Au sujet de la suspension de quatre journaux algériens
Au sujet de la « suspension » de quatre journaux algériens
(Liberté, Corr, APS, El Moudjahid, 15.10, 17.10, 18.10) Plusieurs journaux
privés algériens ont reçu le 14 octobre par fax des sommations de payer
toutes leurs factures d’imprimerie arriérées, sous 48 heures (c’est-à-dire
avant la fin de la semaine) faute de quoi ils pourraient être suspendus
d’impression. Cette menace, dont le caractère officiel n’avait pas été
confirmé le 13 octobre, était lancée par deux imprimeries publiques contre
« La Tribune », « Le Matin », « Le Soir d’Algérie » et « El Watan », quotidiens
francophones qui se sont illustrés dans les polémiques contre le général
Betchine, et qui attribuent d’ailleurs à cet engagement les menaces qu’ils
ont reçues. Le 17 octobre, à l’expiration du délai imparti par les
imprimeries, « El Watan », « Le Matin », « Le Soir » et « La Tribune » n’ont pas
paru. Trois autres quotidiens (« El Khabar », « Liberté » et « Alem Essiassi » se
sont solidarisés avec eux et ont renoncé à paraître pour une durée
« illimitée », jusqu’à « obtention de garanties pour la liberté de la presse »
Le directeur de la Société d’impression d’Alger a fait savoir qu’il avait
« reçu l’ordre de ne pas tirer « Le Matin », bien qu’il n’y ait pas de problème
d’échéances avec ce titre ». Les éditeurs de journaux privés ont dénoncé dans
un communiqué commun des « ultimatums qui rappellent fâcheusement les
procédés autoritaires qui ont prévalu ces cinq dernières années » et
suggèrent que « le pouvoir (est) à ce point gêné que l’invective, l’anathème
et le poing serré tiennent, pour lui, lieu d’explication ». Ils se déclarent
« fermement déterminés
à combattre pour le droit à l’information des citoyens et à la défense des
libertés fondamentales ». Quant à « El Moudjahid, assez peu confraternel, et
pas du tout menacé (l’une des deux imprimeries ayant envoyé un ultimatum à
ses confrères étant d’ailleurs sa propre imprimerie), il a écrit que « tant
qu’on continuera à vouloir à tout prix confondre la liberté de ne pas payer
ses créances avec la liberté de la presse et l’expression démocratique, on
fausse et on pervertit la relation qui existe entre le commercial et le
politique ». Le quotidien « Liberté » considère pour sa part que l' »épisode
(…) aura au moins un mérite : celui de montrer le pouvoir dans toute sa
laideur »,
APRES LES REVELATIONS ACCABLANTES SUR ADAMI ET BETCHINE / Menace sur la presse libre
El Watan, 14 octobre 1998
Les hommes portés à la tête des institutions par la force et l’autoritarisme utiliseront, cela est dans la nature de leur comportement, ces mêmes procédés pendant toute la période durant laquelle ils resteront aux commandes de ces institutions.
