Des cabarets et bars-restaurants saccagés à Bordj El Kiffan

Alors que les habitants de Souika, à Constantine, bloquent la route à cause du problème d’eau

Des cabarets et bars-restaurants saccagés
à Bordj El Kiffan

Les élus de la commune ont affiché leur impuissance face à la déchéance du quartier du Fort turc

Par Hasna Yacoub, La Tribune, 23 juillet 2002

Les citoyens ont peur. Les rideaux sont baissés. Les commerces sont fermés. Bordj El Kiffan est une ville morte. Seule activité intense : celle des éléments d’un impressionnant cordon de sécurité qui «assiège» la ville. De peur que cela ne dégénère encore. Car, rappelons-le, dans la nuit de dimanche dernier, des jeunes, voulant se faire justice, ont décidé de tout brûler. Ou presque. Tous les bars-restaurants et les night-clubs qui pullulent au Fort turc ont été saccagés et brûlés. Il ne reste plus que des ruines du restaurant la Corniche, du night-club Titanic ou encore du bar-restaurant l’Hippocampe. Les cris de «eghelqou el bibane, djaou Taliban» (fermez les portes, les taliban sont arrivés) hantaient les lieux. La raison, une rixe qui a tourné à l’émeute. Deux jeunes de la Verte rive ont été poignardés au Fort turc, dans la soirée de dimanche dernier par des inconnus. L’un d’eux succombera à ses blessures, le deuxième lutte toujours contre la mort. Ce n’est pas la première fois qu’on «tue» dans ce quartier «malfamé», les jeunes de la Verte rive décident alors de se faire justice eux-mêmes. Pour ce faire, ils brûlent tout commerce vendant des boissons alcoolisées. «Nous avons avisé les services de sécurité du risque d’un débordement de la colère citoyenne», affirme un élu de la commune de Bordj El Kiffan. Ce dernier affiche l’impuissance des pouvoirs locaux à faire face à la déchéance que connaît ce quartier depuis déjà 1987. A cette date, le wali de l’époque, Cherif Rahmani, avait décidé de réhabiliter ces lieux et de leur faire retrouver leur vocation d’antan. Ainsi, une dizaine de locaux ont été loués. Neuf des bénéficiaires ont obtenu des autorisations de débit de boissons alcoolisées. Le lieu est devenu ainsi réputé par son insécurité : de tous les coins du pays, des inconnus «débarquent». Leurs soirées se ressemblent : rixes et bagarres à répétition entre les saouls et les drogués du Fort turc. Des tueries sont enregistrées. Les riverains ne cessent de rédiger des pétitions qui finissent… dans le fond des tiroirs. Les élus, pour leur part, tiennent d’interminables assemblées. Résultat : la fermeture de tous les cabarets et boîtes de nuit pour une huitaine de jours en 2000. Puis rebelote. Alors, les élus décident de détourner, astucieusement, la vocation de ce lieu en érigeant un marché dans la place jouxtant ce fort. Pour des raisons «d’insécurité», la Sûreté décide de fermer le marché. Pour les citoyens, «les gros bonnets ont réussi à déloger le marché». Retour à la case départ pour les représentants locaux des habitants de Bordj El Kiffan. Ces derniers affirment ne pas baisser les bras puisqu’ils renouvellent le cahier des charges permettant la location des locaux se trouvant dans ce quartier avec la condition sine qua non : «La vente d’alcool est prohibée». Aucun des locataires ne vient renouveler sa location et aucun d’eux ne paie plus ses redevances à l’APC, affirme l’élu rencontré. Des procédures d’expulsion sont engagées. «L’exécution est toujours bloquée. On ne sait pas pourquoi», dit-on à la commune. On parle de complicité, de bras «longs» et de «connaissances» des propriétaires des lieux, qui poursuivent «dans l’illégalité» leur activité sans être inquiétés. On nous parle même du frère d’un procureur qui obtient l’autorisation de transformer un urinoir en commerce de débits de boissons alcoolisées.Hier, de tous ces commerces, il ne restait plus grand-chose. Se hasarder à demander la route menant vers le Fort turc étonnait le commun des enfants de Bordj El Kiffan. Certains déconseillent aux curieux visiteurs que nous sommes de s’y rendre. D’autres se confinent dans un silence qui en dit long. Jusqu’à la fin de l’après-midi, les éléments de la Sûreté surveillaient les lieux. 17 heures passées, ces derniers décident de quitter le Fort turc. Comme libérés, quelques enfants se précipitent, ramassent des pierres et terminent le saccage, de la veille, de leurs aînés.A Fort turc, l’heure est à la casse. A la commune, l’impuissance prend le dessus. En Algérie, le pouvoir de la rue prend les rênes. Qui dit mieux ?

H. Y.