« Il n’y a pas de réelle volonté de réformer la justice »

De nouvelles publications bloquées

Par Rezki Selmani, El Watan, 24 février 2002

Après avoir épuisé toutes les recettes en matière de pression sur la presse privée indépendante, le pouvoir semble opter pour une méthode «préventive». Désormais, quiconque tente de créer une nouvelle publication voit se dresser devant lui un mur l’empêchant ainsi de concrétiser son objectif.

C’est l’amère expérience que vivent actuellement plusieurs personnes qui veulent investir le secteur de l’édition. Le cas de M. Ahmed Kaci est à ce titre très significatif. M. Kaci s’est vu empêché de finaliser son projet de créer deux publications, un quotidien en langue française et un hebdomadaire en langue arabe. «J’ai déposé mon dossier d’agrément au niveau du tribunal
de Sidi M’hamed, à Alger, en août 2000 et depuis il est resté sans suite.» Pourtant, cet ancien journaliste qui possède une longue expérience dans la presse et qui jouit de tous ses droits a réuni toutes les pièces nécessairesà son dossier. «Malgré la clarté de la loi sur la question, le département de Ouyahia semble tenter de la contourner. L’obtention d’un agrément obéit ainsi à des règles clandestines», signale M. Kaci. En effet, dans son article 14, la loi sur l’information votée en 1990 stipule que «l’édition de toute publication périodique est libre. Elle est soumise, aux fins d’ enregistrement et de contrôle de véracité, à une déclaration préalable,
trente jours avant la parution du premier numéro.» Quelle est la raison de ces délais qui n’en finissent pas ?, s’interrogent ces éditeurs désabusés.«Cela obéit sans nul doute à une volonté délibérée de suspendre avant même leur parution des titres dont des sommes colossales ont été investies auparavant», poursuit M. Kaci. «Mon associé et moi avons investi un million de dinars dans la location et l’achat de matériels. Pour le moment, c’est de l’argent bloqué», ajoute-t-il. M. Bouzdia, qui a également tenté l’aventure et qui a investit une somme colossale dans le projet de création d’un quotidien, attend lui aussi le fameux quitus du tribunal de Bir Mourad Raïs.«J’ai tout perdu», annonce-t-il. «L’investissement porte sur plusieurs millions de centimes», nous annonce-t-il. «Nous avons loué des locaux, acquis un parc automobile et informatique en plus d’une douzaine de personnes que nous avons engagées à temps plein.» M. Bouzdia et ses associés attendent depuis sept mois l’obtention du fameux récépissé conformément à la loi. Pire, l’entreprise de M. Bouzdia s’acquitte des redevances fiscalesavant son début d’activité. Il considère ce blocage comme la traduction d’un Etat de non-droit. En effet, c’est un refus tacite, sans aucune notification ni explication. Curieusement, certains titres ont été créés entre-temps. Ce qui fait dire à nos interlocuteurs qu’il y a une politique de deux poids, deux mesures. Devant ce refus injustifié, M. Hannachi, également journaliste, a dû abandonner son projet de création d’un hebdomadaire d’ information générale. Quel est le sens que revêt cette nouvelle approche des pouvoirs publics vis-à-vis de la presse privée ? Pour nos interlocuteurs, cela dénote une volonté de bloquer en amont ce qu’ils avaient tenté de faire en aval par le passé : les suspensions à répétition ainsi que les différentes mesures de rétorsion qui visaient la mise au pas de certains titres de la presse privée indépendante. Longtemps vus par les différents gouvernements comme un témoin gênant, ces derniers ont vraisemblablement décidé une fois pour toutes de prendre les devants. Nos interlocuteurs reconnaissent que la livraison au compte-gouttes d’agrément obéit à des règles obscures. «Certaines personnes bien connue ont ainsi reçu carte blanche pour créer de nouveaux titres alors que près d’une centaine de dossiers sont toujours en suspens auprès des tribunaux.» Ainsi donc, une nouvelle politique est en train de se mettre insidieusement en place qui a pour objectif premier de limiter gravement le paysage de la presse écrite indépendante.