La manifestation antifraude interdite à Alger
L’opposition appelle à un nouveau défilé le 6 mai.
José Garçon, Libération, 27 avril 1999
Hélicoptère survolant la ville, policiers antiémeutes casqués et munis de boucliers, fourgons de police à tous les carrefours: pour la seconde fois en dix jours, les autorités algériennes ont imposé leur volonté d’empêcher toute contestation, fût-elle pacifique, du nouveau chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika. Dès le milieu de la matinée, hier, la police s’est ainsi déployée massivement dans le centre d’Alger pour faire respecter l’interdiction de toute manifestation à la veille de son investiture. «Face à un tel déploiement», les organisateurs ont annulé in extremis leur mot d’ordre, mais en ont lancé un autre pour le 6 mai. Du coup, le rassemblement prévu n’a pas eu lieu, contrairement à ce qu’il s’était passé au lendemain du scrutin du 15 avril, où quelques centaines de manifestants qui avaient bravé l’interdiction s’étaient fait matraquer par les forces de sécurité qui avaient interpellé une quarantaine de personnes.
Cette nouvelle interdiction, à laquelle le gouvernorat du Grand-Alger n’a fourni aucune explication, ne constitue pas vraiment une surprise, même si les autorités ne peuvent plus la justifier par «l’absence de demande d’autorisation» mise en avant pour empêcher le rassemblement du 16 avril. Cette fois, l’opposition avait fait sa demande en bonne et due forme depuis une semaine. Mais Alger ne peut assumer ni à l’intérieur du pays ni face à ses partenaires étrangers une démonstration de force de l’opposition au cour de la capitale à moins de vingt-quatre heures de la prestation de serment d’un président dont l’élection pour «fraude massive» est très contestée par ses six adversaires, Hocine Aït-Ahmed, Abdallah Djaballah, Mouloud Hamrouche, Taleb Ibrahimi, Youcef el-Khatib et Mokdad Sifi. Ayant privé le pouvoir de tout prétexte administratif, ces derniers ont évidemment beau jeu de porter plainte contre une telle décision et surtout de crier à «l’interdiction politique pure et simple». «Nous dénonçons l’obstination du pouvoir à violer les lois et à attenter aux libertés individuelles et collectives, en interdisant des marches pacifiques et en poursuivant des actes de provocation, de répression, d’intimidation et des arrestations», affirmait dès hier soir un communiqué des «six» en soulignant leur «attachement au combat pacifique» et en «appelant les Algériens à poursuivre le combat par des moyens légaux, afin d’imposer le respect de leurs libertés et le plein exercice de leurs droits politiques».
Certes, les ex-candidats peuvent se féliciter d’avoir associé à leur protestation Mokdad Sifi, alors que celui-ci refuse le principe des manifestations de rue «qui ne sont pas dans sa culture politique». Mais la détermination du pouvoir à les empêcher de porter la contestation dans la rue pour prouver que le nouveau chef de l’Etat n’a, en fait, aucune légitimité populaire, les place dans une situation difficile. Elle prive d’un levier décisif les principaux candidats, Aït-Ahmed, Djaballah, Hamrouche et Ibrahimi, qui ont montré pendant la campagne qu’ils mobilisaient des secteurs importants de la société. Ce faisant, elle les contraint ou à s’incliner ou à outrepasser l’interdiction, ce qui, dans un pays où les provocations sont monnaie courante, risque de se terminer en bain de sang. Une responsabilité qu’aucun des candidats ne peut assumer. «Nous refusons d’exposer les Algériens, comme nos militants et nos sympathisants, à des affrontements incontrôlables», remarque-t-on dans leur entourage.
Les «six», qui, en dépit de leurs différences, semblent inscrire leur action dans la durée, et donc dans le maintien de leur cohésion, entendent cependant multiplier les initiatives. Elles vont de l’organisation d’un meeting, la semaine prochaine à Alger, au boycottage, ce matin, de la cérémonie d’investiture de Bouteflika. L’opposition, qui multiplie les réunions marathons au siège du FFS (Front des forces socialistes), s’apprête en outre à rendre public un long manifeste pour les libertés.