Un an déjà

Un an déjà

La Nation, décembre 1997

Curieux anniversaire que celui de l’hebdomadaire La Nation, qui fête en même temps ses cinq ans et commémore une année de silence imposé. Silence strié de signes de solidarité active : une semaine de chroniques quotidiennes dans Le Soir de Bruxelles, un dossier sur les législatives publié par Libération. Des articles et des interviews dans Le Quotidien d’Oran, dont le rédacteur en chef essuiera les foudres verbales du ministère de l’Intérieur. Malgré le diktat d’une censure déguisée en contentieux financier, La Nation se glisse modestement dans les interstices que la mondialisation offre à l’expression : apparitions sur Internet, participations à des débats télévisés, conférences publiques, distinctions internationales, une campagne d’abonnements de solidarité… Un an plus tard, La Nation existe toujours et les confrères étrangers de passage à Alger savent bien qu’il faut faire un crochet par La Nation si on veut entendre un autre discours. Mais pour ses lecteurs algériens, amis ou adversaires, La Nation fait cruellement défaut. La pensée unique est plus que jamais là, arrogante sous son déguisement néo-pluraliste. Elle se paie de mots en insultant tous ceux pour qui le drame vécu par les Algériens est une réalité douloureuse, et la « normalisation » une imposture.

A l’occasion d’une des nombreuses suspensions de La Nation lors de l’année 1996, le ministère de l’Intérieur avait reproché au journal de « troubler la quiétude générale » en publiant un dossier sur la situation désastreuse des droits de l’homme puis en attirant l’attention sur les dérives des milices. En réduisant au silence La Nation, le pouvoir a-t-il enfin rétabli la « quiétude générale » ? Difficile de le dire après ces terribles mois de massacres et d’horreurs. L’image de l’Algérie si chère à nos dirigeants, plus chère que l’Algérie elle-même, s’est-elle améliorée ? Difficile de le croire à lire ce qui s’imprime partout dans le monde. En fait, tous les censeurs et les dictateurs croient qu’ils font « baisser la fièvre en cassant le thermomètre » et qu’ils maîtrisent le réel quand ils empêchent de le désigner. Si l’interdiction, même déguisée, de La Nation avait permis la résolution de la guerre, nous aurions été les premiers à l’applaudir. Mais tel n’est visiblement pas le cas.

Salima Ghezali

 

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