Mahmoudi joue encore

Mahmoudi joue encore

A propos de son livre « les nouveaux boucs émissaires »

A. Dahmane et B. Karim , des lecteurs assidus (Alger), Libre Algérie n° 56, 23 octobre-5 novembre 2000

Un de vos confrères quotidiens a favorablement accueilli la sortie de la dernière production rédactionnelle du directeur de l’ex-Hebdo libéré. Cela nous a incités à le lire et à vous écrire. On croyait que dans cette longue dépêche, l’auteur allait se repentir de la position antinationale (l’Algérie des deux peuples. et un discours guerrier à outrance) qu’il a défendue avec acharnement durant la première moitié de la décennie 90. Dans les Nouveaux Boucs émissaires, par des subterfuges attentatoires à l’intelligence humaine, il essaie péniblement de se dédouaner de ses graves errements en s’attaquant à El Hadi Chalabi, auteur de la Presse algérienne au-dessus de tout soupçon, en exploitant grossièrement quelques failles factuelles accessoires. En s’attaquant aussi à toutes les personnalités et publications qui ont milité pacifiquement pour la paix et le pluralisme dans l’unité nationale pendant la décennie 90. Ce sont eux les boucs émissaires qu’il présente sous les traits haineux de va-t-en-guerre et d’alliés objectifs des criminels qui ont mis à feu et à sang le pays. Incroyable malhonnêteté enrobée de circonvolutions verbeuses qui pourraient faire croire au lecteur naïf qu’il est un preux chevalier de la vérité et de la justice.

Au nom d’une pseudo solidarité de la presse algérienne, il se fait l’avocat

d’El Watan, de Liberté et d’El Khabar qui, pourtant, ont encaissé silencieusement la thèse de Chalabi. Ne sont-ils pas assez grands pour se défendre eux-mêmes ? Abderrahmane Mahmoudi, grand défenseur et «père» de la presse algérienne plurielle ? Non. Il suffit de relire les numéros d’anthologie guerrière qu’il concoctait avec son ex-associé (à 50%), Mohamed Megueddem, à l’Hebdo libéré et de lire sa nouvelle production rédactionnelle pour comprendre qu’il ne s’est pas fondamentalement remis en cause, intellectuellement parlant. Excepté un passage où il affirme que «Larbi Belkheir a joué un rôle décisif dans l’entreprise consciente de perversion du processus démocratique» ; ce qui est notre conviction. Pour tout le reste, on retrouve la même fourberie ou inconscience qui caractérisaient les écrits de son hebdomadaire.

A l’époque, dans un article intitulé «Betchine darb khechine», il avait accueilli avec délectation la montée du général Betchine à la présidence zeroualienne. Aujourd’hui, il tente méthodiquement de le mettre en pièces. Hier, il tombait à bras raccourcis sur Omar Belhouchet, aujourd’hui il le porte aux nues. Il lui accorde le label garanti «d’antimilitariste», un label qu’il dénie à des acteurs pacifistes connus et reconnus de la scène publique. Hier, il présentait Chadli Bendjedid dans des oripeaux de fossoyeur de la république, aujourd’hui il en fait le représentant de la fraction libérale et démocrate qui s’est retrouvé le dos au mur.

D’après Mahmoudi, le Nouvel Hebdo, ancêtre de l’Hebdo libéré, était le porte-voix du courant démocrate libéral du président Chadli. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est ce qu’écrit Mahmoudi. Hier, il écrivait que le général Beloucif a été victime d’un complot ourdi par les pro-francais à cause d’un contrat de radars militaires ; aujourd’hui, il affirme que cette thèse n’est que propos de sérail. Bref, il y a dans ce livre un jeu déroutant fait de leurres balancés dans tous les sens.

L’auteur, on le devinait déjà dans l’Hebdo libéré, voue une fascination extrême pour les services de renseignements et les intrigues de toutes sortes. Dans les Nouveaux Boucs émissaires, il s’étale longuement sur les activités réelles ou supposées de ces services, en exprimant fréquemment son admiration pour le général Toufik.

Au moment où l’on s’y attend le moins, il soutient que le colonel Salah, de la DRS, n’a pas nécessairement été tué par des terroristes islamistes. D’après lui, «sa disparition brutale a très probablement un lien avec sa participation à un mouvement d’officiers supérieurs qui, face à l’entêtement d’Ali Kafi de se maintenir au pouvoir, décident d’installer à la présidence de l’Etat le général Liamine Zeroual, sans passer par la fameuse conférence nationale de janvier 1994. Quelques journalistes, dont deux ont été par la suite contraints à l’exil, et un autre a été assassiné, avaient été approchés pour assurer la partie médiatique de l’opération». C’est la première fois qu’une telle version est avancée. Elle confirme – ce que soutient le chercheur universitaire Chalabi – que des journalistes trempaient dans des «opérations».

A l’exception de ce passage novateur et de celui sur Larbi Belkheir, le dernier bouquin de Mahmoudi n’est finalement qu’un tissu de leurres politico-médiatiques qui, loin d’éclairer le lecteur à mieux comprendre les enjeux et les rôles des uns et des autres dans la tragédie actuelle, contribue à le dérouter et à l’emmener sur de fausses pistes. C’est là la fonction principale de cette longue dépêche intitulée les Nouveaux Boucs émissaires, digne des services psychologiques de l’univers de Georges Orwell, que signe Mahmoudi. Quant à vous à Libre Algérie, nous vous remercions des efforts que vous consentez dans d’adversité et le brouillard général qu’on veut nous imposer. Bon courage.

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