Akbou éprouvé par les émeutes

Akbou éprouvé par les émeutes

La jeunesse d’Akbou a lancé un véritable appel de détresse aux Algérois, mercredi dernier

De notre envoyée spéciale Nawel Derradji, Le Jeune Indépendant, 23 juin 2001

Ils étaient des milliers à faire leurs adieux, mercredi dernier, à leurs «camarades de guerre», abattus la veille par les balles des CNS. En dépit d’une foule impressionnante, un silence religieux a régné au stade d’Akbou où les deux corps d’Arzoug Slimane (28 ans) et Nekali Abderahmane (27 ans) étaient exposés à la population. Dans une organisation exemplaire, les gens des différents villages défilaient devant les cercueils pour y jeter un dernier regard. A 13 heures, dans une cérémonie grandiose, les deux corps sont transportés au cimetière des martyrs de la Révolution. Tête baissée, les mains orientées vers le ciel formant le V de la victoire, les jeunes manifestants avançaient tout en scandant «Pouvoir assassin !», «Oulach smah oulach !» (pas de pardon). Le climat était tellement tendu que le moindre bruit était suspecté. Les deux corps venaient à peine d’être mis en terre que la moitié des jeunes était déjà au bout de la ville, en face du commissariat de police. Des affrontements éclatent à nouveau. Les jeunes bombardaient les CNS de pierres et ces derniers ripostaient en tirant à l’aide de leurs armes et en lançant des bombes lacrymogènes. Une dizaine de blessés sont évacués à l’hôpital et deux sont gardés en observation. Ils souffrent de traumatisme facial.

Le jour d’après Jeudi 21 juin. Le lendemain des émeutes, Akbou affiche un décor apocalyptique. Rideaux baissés, édifices publics en ruine. La ville est déserte. Les entrées principales sont contrôlées par les manifestants. Troncs d’arbres, pierres et fumée. Tous les moyens sont bons pour empêcher les renforts d’arriver au centre urbain. Des jeunes adossés aux murs guettent le mouvement des personnes étrangères. De temps à autre, des troupes de jeunes reviennent à la charge pour signifier aux CNS que la manifestation reprendra de plus belle d’ici peu de temps. «Vous verrez demain», lancent-ils aux brigades anti-émeutes stationnées dans la cour du commissariat. Près du commissariat se trouve l’hôpital.

Beaucoup de manifestants sont à l’intérieur pour aider le personnel médical et pour faire don de leur sang. Une foule de jeunes se précipite vers nous. Ils nous lancent tous à la fois : «Vous n’êtes pas journalistes du pouvoir ? Vous ne travaillez pas à l’ENTV ? Si c’est le cas, on va vous tuer.» En apprenant qu’il s’agissait de la presse indépendante, des sourires se dessinent sur les visages des jeunes. L’un d’eux nous dirige presque de force vers une maison complètement incendiée. «Regardez, regardez bien Madame. Hier, ils ont brûlé cette maison qui appartient à une famille pauvre. Qui va leur procurer une habitation ? C’est ce pouvoir «haggar» ?» «Dites à ce pseudo-pouvoir de ne pas faire semblant que rien ne se passe en Kabylie. C’est un appel de détresse. Qu’il n’essaye plus de tenter la division. Nous n’avons aucune animosité vis-à-vis des Algérois. Nous sommes tous touchés par la même misère», clame B. H., âgé de 45 ans, père de famille et ingénieur d’Etat en électronique en chômage. Quant à la couverture des événements par l’ENTV, notre interlocuteur nous confie avec désarroi : «Je suis vraiment désolé. Ou nous ne sommes pas des Algériens ou c’est la télé qui n’est pas algérienne.» a jeunesse d’Akbou lance un appel de détresse aux Algérois «Ecoutez Madame, dites aux Algérois qu’ils sont nos frères et qu’on a besoin d’eux en ces moments difficiles. Nous savons pertinemment que ce n’est pas eux qui nous ont lynchés lors de la marche du 14. C’est le pouvoir pourri qui a infiltré des éléments fascistes au milieu des marcheurs», nous dit Omar, un jeune chômeur. A peine Omar a-t-il terminé sa phrase que tous les jeunes présents ont commencé à applaudir en lançant tous en même temps. «Oui les Algérois sont nos frères. Ce sont nos frères dans la misère. On est convaincu qu’ils finiront par nous soutenir.»

Virée à Seddouk

Dans un bref passage à Seddouk, nous nous sommes entretenus avec le président de l’APC. Celui-ci nous a fait part de sa désolation par rapport aux événements tragiques et nous a confirmé les dépassements des CNS et des gendarmes. Cet élu nous raconte : «Les agents des CNS ont jeté deux cocktails Molotov à l’intérieur de ma maison avant de s’en prendre aux maisons des citoyens sur lesquelles ils ont jeté des pierres, dimanche soir.» Le lendemain soir, poursuit-il, «ils ont cassé des magasins et pris ce qu’il y avait à l’intérieur».

Quant à ammi Khlifa, retraité et ami du P/APC, il nous a affirmé que «mardi dernier, un cortège s’est rendu à Akbou pour faire des dons de sang. Les gendarmes nous ont chassés en jetant des bombes lacrymogènes sur nous». «Si ce pouvoir attend l’essoufflement des jeunes, il se trompe. Ce sont des manifestants qui sont prêts à aller jusqu’au bout de leur combat. Leur volonté est inébranlable. Moi-même je n’ai plus le pouvoir de maîtriser mes enfants qui me demandent de me mettre à l’écart et me reprochent mon mutisme et mon laxisme durant les années passées», a conclu ammi Khlifa. N. D.

 

 

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