L’amendement du code pénal à travers la diffamation

L’AMENDEMENT DU CODE PENAL A TRAVERS LA DIFFAMATION

Une démocratie sous contrôle

Les fameux articles

Fayçal Metaoui, El Watan, 18 avril 2001

Le projet d’amendement partiel du Code pénal relatif à la répression de la diffamation, de l’offense et de l’injure sera bientôt débattu à l’APN. Ce qui y est prévu signifie une chose : la mort à terme de la presse indépendante.

L’initiative des journalistes algériens de lancer une pétition-interpellation aux députés intervient à quelques jours du débat sur cette question. Les échos qui parviennent du siège du Parlement n’augurent rien de bon. Le fait que la commission juridique évite de toucher au projet du texte est un signe qui ne doit pas tromper.
Outre la fuite en avant, la commission donne l’impression d’«acquiescer» et de charger la plénière de la «sale besogne». Les membres de la commission se sont contentés d’ajouter aux articles à amender de l’ordonnance 156/66 portant Code pénal… la date équivalente de l’hégire. Seule une expression a été légèrement modifiée. Ahmed Ouyahia, ministre d’Etat, ministre de la Justice, secrétaire général du RND et responsable en premier de ce texte de loi, a-t-il été à ce point convaincant ? Beaucoup d’indices permettent de croire que la Présidence de la République veut que le projet passe tel quel et Ahmed Ouyahia ne serait qu’un exécutant qui assumerait ses actes. Et d’ores et déjà il n’y a pas à se faire d’illusions quant à la capacité de résistance du Parlement. Sauf qu’au sein des groupes parlementaires, il y a des voix qui s’élèvent pour demander l’atténuation de la sévérité du texte et la nécessité de le rendre plus conforme aux réalités du monde actuel. Le débat s’annonce chaud, mais l’issue finale n’est pas certaine. La pétition des journalistes qui circule actuellement n’est qu’un premier pas qui doit être suivi par d’autres formes de contestation. Se laisser faire cette fois-ci, et au train où vont les choses, signifie que les journalistes et tous les travailleurs de la presse acceptent d’être enterrés vivants ! Il y a bel et bien volonté de la part du président de la République et de ceux qui le conseillent de «tordre le cou» aux journaux indépendants. Inutile ici de rappeler les propos désobligeants de Abdelaziz Bouteflika contre les journalistes algériens. Ces propos maintes fois répétés accompagnent une démarche claire et évidente de verrouiller le pays, interdire l’expression libre à la société, embrigader ce qui reste de l’opposition et faire replonger l’Algérie dans les années de plomb. Ce sont là les grandes tendances du «programme démocratique» de Bouteflika. A contre-sens du droit international moderne, les nouvelles dispositions en matière de diffamation, d’offense et d’injure prévoient des peines de prison pour les journalistes pouvant aller jusqu’à trois ans. Elles autorisent le procureur de la République, qui obéit à la chancellerie et donc à l’Exécutif, d’ordonner l’action publique, quand il le voudra et à chaque fois qu’il le jugera nécessaire. Les représentants du parquet, dont les dérives par le passé sont de notoriété publique, auront droit de vie et de mort sur les journalistes. Ils auront à apprécier tant l’information que le commentaire, et, par extension, l’opinion. Les nouvelles dispositions ouvrent donc grande la porte à l’arbitraire. Elles prévoient aussi de lourdes amendes pouvant aller jusqu’à 5 millions de dinars pour les publications. Ces peines peuvent être doublées en cas de «récidive». Les régimes totalitaires mis à part, aucun pays au monde ne réserve ce sort à la presse et à ceux qui la font. Il est donc clair que l’avenir des journaux indépendants dépend fatalement de la capacité de résistance des partis, de la société civile autonome, des intellectuels, des citoyens, des ONG internationales et des… députés.Les journalistes seuls ne peuvent pas faire grand-chose. Il s’agit donc d’un combat qui engage l’ensemble de la société. Un combat à mener sans aucune hésitation. Il y a urgence. Demain, il sera trop tard.

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Les fameux articles

Le Matin, 17 avril 2001

Voici les principaux articles concernant les sanctions à l’encontre du délit de diffamation proposés dans le projet d’amendement du code pénal.

Article 144 bis : Condamnation à une peine allant d’une année à trois ans de prison et à une amende de 100 000 à 1 000 000 DA ou à l’une des deux peines de celui qui porte atteinte au Président de la République par des propos diffamatoires, insultants ou humiliants, que ce soit par le biais d’un écrit, dessin, déclaration ou tout outil d’émission de son ou image ou tout moyen électronique ou informatique ou autre de communication. Les pouvoirs publics s’autosaisissent et engagent automatiquement la procédure des poursuites judiciaires. Dans le cas de récidive, les peines de prison et d’amende citées dans cet article vont doubler.