Le gouvernement, qui n’en est pas à son premier impair, vient (hier) de se rendre coupable d’une énième récidive. Au lieu de laisser faire la justice (si tant est qu’elle existe encore après les dernières révélations) l’équipe Ouyahia a fait injonction une nouvelle fois aux imprimeurs pour régler ses comptes avec la presse indépendante. Comment en effet ne pas faire directement le lien entre la déclaration du gouvernement lue hier par Hamraoui Habib Chawki, qui dit que «les autorités ne resteront pas passives devant ce genre de campagnes tendancieuses dont l’objectif essentiel est de porter atteinte à la justice, à l’appareil judiciaire, aux institutions et autres corps de l’Etat…».Deux heures plus tard, les directeurs des imprimeries emboîtent le pas à la menace gouvernementale. Ils somment les journaux El Watan, Le Matin, Le Soir d’Algérie et La Tribune de s’acquitter immédiatement de leurs dettes et arriérés dus au titre de la prestation d’impression. Sinon, c’est la suspension de tirage. «Nous vous demandons de bien vouloir honorer vos engagements en cours et arriérés dans les quarante-huit heures, faute de quoi nous serions dans l’impossibilité de poursuivre l’impression de votre titre», écrit au directeur d’El Watan le premier responsable de la Société d’impression d’Alger (SIA). Le directeur de la SIE formule sa menace en des termes plus atténués: «Au regard de la situation financière critique dans laquelle se trouve la société, nous sollicitons le paiement dans l’immédiat, par chèque ou virement de mise à disposition, dudit montant.» L’écrit ajoute plus loin : «La persistance d’une telle situation entraînera une décision appropriée de notre part.»Les deux responsables basent leurs exigences sur les conclusions de la rencontre éditeurs/imprimeurs du 10 avril 1998 et le procès-verbal de la réunion du 19 avril 1998.Il est à rappeler que pour certains titres l’accumulation des créances a été générée par le différend sur les prix d’impression ayant opposé les éditeurs aux imprimeurs en 1996. Les paiements ont alors été bloqués par les éditeurs en attendant l’aboutissement des négociations. Aujourd’hui, les factures sont lourdes et c’est pour permettre un paiement étalé dans le temps que le procès-verbal du 19 avril laisse la porte ouverte à des ententes modulées en fonction de chaque cas : «L’apurement des créances relève de la compétence de chaque éditeur envers chaque imprimeur dans le sens du respect mutuel en matière de relations commerciales.» Autrement, c’était l’étouffement et la disparition de l’ensemble de la presse écrite algérienne, à commencer par les titres publics qui végètent grâce aux largesse du Trésor.Et que demandent aujourd’hui les imprimeurs ? Ils exigent tout bonnement des paiements dans les «quarante-huit heures» à compter de mercredi soir. En d’autres termes, les chèques doivent aboutir dans les caisses des imprimeurs au plus tard vendredi 16 octobre!Se pose alors la véritable question : pourquoi maintenant ? Tout simplement parce que l’ultimatum ne vient pas des imprimeurs mais bien du gouvernement. Auparavant et au nom des sacro-saints « corps constitués », les autorités prononçaient le plus normalement du monde des suspensions administratives, organisaient des descentes de gendarmes ou de policiers armés dans les rédactions, s’en allaient arrêter des journalistes à l’aéroport sans se soucier des procédures, ni de la légalité… Maintenant on oblige l’imprimeur à faire le travail ingrat. Et contre quels titres ? Dans certains cas contre les journaux qui permettent aux imprimeries de tourner et de vivre. En effet, si l’intention n’a d’autre objectif que le recouvrement des créances, il est certain que les gestionnaires d’imprimeries soucieux du devenir de leur outil de production commenceraient par s’occuper des titres qui déséquilibrent réellement leurs finances parce qu’ils ne paient pas du tout et qu’ ils sont incapables de s’acquitter de leurs dettes, quelles que soient les facilités qu’on leur accordera.Tout le monde l’aura également compris : ce sont les considérations politiques qui ont toujours motivé l’attitude du gouvernement dans son entêtement à vouloir empêcher par tous les moyens l’investissement privé dans le secteur de l’impression pour faire barrage aux velléités d’indépendance des éditeurs. La preuve du chantage en est administrée magistralement après les révélations sur Betchine et Adami.
Ahmed Ancer
Communiqué des éditeurs indépendants
El Watan, 15octobre 1998
Des journaux risquent de ne pas paraître ce samedi. Des éditeurs, dont La Tribune, Le Soir d’Algérie, Le Matin et El Watan ont reçu, hier en fin d’après-midi, des correspondances des imprimeries d’Alger, de Constantine et d’Oran exigeant un paiement de toutes les créances dans un délai de 48 heures, faute de quoi ces publications seraient suspenduesLe ton de ces correspondances tranchent avec l’esprit de dialogue et de concertation qui a animé l’ensemble des travaux qui ont regroupé les éditeurs indépendants et les imprimeurs sous l’arbitrage du holding Services durant ces six derniers mois.Les menaces de suspension sont en totale opposition avec les mesures arrêtées d’un commun accord et qui tendent à apurer l’ensemble des relations commerciales et financières entre éditeurs et imprimeurs.Les éditeurs indépendants ont constamment fait preuve de disponibilité pour honorer l’ensemble des créances issues du contentieux datant de 1996 et 1997 et ayant porté sur la détermination du prix d’impression.Les éditeurs, réunis à la maison de la presse Tahar Djaout, rejettent ces ultimatums qui rappellent fâcheusement les procédés autoritaires qui ont prévalu durant ces cinq dernières années (suspension de journaux, chantage à la publicité, pressions financières, affaiblissement par tous les moyens des éditeurs indépendants…). Ils considèrent que ces correspondances sont une grossière tentative pour intimider la presse indépendante. Ils s’interrogent sur les finalités exactes d’une telle démarche.Ils prennent à témoin l’opinion publique nationale en cas d’application de telles mesures et se mobilisent pour sauvegarder la diversité, le pluralisme du champ médiatique à travers tous ces titres. L’Assemblée générale des éditeurs reste ouverte.
