Des armes sont proposées aux contestataires de Kabylie
Des armes sont proposées aux contestataires de Kabylie
Qui a intérêt à l’embrasement ?
Par Mohamed Zaâf, Jeune Independant, 9 janvier 2003
Slimane Bouhafs, délégué des aârchs de Sétif, a revélé dernièrement que des armes avaient été proposées aux contestataires en Kabylie. «Des véhicules chargés d’armes sont parvenus à nous, mais nous avons refusé de les prendre», affirmait-il au journal arabophone Echourouk El-Yaoumi dans son édition de lundi dernier. Bien sûr, M. Bouhafs n’a pas été plus loin dans ses révélations et le mystère reste entier : quelle est l’origine des armes et quelles sont les forces en mesure de les proposer et de les promener à travers les routes comme s’il s’agissait d’un vulgaire chargement de patates ?
Les groupes islamistes armés que les correspondances de presse signalent souvent dotés de fusils de chasse seraient-ils parvenus à briser les contrôles et à parvenir à un suréquipement au point de se permettre des largesses et de faire des dons ? Difficile à admettre quand on constate qu’après plus d’une décennie d’existence, les groupes armés n’ont pu évoluer en matière d’armement et que leur équipement destructif stagne toujours au niveau des armes légères et des bombes artisanales. S’il ne s’agit pas des traditionnels groupes armés, qui d’autre peut-il ramener des armes sur les lieux de la contestation et les proposer à qui veut bien s’en servir ? Qui a intérêt à entretenir le brasier en Kabylie ? Epousant un point de vue largement répandu dans les milieux politiques, Me Ali-Yahia Abdennour résume la situation et situe les antagonistes en Kabylie : Bouteflika et ses adversaires. Ils l’affrontent dans un bras de fer qui tient la population en otage, disait-il en substance dans une récente déclaration à la presse.
S’il est difficile d’admettre que les groupes islamistes puissent armer des gens potentiellement hostiles en raison d’obédiences politiques et idéologiques réputées sous la coupe d’autres forces, il est encore plus difficile de concevoir que Bouteflika, un politique, puisse penser à briguer un deuxième mandat en s’amusant à fourguer clandestinement aux populations des armes qui, dans tous les cas de figure, ne serviront pas ses intérêts. Et c’est justement pour tenter de désamorcer la crise que Bouteflika compte élargir prochainement les détenus impliqués dans les événements de Kabylie, selon une information du journal émirati El-Bayane, dans son édition de lundi dernier. Si l’on admet que les groupes islamistes et la présidence de la République n’ont rien à voir avec les révélations de M. Bouhafs, on ne peut alors ne pas lorgner du côté des «adversaires» déclarés ou non de Bouteflika. On ne peut évacuer le drôle d’article publié en novembre dernier par El-Mouchahed Essiassi (hebdomadaire arabophone édité à Londres, mais quasi inconnu de l’opinion algérienne, avant qu’il n’ouvre ses colonnes à la première sortie médiatique du général Mohamed Lamari) qui inventa une alliance entre Hocine Aït-Ahmed, El-Qaïda et d’autres groupes armés, annonçant la réorganisation des militants du FFS en milice armée dans les maquis kabyles sous la bannière de l’islam. Un délire qui avait tout juste provoqué le sourire chez des Algériens qui avaient lu l’article sauf un : Aït-Ahmed. Dans sa perspicacité, le chef du FFS a pris la chose au sérieux et a acculé l’hebdomadaire à des excuses publiques. Le FFS n’en est pas resté là. Le 25 décembre dernier, il livrait ses pensées sur les visées réelles de l’article. «Il s’agit bien d’une manipulation destinée à préparer le terrain à une tchétchénisation de la Kabylie dans la foulée de la lutte internationale contre le terrorisme», affirmait le FFS dans un communiqué signé par Djeddaï. «Après avoir consommé l’échec, les uns après les autres, des tentatives précédentes d’embraser la Kabylie : enlèvement (1994) et assassinat (1998) de Matoub Lounès, assassinat de Massinissa Guermah, puis répression sauvage (2001), voici une autre version du scénario criminel de ceux qui ont juré de plonger l’Algérie dans le sang pour des générations», peut-on encore lire dans ce communiqué. Un texte dans lequel le FFS assure prendre «très au sérieux les menaces que font peser sur le peuple et la nation algérienne ces pyromanes criminels». Ceux qui ont suivi les déclarations et les positions du FFS depuis le début de la crise connaissent sans doute qui sont les «pyromanes criminels» aux yeux du Front d’Aït-Ahmed. L’article d’El-Mouchahed Essiassi suivi six semaines plus tard par les graves révélations de M. Bouhafs qui le confortent quelque part, devient troublant. On ne peut s’en tenir à une simple coïncidence due au hasard comme on ne peut s’empêcher d’établir un lien entre l’écrit et la suite alarmante des événements en Kabylie où, selon les échos, les jeunes sont encouragés, voire poussés à la clandestinité, à l’instar de ce qui s’était produit avec les jeunes islamistes au début de la crise. L’affabulation de l’hebdomadaire londonien ne pourrait prendre sa pleine signification que si l’on s’amusait à lire autrement son article et à transposer à la place d’Aït-Ahmed, du FFS, et des «autres groupes», le nom de «X», de la formation qu’il chapeaute et des autres forces en course dans la région kabyle. Là, les écrits de l’hebdomadaire londonien prennent drôlement forme. Cependant, il restera à lever le voile sur les mystérieux «services» en Europe cités par El-Mouchahed Essiassi, comme la source des hallucinations sur le tandem Aït-Ahmed – Ben Laden. Il reste aussi que les révélations de faits graves que M. Bouhafs a eu le courage de livrer à l’opinion ne peuvent rester sans lendemain. Il n’a pas dit que les armes ont été proposées contre de l’argent, ce qui élimine la piste des trafiquants qui désormais essaiment chez nous, allant jusqu’à installer leurs ateliers de fabrication. Bouhafs, qui est un ex-FFS, n’a pas dit ou laissé entendre que c’est son ancien parti qui a proposé des armes, comme il ne suggère pas non plus que les véhicules chargés d’armement dont il fait état étaient le fait de la mythique El-Qaïda. Autant de pistes en moins pour les fins limiers de l’Etat algérien, s’il arrive qu’ils soient lâchés. M. Z.