Graves remises en cause en Algérie
Presse
Graves remises en cause en Algérie
Par Brahim Brahimi, El Watan, 2 mai 2002
La loi sur la presse, votée le 19 mars 1990 par les députés du parti unique et promulguée en avril 1990-, est-elle toujours en vigueur ?Si lon se pose cette question, cest dabord parce que la portée de nombreuses lois a été limitée par létat durgence instauré en février 1992. Cest ensuite parce que les articles 59 à 76 précisant le mode de fonctionnement du Conseil supérieur de linformation ont été abrogés avec la disparition du CSI en novembre 1993.
Cest enfin parce que les amendements du Code pénal, adoptés à la hâte sous la pression du ministère de la Justice, prennent le pas sur les dispositions pénales de la loi de 1990. Ces nouvelles dispositions, notamment celles concernant loffense au chef de lEtat et la diffamation, sont beaucoup plus sévères que celles de la loi de 1990, qualifiée à lépoque de Code pénal bis. La loi de 1990 contenait pourtant des dispositions très positives qui ont permis la naissance dune presse privée et dune presse dite indépendante, cest-à-dire des journaux dirigés par des journalistes eux-mêmes. Les collectifs de journalistes (cest le cas du Soir dAlgérie, dEl Watan, dEl Khabar, du Matin, de La Tribune…) qui ont créé des journaux avec les deux années de salaire qui leur ont été versés en 1991 par le gouvernement Hamrouche. Larticle 14, il faut le rappeler, a constitué une véritable révolution dans le paysage médiatique algérien : quiconque veut publier un journal (entreprise, parti politique ou simple citoyen) na quà déposer un dossier au niveau du procureur de la République. Cest ainsi quon a assisté, à partir de septembre 1990, à la naissance de nombreux journaux. Certains dentre eux ont rejoint «le cimetière des ambitions déçues», mais lAlgérie compte aujourdhui 35 quotidiens dont le tirage avoisine 1 300 000 exemplaires. Même si larticle 14 a été gelé de juin 1994 à 1997 avec le contrôle de linformation sécuritaire et la censure préventive appliquée de fin 1994 à février 1998, on a assisté à la naissance de quelques journaux durant cette période. Larticle 14 nest plus respecté à la lettre étant donné que le dépôt du dossier ne garantit pas la création dun journal. Le procureur de la République consulte sa tutelle, cest-à-dire le ministre de la Justice et parfois celui de lInformation. Par ailleurs, les journaux publiés en langue étrangère doivent attendre le feu vert des autorités administratives alors que de 1990 à 1993, il fallait simplement lavis du CSI. Une autre disposition de la loi de 1990 a donné des garanties à la profession de journaliste. Il sagit de la clause de conscience appliquée avant lheure par le gouvernement Hamrouche. Les articles 59 à 76 ont permis linstallation dun CSI composé de 12 membres : 6 élus parmi les journalistes les plus connus et les plus respectés par la profession et 6 membres désignés par le président de la République et le président de lAssemblée nationale.
Obligations ignorées
Le CSI avait un rôle consultatif mais il a joué un rôle important, un peu à cause de labsence dun ministre de lInformation dans le gouvernement Hamrouche (septembre 1989 à juin 1991). Il aurait été plus efficace si on lui avait accordé le pouvoir de proposer les candidats aux postes de directeur de la télévision, de la radio et de lagence de presse. Parmi les dispositions positives, on peut citer, aussi, larticle 23 obligeant les journaux à mentionner leurs tirages. Si les autorités ne font rien pour le respect de cet article, cest sans doute parce quon veut passer sous silence la chute vertigineuse des tirages de la presse dite publique. En lespace de deux années (1990-1992), la presse privée a pris le pas sur la presse gouvernementale. Aujourd’hui, de nombreux éditeurs évoquent la nécessité de la création dun office de vérification des ventes et essayent, à travers des sondages, de mieux connaître les goûts des lecteurs algériens. Une meilleure maîtrise de la pénétration dun journal dans les différentes régions du pays aiderait les annonceurs à mieux cibler les publics de la presse. Il faut noter enfin les dispositions qui ont élargi la notion du droit à linformation (limitée dans la loi de 1992 au seul secteur public ; articles 1 à 4), et celles qui ont donné une nouvelle définition du journaliste professionnel qui peut travailler désormais dans les journaux privés. Quant aux dispositions relatives au droit de réponse et de rectification (articles 44 et 45), et au secret professionnel (article 37), contenues déjà dans la loi de février 1982, elles sont mieux respectées depuis la naissance de la presse privée. Le Conseil de léthique, élu en mai 2000, assure parfois le rôle de médiateur en intervenant auprès des éditeurs qui refusent de publier les réponses des citoyens. En revanche, larticle 78, prévoyant une peine de 10 jours à 2 mois de prison pour toute personne ayant menacé un journaliste na, à notre connaissance, jamais été appliqué.