En Algérie, les « affaires » pèsent sur les journalistes

En Algérie, les « affaires » pèsent sur les journalistes

Florence Amalou, Le Monde, 10 décembre 2002

La corruption et les mafias locales ne peuvent plus faire l’objet d’enquêtes.

La difficulté tient à la « déliquescence de l’Etat », au « pouvoir de l’argent » et, plus globalement, à « l’Etat de non-droit ». Le rapport de l’enquête réalisée par Virginie Locussol, de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), bouclé à la fin du mois de novembre, est affirmatif : les journalistes algériens sont loin de pouvoir exercer librement leu r métier, même si la menace des groupes armés islamistes est moins pesante. « Ils demeurent confrontés à des intimidations, pressions et poursuite judiciaires émanant principalement de notables, d’hommes d’affaires locaux », écrit la chercheuse.

Les plus fragiles sont les correspondants régionaux des titres nationaux. Isolés, ils disposent de peu de moyens de communication, parfois même pas d’un téléphone. Pas question, donc, pour eux de s’aventurer sur les terres marécageuses de la contrebande ou du trafic en tout genre. Les esprits aventureux sont rappelés à l’ordre. Ainsi, les 20 et 21 juillet, Abdelhaï Beliardouh, correspondant d’El Watan à Tébes sa, « où les barons de l’import-export, de la contrebande et du terrorisme ont pignon sur rue », a été arrêté, roué de coups devant sa famille par le président de la chambre de commerce et d’industrie de Nememchas, Saad Garboussi.

Le journaliste avait écrit que M. Garboussi était « cité par un repenti comme étant un pourvoyeur de fonds pour le terrorisme » et qu’il aurait « participé au blanchiment des fonds du GIA ».

« CERTAINS INTOUCHABLES »

Dans un communiqué, l’association des correspondants de presse de la zone de Tébessa se révolte de ce que « M. Garboussi -ait- préféré appliquer sa propre loi et sa justice ainsi que la force sans donner le moindre crédit à l’Etat ». Ils ont demandé au préfet l’autorisation de porter des armes : « Nous considérons que nos vies et celles de nos familles sont en danger. » La mafia « du foncier » serait, aussi, r esponsable de l’assassinat, en 1995, du correspondant à Tizi-Ouzou du quotidien algérois Le Matin.

Plus précisément, « certains hommes d’affaires sont tout simplement intouchables », déclare un journaliste d’Alger. Selon lui, Rafik Khalifa « arrose » largement la presse algérienne pour préserver son image. M. Khalifa invite de nombreux journalistes et patrons de presse, paie leurs voyages et séjours et leur laisse, en prime, « une enveloppe de 4 000 francs », affirment plusieurs journalistes. Ces journaux « complaisants so nt largement diffusés dans la Khalifa Airways et sont inondés de publicité payée par le groupe Khalifa », indique RSF.