Toute attaque contre le pouvoir algérien sera passible de lourdes peines

La très chère offense à Bouteflika

Toute attaque contre le pouvoir algérien sera passible de lourdes peines

José Garçon, Libération, 1er mars 2001

Dorénavant, on ne doit plus dessiner, dire et montrer les rides de nos chefs. Ni parler de leur taille. Ni de leur gros ventre. C’est le meilleur moyen qu’ils ont trouvé pour corriger l’image de la République. L’offense au Président fait désormais partie du code pénal. Il ne faut pas écrire que Bouteflika est Bouteflika […]On ne pourra plus parler de (lui). Ni des généraux. Ni des ministres qui leur servent de baby-foot […] »: ce billet, publié par le Quotidien d’Oran, résume bien le sens du projet de nouveau code pénal, annoncé hier par Ahmed Ouyahia, le ministre de la Justice. Le texte de loi en préparation confirme que le pouvoir entend, d’un côté codifier le verrouillage de la scène politique et médiatique qui a cours depuis plusieurs mois et, de l’autre, faire preuve d’une certaine indulgence à l’égard des crimes économiques dans un pays où la corruption est notoire au sommet de l’Etat.
L’opinion peut, certes, accueillir favorablement les sanctions prévues contre les prêches violents (trois à cinq ans de prison et 50.000 à 200.000 dinars, 5.000 à 20.000 F), même s’il y transparaît avant tout une volonté des autorités de contrôler les imams. Mais c’est la liberté d’expression, déjà mise à mal par l’autocensure, qui est soumise à rude épreuve. Désormais, un média qui offense le chef de l’Etat est passible d’une amende de 500.000 à 5 millions de dinars (50.000 à 500.000 F), alors que les auteurs des écrits ou propos jugés diffamatoires seront punis d’un à trois ans de prison et d’une amende de 100.000 dinars (10.000 F). Les mêmes peines sont prévues lorsque l’offense concerne le Parlement, les tribunaux, l’armée et autres institutions publiques ou corps constitués. En cas de récidive, les peines seront doublées.
Durcissement. « L’Etat n’a nullement l’intention de porter atteinte à la liberté d’expression », soutenait hier le ministre de la Justice sans convaincre. En effet, le projet « durci » l’actuel code de l’information que les journalistes dénonçaient déjà comme un « code pénal bis ». Cela n’avait pas empêché le président Bouteflika de juger ses dispositions « pas assez dissuasives ». « Il est indécent d’infliger 1 000 dinars d’amende à une personne qui insulte l’Etat et attente à son prestige à l’intérieur et à l’extérieur du pays », avait-il estimé fin janvier.
Attaques orchestrées. Le chef de l’Etat pense-t-il réellement que les nouvelles dispositions pénales lui assureront de ne pas être cloué au pilori dans une presse privée qu’il traita de « commères de hammam » dès son arrivée aux affaires? C’est peu probable, les attaques qu’il y essuie paraissant trop orchestrées pour échapper à la logique des luttes pour le pouvoir qui déchirent le sommet de l’Etat.
La nouvelle batterie pénale ne semble être en fait, comme le remarque le quotidien El Watan, « qu’une facette d’une stratégie d’envergure visant à « mettre fin à la récréation » et à restaurer l’ancien système ». Toute la question est de savoir si cette stratégie est celle du pouvoir dans son ensemble ou celle d’Abdelaziz Bouteflika – auquel ce quotidien fait porter la seule responsabilité de « l’instauration d’une terreur politico-judiciaire ». La difficulté, voire l’impossibilité du chef de l’Etat à imposer ses vues aux « décideurs », comme on appelle la poignée de généraux qui exercent la réalité du pouvoir, laisse penser que ce verrouillage vise à protéger le système tout entier. Et qu’il menace tous ceux qui s’aventureront à le dénoncer à l’étranger. L’absence de sanctions à l’encontre des tombereaux d’insultes qu’essuient certains opposants sans possibilité de recours va dans le même sens.
Affaire d’Etat. Tout se passe comme si Alger – et l’armée en premier lieu – entendait se prémunir contre toute attaque. Le succès remporté par la Sale Guerre, ce livre de Habib Souaïdia, un ex-officier qui dénonce l’implication de l’armée dans les massacres, a visiblement renforcé cette volonté. Mohamed Lamari, le tout- puissant chef d’état-major, en intervenant lui-même lundi – fait rarissime – contre cet ouvrage, n’a fait que signifier qu’il s’agissait-là d’une affaire d’Etat. « Habib Souaïdia sera jugé », annonçait hier le ministre de la Justice. Comme en écho.

 

 

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