Alger, le 14 octobre 1998
La Tribune, Le Soir d’Algérie, El Khabar, Liberté, Le Matin, El Watan
Le gouvernement menace la presse
El Watan, 15 octobre 1998
C’est par des menaces à peine voilées à l’encontre de la presse indépendante que le gouvernement a marqué hier sa réaction par rapport à la publication d’articles mettant en cause le ministre de la Justice.
Tout en qualifiant lesdits articles «d’atteinte grave à la personne du ministre de la Justice dans sa vie privée et dans l’accomplissement de ses fonctions», le porte- parole du gouvernement a mis en évidence les intentions de l’Exécutif de mener des actions de riposte contre la presse. «Les autorités publiques ne resteront pas passives devant ce genre de campagnes tendancieuses dont l’objectif essentiel est de porter atteinte à la justice, à l’appareil judiciaire, aux institutions et autres corps d’Etat», a souligné HHC dans une déclaration adoptée et lue hier à la suite de la réunion du conseil du gouvernement. Une réunion à laquelle le ministre de la Justice aurait, selon certaines indiscrétions, été absent. En revanche, M. Adami compte saisir la Justice dans les prochains jours et ce, à titre personnel. Ce qui révèle probablement que Adami n’est plus protégé par les attributs de sa fonction d’autant plus qu’il est ministre de la Justice. D’habitude, les autorités ont recours à l’artifice d’outrage à corps constitués qui provoquaient des auto-saisines immédiates de l’institution judiciaire. Néanmoins, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Culture et de la Communication n’a pas manqué de commentaires et d’accusations à l’adresse des articles qui ont mis à nu certaines pratiques en vigueur chez des hauts fonctionnaires de l’Etat. «Ces propos (articles: NDLR) sont d’autant condamnables que leurs auteurs ont tu leurs prétendues sources. Ce comportement est une déviation grave à l’égard de la déontologie de la presse indépendante et ignorent volontairement les voies légales que la justice offre à toute personne revendiquant ses droits», a souligné HHC dans sa déclaration. Le porte-parole du gouvernement a été plus loin dans son acharnement contre les membres de son secteur en affirmant que «nul ne peut justifier ce genre d’attitude en invoquant la liberté d’expression ou la promotion de l’Etat de droit.» Ces écrits que HHC qualifie «d’attitudes» visent, selon le même avis, «à semer le doute et porter atteinte à la stabilité du pays qui se redresse après une phase douloureuse». Cependant et selon certains avis, l’article publié par El Watan s’inscrit dans le principe constitutionnel du droit d’informer l’opinion publique sur tout événement intéressant surtout la gestion de la chose publique et le comportement de ceux dont l’Etat a dévolu des attributions et des prérogatives d’administration des biens de la collectivité nationale. Les mêmes avis affirment que les faits rapportés par l’article en question portent sur des actes commis par M. Adami à l’occasion de l’exercice de ses fonctions en tant que procureur général de Sidi Bel Abbès. On estime d’autre part que la vie privée et intime du ministre de la Justice n’est pas touchée dans la mesure où les fais cités sont des actes de gestion accomplis durant l’exercice de ses fonctions. L’on se demande, dans le cas contraire, quelles sont les raisons qui ont empêché M. Adami d’user de son droit de réponse après la publication du document en question. Ce qui amène à dire qu’en publiant l’article mettant en cause le ministre de la Justice, la presse n’a pas failli au principe de déontologie tout comme le code de l’information qui n’oblige pas le journal à dévoiler la source du document et protège même le journaliste.
S.A.M.