La presse algérienne indépendante fait de la résistance

La presse algérienne indépendante fait de la résistance

Pour protester contre les nouveaux articles du Code pénal restreignant les libertés des médias, les journaux privés annoncent une « journée sans quotidiens »

Alger correspondance, Le Monde, 22 mai 2001

En dix ans d’existence, les éditeurs de journaux algériens n’avaient jamais fait cause commune, mais le pouvoir vient de leur en offrir l’occasion. Le champ politique algérien ayant été réduit à sa plus simple expression, la presse est devenue au fil des ans le lieu par excellence des polémiques politiques et idéologiques stériles. Les multiples cassures entre éradicateurs et réconciliateurs, francophones et arabophones, modernistes et conservateurs, s’y étalent en effet à longueur de colonnes.

Or le président Bouteflika – qui ne peut plus se targuer d’avoir dans son gouvernement des « laïcs » et des islamistes, (depuis que le Rassemblement pour la culture et la démocratie RCD a claqué la porte du gouvernement) – a réussi la gageure d’unir dans une même fureur les titres de la presse indépendante, aussi antinomiques soient-ils : francophones et arabophones, « anti » et « pro » islamistes, partisans ou non du dialogue avec l’ex-FIS, etc.

« LOIS SCÉLÉRATES »

Tous se montrent résolus à s’opposer à ce qu’ils qualifient unanimement de « lois scélérates » du pouvoir. L’adoption par l’Assemblée nationale, le 16 mai, d’amendements au Code pénal instituant un dispositif répressif contre la presse, a été considérée par les éditeurs comme une « véritable déclaration de guerre » qui « n’épargnera aucun citoyen, intellectuel, homme politique, artiste, parti et association. » Dimanche à Alger, un comité de crise a été mis en place pour coordonner les actions et organiser la riposte au « coup de force du pouvoir qui n’a pas hésité à cet effet à instrumentaliser le Rassemblement national démocratique RND -dirigé par le ministre Ahmed Ouyahia, l’initiateur en tant que ministre de la justice des amendements restrictifs- et le FLN et à recourir à la fraude à l’Assemblée nationale ».

Une journée sans journaux a été décrétée pour le 28 mai et un rassemblement, auquel partis politiques et associations sont conviés, est prévu sur la petite « place de la liberté de la presse », baptisée de ce nom il y a deux ans à Alger, en hommage à la soixantaine de journalistes assassinés pendant la décennie sanglante.
Une pétition nationale exigeant le retrait des amendements contestés va être lancée tandis que se prépare une action au niveau international auprès des défenseurs de la liberté des médias, des organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que de la commission des droits de l’homme des Nations unies.

Pour l’heure, les caricaturistes et les chroniqueurs algériens continuent de pourfendre avec férocité les représentants du pouvoir, tout particulièrement le président Bouteflika. Présenté comme  » l’homme des basses besognes », le ministre Ahmed Ouyahia, est brocardé sans pitié…

Le nouveau dispositif répressif n’entrera en vigueur que lorsque les amendements seront adoptés par le Sénat, ce qui devrait intervenir dans les jours à venir et ne fait aucun doute. Il faut dire que le Sénat a vu, il y a quelques semaines, le retour à sa tête du symbole même du régime de parti unique : Mohamed Cherif Messaadia. Celui-ci, à la faveur d’un véritable putsch institutionnel orchestré par les partisans de Bouteflika, est en effet devenu le président du Sénat, alors qu’il avait disparu de la scène politique, après avoir été mis sur la touche au lendemain des émeutes d’octobre 1988.

L’adoption des amendements par le Sénat ne sera de toute évidence qu’une simple formalité. C’est alors que les choses séreuses commenceront pour les journalistes algériens.

 

 

algeria-watch en francais