Le sénat bloquerait la loi à la demande de Bouteflika

AMENDEMENT DU CODE PENAL

Le sénat bloquerait la loi à la demande de Bouteflika

Mounir B., Le Quotidien d’Oran, 4 juin 2001

Le président Bouteflika va-t-il demander le retrait du projet de loi relatif à l’amendement du code pénal sur la presse ? Des informations insistantes ont fait état, hier, d’une «instruction» présidentielle adressée à Mohamed Chérif Messaadia, président du sénat, où il serait question du blocage de la loi.

A la veille de la discussion en plénière, ce mardi, par les sénateurs, cette information, qui demeure au stade de l’hypothèse, risque de faire l’effet d’une bombe si elle se confirmait. Le projet de loi en question a fait l’objet d’un vote favorable de la part du Parlement lors d’une séance houleuse, marquée par des échauffourées et une rixe verbale entre députés. L’amendement, qualifié de «scélérat» par l’ensemble de la presse indépendante, devait être entériné par le sénat avant sa promulgation par le président de la République et sa publication dans le Journal officiel. Or, la saisine par Bouteflika du cabinet du sénat serait intervenue entre-temps, afin de mettre fin à une polémique et une contestation du «projet Ouyahia» qui ont atteint leur paroxysme ces dernières semaines.

Le scénario qui semble s’ébaucher à la veille de ce 5 juin, où les membres du sénat auront à se prononcer sur le projet de loi, semble déjà peaufiné. A en croire des observateurs avertis de la scène politique, la majorité FLN-RND dominante au Conseil de la nation, renforcée par le tiers présidentiel, aurait été sensibilisée sur la «nécessité» que cette loi soit rejetée dans la conjoncture actuelle. Pour ce faire, deux recours légaux sont possibles pour le président Bouteflika. Soit soumettre le document incendiaire à une seconde lecture, soit saisir directement le Conseil constitutionnel pour déterminer la constitutionnalité de certains articles du code relatif à l’exercice de la presse. Ceci ne pouvant intervenir qu’après la plénière de ce mardi. On semble pourtant s’acheminer vers une troisième voie qui verrait les sénateurs rejeter un des articles de ce code pour pouvoir l’envoyer aux calendes grecques. Un travail de sensibilisation aurait été mené par des émissaires de la présidence, et par Messaadia lui-même, auprès des sénateurs du FLN et du RND, largement responsables à l’APN de la première adoption, pour que le texte soit bloqué et n’atteigne jamais la promulgation. Deux exemples confortent cette thèse sur des projets de loi controversés. Le sénat avait rejeté la loi sur la publicité en 1998 et le statut de la magistrature, lorsque les sénateurs ont voté contre sept articles de ce statut proposé par l’ancien ministre Lahbib Adami. Ces deux lois n’ont plus été déterrées depuis. Dans ce cas de figure, il est fort probable que ce soit l’article 144 de ce code, qui a été musclé par la copie rendue par Ouyahia, qui aurait toute «l’attention» des sénateurs. Un article qui prévoit une multiplication des peines de prison pour les journalistes et des amendes financières colossales pour les journaux accusées de diffamation. Ce que confirme un ancien sénateur, Mokrane Aït Larbi, habitué des moeurs politiques et procédurières du sénat: «Il suffit qu’un seul article soit rejeté pour que toute la loi soit bloquée. Au regard des développements récents dans le sénat, il est vraisemblable qu’on aille vers le retrait de ce texte». Restera au sénat la commission mixte qui réexaminera le texte, mais ce qui paraît invraisemblable du moment qu’elle n’a jamais été activée.

Ainsi, la balle est dans le camp des sénateurs. Si la volonté du président Bouteflika est réelle de bloquer ce texte, ce serait un coup de théâtre politique que même les professionnels des médias n’avaient pas prévu, tant ils étaient convaincus que Bouteflika irait jusqu’au bout de sa logique. Il n’est pas non plus à écarter que ces «instructions» vers le sénat – dont Messaadia a pris le contrôle intégral – soient suivies par des sénateurs qui ne peuvent «contrarier» le président.

Le pouvoir jouerait dans ce cas l’apaisement, en ayant comme arrière-fond l’impératif vital de calmer les esprits de l’opinion publique nationale, à cran après les évènements de Kabylie. Ce scénario n’est pourtant pas acquis, malgré qu’il soit vivement souhaitable pour la démocratie.

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