Article 144 bis 1 : Lorsque le délit mentionné dans l’article 144 bis est commis à travers une publication, quotidienne ou hebdomadaire ou mensuelle ou autre, la poursuite judiciaire est engagée à l’encontre de l’auteur du délit, des responsables de la publication et de sa rédaction ainsi que contre la publication elle-même. Dans ce cas, l’auteur du délit est condamné à une peine de prison allant d’une année à trois ans et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 DA ou à l’une des deux peines. La publication est condamnée à une amende de 500 000 à 5 000 000 DA. Les pouvoirs publics engagent automatiquement la procédure des poursuites judiciaires et en cas de récidive, les peines de prison et d’amende précitées vont doubler.

Article 146 : Si l’humiliation, l’insulte ou la diffamation portées par le biais des moyens cités dans les articles 144 bis et 144 bis 1 sont dirigées à l’encontre du Parlement ou l’une de ses Chambres, contre les cours de justice ou les tribunaux, l’ANP ou toute institution publique ou tout autre corps constitué, les mêmes peines citées dans les articles précédents sont appliquées. En cas de récidive, les peines de prison et d’amende sont doublées.

Article 298 : Pour une diffamation dirigée à l’encontre des individus, la condamnation est d’une peine de prison allant de cinq jours à six mois et d’une amende de 5 000 à 50 000 DA ou de l’une des deux peines. Pour diffamation dirigée à l’encontre d’une personne ou plus appartenant à un groupe racial ou doctrinal ou une religion quelconque, la condamnation est à une peine de prison allant d’un mois à une année et d’une amende de 10 000 à 100 000 DA ou de l’une des deux peines si il y a une volonté d’incitation à l’intolérance entre les citoyens ou les populations.

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Pétition

Le Matin, 17 avril 2001

L’Assemblée populaire nationale (APN) s’apprête à débattre un nouveau texte codifiant la diffamation, l’injure et l’offense. La teneur particulièrement répressive de ce texte annonce une réduction certaine de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Les journalistes professionnels admettent que les règles de déontologie et d’éthique, règles universelles, doivent être respectées quelles que soient les circonstances. Nous, journalistes signataires de la présente pétition, sommes inquiets devant la volonté du gouvernement de museler la presse et de rétablir les pratiques de la censure. Nous estimons que les rares acquis démocratiques arrachés par les Algériens ne sauraient être remis en cause sous quelque prétexte que ce soit. Le droit à l’information et la liberté d’expression sont des principes constitutionnels qui ne doivent en aucune manière être violés. Les journalistes signataires appellent tous les députés à faire preuve de raison et de responsabilité et à prendre en compte l’aspiration à la liberté et à la démocratie de l’ensemble de la société algérienne d’aujourd’hui.

Premiers signataires :

