LINTERVIEW DINTERFACE: SALIMA GHEZALI
LINTERVIEW DINTERFACE: SALIMA GHEZALI
Paris, 16/02/01 – Lhebdomadaire La Nation va reparaître après cinq ans dabsence dans les kiosques algériens. Salima Ghezali, directrice de la publication, explique ce retour.
Après avoir été une des figures de lopposition médiatique et politique, vous avez disparu de la scène, que sest-il passé ?
Je nai absolument pas disparu. La Nation a cessé de paraître, je me suis intéressée à dautres choses. Jai beaucoup voyagé, jai publié des articles dans la presse internationale, fait des conférences et je tiens toujours ma chronique sur Radio Méditerranée Internationale. Jai continué à faire mon métier
La Nation ressort après 5 ans dabsence. Comment avez-vous contourné le problème de votre dette auprès de limprimeur ? Quel sens donner à ce geste politique ?
Nous navons rien contourné du tout. Nous avons été sommés de nous arrêter en décembre 96 par un fax de limprimerie, puis invités à reprendre les négociations, en janvier 2001, par un autre fax de limprimerie. Ce que nous avons fait. Apparemment, au bout de 50 mois, nous sommes de nouveau solvables. Quant à interpréter politiquement ce fax, cest un exercice hautement périlleux dans un pays aussi opaque que le nôtre. Qui fait quoi, qui a intérêt à quoi, qui cela dérange ou arrange: cela ne mintéresse absolument pas.
Vous préparez une version différente du journal ?
Les choses ont changé, la scène politique est plus complexe et nest plus ce quelle était: éradicateurs dun côté, et réconciliateurs de lautre, pour parler comme les journaux algériens. Nous allons donc nous relooker pour loccasion, mais essayer de rester intelligents. Dans tous les cas, ce sera toujours La Nation, un journal qui se pose des questions.
Vous venez dêtre nommée conseillère politique de M. Hocine Aït-Ahmed, président du FFS (socialistes, opposition) Cela ne risque-t-il pas dinterférer avec votre de rôle de journaliste?
Jai accepté ce poste dune part par respect pour M. Aït-Ahmed, et dautre part parce que nous partageons beaucoup de choses, et cest une occasion pour moi dapprendre dun personnage politique qui a lavantage de la cohérence. Pour les risques dinterférence, La Nation est un journal dopinion, travaillant dans la perspective de louverture démocratique du pays. Nous avons toujours défendu des choix politiques très clairs. La Nation ne sera pas le journal du FFS mais plutôt que dêtre faussement indépendants, nous préférons assumer nos sympathies et nos connivences. Les journalistes de La Nation ont leurs opinions en tant que telles, la ligne éditoriale est connue, le reste est une affaire de probité intellectuelle.
On parle de nouvelles restrictions dans le domaine des libertés et de la presse en particulier. Est-ce une réalité ou de simples spéculations ?
Je pense que ces restrictions ont commencé il y a longtemps, en juin 91, (proclamation dès létat de siège et report des législatives, N.D.L.R) lorsquon a laissé quelques-uns sagiter à la surface, pour faire du patinage artistique Aujourdhui il existe beaucoup plus de journaux, même si je ne saisis pas toujours les nuances qui existent entre la soixantaine de titres sur le marché. Il y a effectivement une volonté de fermeture qui sexprime dans certains cercles du pouvoir – pour parler de la manière la moins susceptible dêtre attaquée en diffamation – mais en ce qui me concerne, je pense que le pouvoir a fait le maximum de ce quil a pu faire. Par contre, pour le journaliste qui crie « au secours jai peur pour mes libertés ! » : cest quil ne sait pas quil na pas de liberté !
Ny a-t-il pas une tentation des autorités de reprendre les choses en main ?
Bien sûr le pouvoir peut faire pire en termes de confusion et de dégradation. Quant à reprendre les choses en main, cest une tentation qui na jamais quitté les décideurs. Ils ont aujourdhui acquis un instrument dans leur confrontation par presse et partis politiques interposés, qui deviennent lexcroissance de divers groupes dintérêts. Je préfère personnellement une confrontation de ce type plutôt quune confrontation entre casernes. Il vaut mieux quils se battent à coups de journaux quavec des roquettes. Cest un pas de plus vers la civilisation. Je ne crois pas quils reviennent en arrière. Cest un régime autoritaire, despotique et brutal mais la dictature au sens franquiste est au-delà de leurs possibilités. Ils nen ont pas la rigueur, ni luniformité, ni le programme. Ce genre de dictature moderne, avec un pluralisme de façade, est beaucoup plus commode quune dictature directe.
La situation actuelle est de nouveau très tendue à Alger. Comment expliquer ces nouveaux pics de violence, de confusion ?
Je pense que cela fait un moment que le pouvoir utilise des leurres et travaille sur la confusion. Il y a toujours eu des pics et des creux dans la violence et lagitation politique.
Après les déclarations sexistes du président Bouteflika, aucun mouvement féministe na réagi. Pourquoi ?
Le mouvement féministe est mort en 91 au moment de létat de siège. Il y a eu, à cette époque, une des dernières réunions de la coordination des associations de femmes, qui représentait des tendances très différentes. Il y a eu ensuite un monopole sur lexpression des femmes, même sil y a eu, jallais dire, de petites érections, de temps en temps. Dune manière générale, le mouvement féministe est soumis aux mêmes problèmes que les mouvements politiques. On ne peut pas évoluer et se développer sous la terreur et létat durgence.
Vous avez publié un roman, allez-vous continuer à écrire ou vous consacrer au journalisme politique ?
Je ne peux pas faire les deux. Donc jessaie dalterner les moments de recul avec mon travail de journaliste. Jattends la prochaine interdiction de La Nation pour reprendre mon nouveau roman (rires)
Propos recueillis par Chawki Amari.
Salima Ghezali a publié Les amants de Shéhérazade, aux éditions de lAube. (1999).
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