lieux se promènent avec des armes blanches, sorte d’épées sans parler de la drogue, des boissons alcoolisées et bien d’autres choses », raconte Mohamed, propriétaire d’une construction mitoyenne. Les habitants nous entourent pour réitérer leur ras-le-bol des conséquences de l’implantation de ces « intrus ». A l’origine, nous dit-on, c’était un très bon projet d’expansion touristique qui comptait la restauration du Fort Turc et l’aménagement de nombreux locaux commerciaux pour l’artisanat et la restauration. « Les DEC qui ont été à la tête de la commune sont à l’origine de cette catastrophe », affirme-t-on à Bordj El Kiffan. Le projet aurait été détourné de sa vocation originelle et, petit à petit, s’est transformé en un « lieu de débauche ». Les riverains sont-ils responsables de ce qui s’est passé ? « Nous n’avons pas participé à l’agression, mais ce n’est certainement pas nous qui allons compatir avec eux. »
A l’origine de cette animosité, un ras-le-bol grandissant contre ces lieux. « Nous avons frappé à toutes les portes et ce, depuis près de trois ans. » Ils affirment avoir saisi en vain toutes les autorités : la sûreté de daïra, l’APC et la wilaya. « Nous avons envoyé une pétition signée par 1 200 personnes pour que l’Etat fasse respecter la réglementation dans ce genre de lieux, notamment le bruit des sonos. Nous nous sommes même plaints à la Sûreté de daïra sans aucun résultat. » Les citoyens accusent les autorités de passivité, voire même de complicité. Ils citent des noms de hauts responsables de la wilaya et de parents de procureurs de la République de certains palais de justice algérois qui usent de leur influence pour que ces commerces échappent à toute forme de contrôle.

Ce sont de jeunes délinquants
De leur côté, les commerçants affirment que l’Etat, particulièrement la police, les a abandonnés alors que le bruit de cette attaque circulait déjà très tôt le matin. « Tout le monde à Bordj El Kiffan savait que les jeunes allaient s’attaquer à nos commerces », nous raconte M. Ghazi, propriétaire du Titanic Night Club. Il affirme s’être rendu lui-même au poste de police pour alerter le commissaire. « Je leur ai dit que les jeunes ont commencé à se rassembler sur la parking, mais ils n’ont pas pris la chose au sérieux ou alors ils ont eu peur d’intervenir. Je n’en sais rien », dit-il après un moment de réflexion. Il ajoutera que la police n’a intervenu que bien plus tard. Ce sont les brigades de la commune de Bab Ezzouar, affirme-t-il, qui ont intervenu une fois que tout a été mis à sac. Pourquoi ont-ils été attaqués ? Le propriétaire de cette boîte de nuit ne donne aucune explication. Il affirmera que le meurtre de vendredi soir n’était qu’un prétexte aux jeunes voyous pour piller les commerces.
« Le vrai motif, c’est l’argent », soutient-il.
Le Titanic Night Club a été sérieusement endommagé. Le propriétaire estime ses pertes à près d’un milliard de centimes. « Si c’était une affaire de murs, ils n’auraient pas pillé les sonos, les téléviseurs, les synthétiseurs et j’en passe. Ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient emporter puis ont saccagé le reste et mis le feu dans les locaux. » Nul doute pour lui, ce sont de jeunes délinquants qui ont profité d’une malencontreuse coïncidence pour tout chaparder. Là encore la responsabilité de l’Etat est évoquée. Le propriétaire du bar-restaurent le Soummam, affirme, quant à lui, que ceux qui ont commis cet acte sont de très jeunes gens. Il ne donne pas d’explication à leurs agissements, mais affirme, en outre, que les services de sécurité ont failli à leur mission. « Le commissaire lui-même était là avant le début de l’agression. Il s’est entretenu avec les jeunes et nous a affirmé qu’ils ne s’attaqueraient pas à nos locaux. » L’incursion a eu lieu à peine dix minutes après son départ », affirme-t-il.
Pour appuyer ses dires, il nous montre l’horloge brisée du restaurant qui s’est arrêtée à 20 h 30. « C’est à ce moment précis que les assaillants ont envahi mon local. »
Quant aux services de sécurité, ils affirment que leurs éléments ont intervenu en temps opportun et ont procédé à l’interpellation de neuf individus.
Actes d’intolérance, ras-le-bol d’un laisser-aller ou attaques de délinquants de banlieues ? Difficile à dire. Ce qui est évident, par contre, c’est l’absence flagrante de l’Etat qui pousse de plus en plus les citoyens à se targuer d’être de parfaits justiciers.