Fayçal Métaoui (El Watan), Djamila Kourta (El Watan) Souhila H. (El Watan), Salima Tlemçani (El Watan), Mohamed Tahar Messaoudi (El Watan), K. Smaïl (El Watan), Nahla Rif (El Watan), A. Samil (El Watan), A. Bahmane (El Watan), Réda Bekkat(El Watan), Athman Senadjki (El Khabar), Slimane Hammiche (El Khabar), Malek Reddad (El Khabar), Chafik Abdi (le Jeune Indépendant), Hocine Adryen, H’mida Ayachi (El Youm), Fouzia Ababsa (L’Authentique), Arezki Louni (L’Authentique), Kamel Boutarène (El Khabar), Souad Azouz (El Khabar), Smaïl Semroud (El Khabar),Hacine Djâafar(El Khabar), Mustapha Bamoune (El Khabar), Ayache Senouci (El khabar), Larbi Zouak (El Khabar), Farid Maataoui (El Khabar), Zhor Hadjam (Le Matin), Khadidja Chouit (Le Matin), Wahab Habbat (Agence New Press), Fodil Mezali (Le Matin), Djamel Boukrine (Le Matin), Nadir Benseba (Le Matin), Rachid Mokhtari (Le Matin), Samira I. (Le Matin), Amar Hamiche (Le Matin), Saïd Chekri (Le Matin), Mohamed Bouhamidi (éditeur), Ferchouche Yasmine (Le Matin), Katia Debbouz (Le Matin), Nacer Medjkane (Le Matin), Saber Ayoub, Abdelkader Hamid (El Khabar), Ameur Mahieddine (El Khabar), Bendjekoum Mohamed (El Khabar), Ali Fayçal (El Khabar), Anis Rahmani ((El Khabar), Hamid Yacine (El Khabar), D. Youcef, Abdelkrim Ghezali, Zine Cherfaoui, Ahmed Kaci, Younes Hamidouche, Ghania Amriout, Karima Mokrani, R. Allam (La Tribune), Chawki Madani (El Khabar), Rabah Abdellah (Le Soir d’Algérie) Kamel Amarni (Le Soir d’Algérie), Zineb Merzouk (Le Soir d’Algérie), Echikr Amine (Le Soir d’Algérie), Azeddine Bensouiah (Le Soir d’Algérie), Fatma Houari (Le Soir d’Algérie), Samah Bencheikh (La Nouvelle République), Wahida Benaïssa (Le Soir d’Algérie), Nawel Imes (Le Soir d’Algérie), Hidayet Bouhraoua (Le Soir d’Algérie), Badredine Manâa (Le Soir d’Algérie), Nacer Belhadoudja (Le Soir d’Algérie), Fouad Boughanem (Le Soir d’Algérie,) Hakim Lâalam (Le Soir d’Algérie), Dad Mouloud (El Khabar), Youcef Zirem (Le Jeune Indépendant), Rachid Kaci (Le Jeune Indépendant), Amina Azoune (Le Jeune Indépendant), Samira Mana (Le Jeune Indépendant), Gacem T. (Le Jeune Indépendant), Nabila Greffon (Le Jeune Indépendant), Naïma Boulares (Le Jeune Indépendant), Sihem Hennine
(Le Jeune Indépendant), Idir Dahmani (Le Jeune Indépendant), Ali Brahimi (Le Jeune Indépendant), Abaua Mourad (Le Jeune Indépendant), Akouche Toufik (Le Jeune Indépendant), Abdelmadjid Djoudi (Le Jeune Indépendant) Wassila Aoualimi (El Youm), Nacer Aloui (El Youm), Mohamed Salah Bourib (El Youm), Youcef Tazir (El Youm), Mustapha Salhi (El Youm), Mohamed Ismaïl (El Youm), Abdelwahab Amiour (El Youm), Zineb Nemiri (El Youm), Fayçal Saouli (El Youm), Lahcen Aïssaoui (El Youm), Ahmed Rouaba (El Youm), Rachid Boudraï (El Youm), El Nedjma Fadila (El Youm), Saïd Kaced (Liberté), Omar Ouali (Liberté), Mustapha Hammouche (Liberté), Nacer Bouzaza (Liberté), Merzak Tigrine (Liberté), Mustapha Aït Aoudia (Liberté), Kamel Redjedal (Liberté) Ali Ouafek (Liberté), Meziane Rabhi (Liberté), Farid Belgacem (Liberté), Hamid Saïdani (Liberté), Hassen Moali (Liberté), N. Ryad (Liberté), Badredine Khris (Liberté), Hafida Ameyar (Liberté), Youcef Rezzoug (Le Matin), Ghada H. (Le Matin) Mekioussa Chekir (Le Matin), Khaled Mahrez (FIJ) Rachid Zarat (Le Matin), Slimane M. (Le Matin), Farouk B. (Le Matin), Yassine Bouarfa (Le Matin).

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El Watan 21 avril 2001

B. Ghechir : «Dépénaliser l’infraction journalistique»

La vive polémique née au lendemain de la sortie médiatique d’Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice, relative à la révision du Code pénal et les débats relancés par le président Bouteflika au sujet du Code de la famille ne pouvaient évidemment pas ne pas susciter l’intérêt du président de la LADH.
Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il avance la position de la Ligue des droits de l’homme à cet effet et revient sur d’autres sujets.

La révision envisagée du Code pénal suscite de sérieuses inquiétudes dans les milieux de la presse notamment. Quelle lecture faites vous du projet Ouyahia ?

