Après le drame de Serkadji: Transfert des détenus à risques et craintes d’émeutes

Après le drame de Serkadji

Transfert des détenus à risques et craintes d’émeutes

Mounir B., Le Quotidien d’Oran, 4 mai 2002

La prison de Serkadji a vécu un week-end électrisé, marqué par des craintes de voir la mutinerie avortée de mercredi, déborder vers la rue.

Dans la soirée du mercredi, un autre incident à l’intérieur de la prison a failli faire dégénérer la situation. Un détenu homosexuel voulant changer de bloc a tenté de s’immoler par le feu en s’aspergeant de colle que les jeunes détenus sniffent dans les cellules. Cette fois-ci, les matons ont intervenu assez rapidement en transférant le jeune détenu vers l’infirmerie pour le soigner. Il a eu des blessures superficielles et les gardiens de la prison ont eu un mal fou pour le maîtriser.

L’écho de cet incident s’est rapidement propagé dans les rayons de la prison et a nécessité un renforcement du dispositif de sécurité. A l’extérieur de la prison, les forces de sécurité ont quadrillé le périmètre craignant que des jeunes des quartiers de Bab Djedid, Bab El-Oued, Bologhine et Frais Vallon ne viennent manifester devant les murs de la prison. «De nombreux détenus ont des copains à l’extérieur. On reste mobilisé pour qu’il n’y ait pas de débordements dans la rue et que ça ne se transforme pas en émeutes» indiquera un responsable des services de sécurité.

La soirée de mercredi à jeudi a été particulièrement tendue. Des cris et des hurlements se sont fait entendre jusqu’au petit matin. La rencontre qu’a eu Ahmed Ouyahia avec les chefs des 28 blocs de Serkadji aura permis de cerner davantage les conditions de l’incendie qui a coûté la vie à 19 détenus mais surtout de comprendre comment 80 détenus ont pu s’échapper vers les toits de la prison après avoir arraché les grillages des fenêtres. La thèse de la «négligence humaine» n’est pas écartée par le garde des Sceaux et une commission d’enquête du ministère de la Justice devrait interroger, dès la matinée de ce samedi, le directeur de la prison, Bachir Adda et son adjoint Djemai, ainsi que les responsables de la sécurité et de la surveillance.

Le témoignage du jeune suicidaire de 19 ans qui s’en est sorti avec un cou tailladé et des lésions sans gravité, devrait être au centre de cette enquête. Après la gravité de l’affaire Serkadji, les langues commencent à se délier et d’anciens détenus de la prison de Serkadji comptent apporter leurs témoignages sur les: «cas de harcèlement, d’humiliation, de passage à tabac et de racket» qui seraient pratiqués par certains matons sans scrupules. «Il y a des gardiens corrects mais la majorité, notamment les chefs, sont sans pitié. Ils font ce qu’ils veulent et personne ne bronche. Ils sont couverts parce qu’ils nous considèrent comme de la racaille» estime un ancien détenu.

L’introduction de produits inflammables comme des hallucinogènes et des drogues de substitution à forte combustion, au-delà des briquets et des allumettes, avait déjà été critiquée après l’incendie de Chelghoum Laid où avaient péri 22 détenus. Si l’administration carcérale permet que les cigarettes circulent, les trafics en tous genres qui existent dans les 128 prisons algériennes ne sont pas prêts de cesser.

Ahmed Ouyahia n’a pas caché son intention d’aller au bout de l’investigation pour cerner les responsabilités. Implicitement, il promet que des «têtes vont tomber». Le tout est de savoir si ce n’est pas la sienne tant le ministre de la Justice est décrié. Des avocats et des défenseurs des droits de l’Homme réclament ouvertement sa démission. Lui-même, tout en multipliant les interventions, sait qu’il est sur la sellette après le cinquième incident dans une prison depuis 18 mois.

Certains évoquent une prochaine décision du Président Bouteflika qui devrait demander à Ahmed Ouyahia de démissionner, au lieu de le remplacer brutalement. La conjoncture politique marquée par les élections législatives dans moins d’un mois, n’encourage pas ce type de mesure. Cela ne ferait que fragiliser un Ouyahia qui est sérieusement bousculé au sein du RND et qui ne pourrait pas se permettre de quitter la Justice sur un échec aussi retentissant.

En attendant des mesures énergiques, quelques dizaines de prisonniers ont été transférés vers d’autres pénitenciers dont celui de Berrouaghia dans la matinée de ce vendredi. Ce mouvement devrait se poursuivre durant cette semaine afin d’isoler les «détenus» considérés à risques, du reste des autres prisonniers.