A Alger: « Le pouvouir… »

A Alger : « Le pouvoir ne pourra pas imposer ce qu’il veut sans véritable résistance »

Le Monde, 16 avril 1999

TRÈS TÔT dans la journée de mercredi, le siège du Front des forces socialistes (FFS) est grouillant d’animation. Des dizaines de militants du parti de Hocine Aït Ahmed sont là, mêlés à la presse algérienne et étrangère. Des voitures individuelles et des bus collectifs arrivent, chargés d’hommes en colère. Un vieil homme demande à voir un responsable. Il proteste : « Dans le bureau de vote ils ont laissé rentrer le représentant de MSP [Mouvement de la société pour la paix, islamiste, pro-gouvernemental], du FLN et d’Ennahda. Moi ils m’ont dit que mon nom ne figurait pas sur la liste. » Des cadres du FFS enregistrent les récits et rédigent les rapports. Des jeunes n’y vont pas par quatre chemins pour dire toute leur haine pour ce « régime de dictature ».

On évoque un possible retrait des candidats, à commencer par celui de Mokdad Sifi. C’était déjà une énorme surprise de l’avoir retrouvé la veille avec les cinq autres candidats qui, eux, avaient fait de la question de la « fraude » un de leurs principaux axes de campagne. Le compter dans une rébellion déclarée au pouvoir provoque l’incrédulité.

A 11 h 30, au PC de campagne de Mouloud Hamrouche, le candidat réformateur, l’atmosphère est au combat. Les partisans de l’ancien chef de gouvernement dénoncent la fraude et estiment que les autres candidats ne doivent pas la cautionner. Mouloud Hamrouche est très critique à l’encontre du système sans pour autant annoncer son retrait de la course.

Retour au siège du FFS, devenu quartier général de la contestation. Les militants ont continué d’affluer pour apporter les « preuves de la fraude ». Vers 13 h 30, arrivent les « présidentiables ». La rumeur court : « Sifi ne viendra probablement pas. » Pourtant, à 14 h 30, il est là avec les autres.

« LA FIN DE QUELQUE CHOSE »

Les candidats montent sur l’estrade. L’islamiste Abdallah Djaballah lit le communiqué du retrait en langue arabe et Djamel Zenati, directeur de campagne du FFS, la version française. Les journalistes algériens applaudissent sous les yeux surpris des militants et des partisans des autres candidats. « Pour la première fois, on a le sentiment que le pouvoir ne pourra pas imposer ce qu’il veut sans véritable résistance », dit un journaliste. Quelqu’un remarque que, Aït Ahmed mis à part, les cinq autres candidats sont tous issus du système contre lequel ils se rebellent. « C’est bien la fin de quelque chose. Et c’est tout un symbole de les retrouver chez le plus ancien opposant au pouvoir militaire », dit un participant.

M’hamed Yazid, vieux routier du mouvement national, est très entouré. Malgré son âge, il s’était engagé avec vigueur dans la campagne en faveur de Mouloud Hamrouche. Il a repris sa plume pour pourfendre le système. On lui doit déjà le concept de « cabinet noir » à la tête du pays, qui vient s’ajouter à celui très en vogue de « mafia politico-financière ». Yazid défend l’option du retrait, retrouve des airs du révolutionnaire de jeunesse : « Si la démocratie ne vient pas par les urnes, elle sera prise en charge par la rue. »
Pendant ce temps, la télévision algérienne a diffusé en boucle une bande-annonce du discours de Liamine Zeroual. Comme si de rien n’était. Rien sur l’annonce du retrait du « groupe des six ». Mais comme les Algériens sont branchés sur les chaînes étrangères (arabes et françaises), ils savent déjà que l’élection ne se déroulera pas de la manière prévue par le pouvoir. Quelques voitures commencent à sillonner les rues de la capitale en appelant les habitants à ne pas aller voter jeudi. D’autres voitures, de la police celles-là, se retrouvent dans le centre-ville, toutes sirènes dehors. Au cas où… Mais la nuit sera calme.