La proposition de modifier le Code pénal, visant à protéger les corps constitués de l’offense, de l’outrage, de l’injure et de la diffamation, concerne très exactement l’article 144 du Code pénal. La nouveauté, c’est que cette fois-ci, en plus de l’outrage, on a inséré l’offense, l’injure et la diffamation. Une modification qui touche essentiellement l’article 144-bis. Et là, le fait de codifier la diffamation et l’injure concernant les hauts responsables et agents de l’Etat dans des articles autres que ceux relatifs à la diffamation entre particuliers donne l’impression que le pouvoir essaye de se protéger, approfondissant ainsi le fossé qui existe déjà entre lui et le reste des citoyens. La première constatation que l’on peut faire d’autre part à ce sujet, c’est qu’on a privilégié des responsables par rapport aux citoyens. Car si on procède à une comparaison entre les peines stipulées par les articles 296, 297 et 298 relatifs à la diffamation entre simples citoyens, la différence est nette. Pour le petit peuple notamment, l’article 298 du Code pénal fait état de cinq jours à six mois d’emprisonnement dans les cas de diffamation entre particuliers. Or, dans le cas d’un responsable, la peine varie d’un an à trois ans. De fait, on fait peur au citoyen afin qu’il évite de diffamer. La LADH est bien entendu contre l’injure, la diffamation et l’offense, mais on remarque que même si on doit protéger le président de la République, comme institution essentiellement, il ne faut pas oublier que les autres responsables, députés, magistrats… sont avant tout des citoyens. Alors pourquoi justement les protéger par rapport aux autres citoyens. La seconde constatation qu’on peut faire également, c’est que l’article proposé pour modification cible les journalistes. L’article 144-bis stipule en effet clairement que si une infraction est commise par une publication quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, des poursuites sont alors engagées contre l’auteur de l’offense, les responsables de la publication, de la rédaction ainsi qu’à l’encontre de la publication elle-même. Or, cette proposition pose un problème, parce que généralement la responsabilité pénale est personnelle et la sanction aussi. Pourquoi faut-il donc pénaliser les responsables de la publication, de la rédaction et le journal dans le cas où un journaliste commet une injure ou une offense, d’autant que cela est contraire à la théorie générale en matière de droit criminel.

Le ministre de la Justice a fait référence aux textes égyptiens et français pour tenter d’argumenter son projet. Qu’en pensez-vous ?

En effet, dans le cas de l’Egypte, le gouvernement évoque l’article 178 du Code pénal égyptien et considère que ce dernier a trait à la diffamation. Cela est faux.
En vérité, l’article 178 est relatif à l’offense du président de la République, mais pas à la diffamation. Celle-ci est stipulée par l’article 302 du Code pénal égyptien, et ce qui est bien, c’est que cet article, certes relatif à la diffamation, donne le droit à tout citoyen, à tout journaliste de critiquer. Car, il faut le souligner, il y a la diffamation, mais il y a également le droit à la critique, chose complètement ignorée par la législation algérienne puisque les journalistes notamment n’ont pas le droit de diffamer, d’injurier, d’offenser, mais aussi de critiquer. En tant que Ligue des droits de l’homme, on propose à cet effet un autre alinéa à cette mouture qui permettra à tous les citoyens de critiquer, surtout les personnalités publiques. On ne peut ignorer cela aujourd’hui, si on veut avancer. Il y a la corruption, la hogra partout, la mauvaise gestion, et ce n’est sûrement pas normal de demander aux journalistes et aux citoyens de se taire. On doit exiger le droit à la critique envers la personnalité publique. En citant par ailleurs l’exemple de la France, le gouvernement a oublié que l’ancien Code de la liberté de la presse stipule qu’en cas d’offense au président de la République, la peine d’emprisonnement maximum est d’un an, alors qu’en Algérie, on propose trois ans. De plus, en juin 2000, une nouvelle disposition a complètement supprimé la peine d’emprisonnement en France. Elle n’a gardé que l’amende. Les modifications proposées par le ministère de la Justice sanctionnent lourdement et sévèrement l’offense au président, en Algérie, et déconsidère l’image de cette grande personnalité. C’est pour cela qu’il ne faut pas susciter au sein de la société la crainte du président, du député ou d’un haut responsable de l’Etat. Nous avons déjà hérité de la France le clivage entre responsables et citoyens, pourquoi donc, avec cet article, creuser davantage ce fossé.

Comment, concrètement, la LADH qualifie-t-elle ces nouvelles dispositions relatives à la révision du Code pénal ?

Ces nouvelles dispositions protègent beaucoup, à notre avis, les institutions de l’Etat, ce qui, d’ailleurs, est contraire aux principes de la démocratie, laquelle demande de la critique et des débats contradictoires. A la LADH, nous sommes contre l’injure, la diffamation et l’offense, mais on ne peut tolérer que toute personne qui s’approche du président en subisse les conséquences. Normalement, il est demandé au président d’exiger de la société de critiquer tout responsable, tout gestionnaire pour faire avancer les choses et pour avoir plus de transparence dans la gestion des affaires publiques. A cet effet, la Ligue algérienne des droits de l’homme demande que les journalistes aient le droit à la critique, la suppression de la peine d’emprisonnement pour les journalistes en cas de diffamation, de ne pas sanctionner le responsable de la publication du journal et aussi de permettre aux gens de la presse de pouvoir critiquer, surtout la personnalité publique. Aux Etats-Unis par exemple, les articles ayant trait à la diffamation ont été abrogés dans les années 50. Cela dit, nous comptons prochainement publier une étude en ce sens, et exiger la dépénalisation de toute infraction journalistique.

Par Lydia R.

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