Une presse dans le collimateur de l’Etat

Une presse dans le collimateur de l’Etat

De la liberté à l’ostracisme ?

Aït-Chaâlal Mouloud, Le Jeune Indépendant, 22 janvier 2001

La presse écrite voit poindre à l’horizon une nouvelle menace depuis que l’Etat semble engagé dans un nouveau code pénal qui réserve à la corporation un chapitre sévère. De nouvelles dispositions sont prévues dans l’avant-projet du texte de loi pénal. Amendes obèses pouvant atteindre cinq millions de dinars et des peines d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans. Ces dispositions visent, selon leurs promoteurs, à «préserver les institutions et les corps constitués de l’Etat des offenses, injures et diffamations». Cette nouveauté dans les textes de loi n’a pas manqué de susciter les réactions des éditeurs de journaux qui s’interrogent sur les motivations ayant conduit à l’élaboration de pareilles dispositions.
Ces mesures, qui seront soumises à l’appréciation du Parlement, sont a priori perçues comme une volonté d’asphyxier la presse par des moyens répressifs. L’ère de la terreur judiciaire risque, selon eux, de succéder à celle de la barbarie terroriste. Une centaine de travailleurs de la presse sont tombés sous les balles assassines des groupes armés terroristes et aujourd’hui plusieurs d’entre eux subissent les pires tracasseries en exerçant leur métier. C’est aujourd’hui, laissent-ils entendre, une nouvelle croisade qu’on veut mener contre la presse, une croisade visant au demeurant à porter un sérieux coup de canif à l’héritage d’octobre 1988.
Pour les éditeurs, il existe chez l’autorité publique un farouche désir de mener une guerre à la presse. De nombreux indices confortent, selon eux, cette thèse. Le président Bouteflika avait révélé ce qui attendait la presse écrite lorsqu’il a affirmé récemment qu’il était « intolérable que la presse puisse diffamer pour la modique somme de 1 000 DA». Il fallait, à ses yeux, lui faire payer plus. Le ministre de la Communication et de la Culture avait évoqué un retour à l’imprimatur comme moyen de «prévenir les excès et dérapages de la presse écrite». Une telle mesure sous-tend, selon l’appréciation des professionnels des médias, une tendance visant à réduire, à terme, la presse à sa plus simple expression, celle qui consiste à répercuter la vision officielle et la langue de bois. Car prévoir un code pénal aussi musclé est vu comme un moyen d’amener la presse à l’autocensure, même précautionneuse, et vers une porte ouverte aux manœuvres visant son asservissement et son inféodation à des desseins inavoués.
Dans la même veine, le principe de la «diffamation» risque de servir de prétexte à tous les dérapages. Il n’est pas exclu que n’importe quoi puisse être assimilé à de la diffamation. Il était un temps où même le pouvoir diffamait et faisait feu de tout bois pour dénigrer les courants qui lui sont opposés, qualifiant certains d’entre eux de «traîtres», alors qu’un ancien ministre accusait la presse d’être la cause de tous les maux qui gangrènent le pays. Dès lors, pour les éditeurs, les pratiques envisagées ne concourent pas à la promotion de la presse, mais augurent de mauvais jours, d’un retour à l’ostracisme. A leurs yeux, il s’agit là de signes tangibles d’un retour à un passé détestable tant il n’est pas du tout exclu que la volonté obéisse à une logique qui consiste à faire taire les voix qui dérangent. Toutefois, les mesures envisagées par l’Etat ont fait dire à certains professionnels des médias que c’est là l’occasion d’une nécessaire relance d’un débat dépassionné sur la libre expression qui inclurait tous les protagonistes, et cela, dans la perspective de délimiter, plus clairement, les plates-bandes qui ne doivent pas être piétinées que ce soit par l’Etat ou par le
journaliste. A.-C.M.

 

 

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