« Nous ne soutenons aucun candidat »

« Nous ne soutenons aucun candidat »,
affirme Ronald Neumann

Omar Belhouchet, El Watan, 10 Avril 1999

Ronald Neumann est l’architecte de la nouvelle politique américaine à l’égard de l’Algérie. Ancien ambassadeur en Algérie (1994-1997), il passe pour l’un des meilleurs connaisseurs du monde musulman au sein de l’Administration américaine. Il livre, en tant qu’assistant au secrétaire d’Etat pour le Maghreb et le Moyen-Orient, ses analyses aux lecteurs d’El Watan.

Les Etats-Unis semblent accorder un intérêt particulier à l’élection présidentielle du 15 avril. Peut-on en connaître les raisons ?
Depuis 1993 au moins, nous pensons qu’une paix et une stabilité de longue durée en Algérie requièrent des réformes politiques et économiques ainsi que des mesures visant à améliorer la sécurité. Depuis l’élection du président Zeroual en novembre 1995, nous avons suivi avec attention les derniers développements politiques en Algérie, y compris la difficile lutte contre le terrorisme, les premiers pas vers une réconciliation nationale et l’émergence d’un Parlement multipartisan. Alors que l’Algérie aborde une nouvelle étape de grande importance avec l’élection présidentielle du mois prochain, nous maintenons un intérêt profond et nous encourageons les efforts algériens dans la poursuite de l’élan démocratique tel qu’il a été initié au sein des institutions nationales. Avec la décision du président Zeroual de donner sa démission du poste de président, l’Algérie aborde une étape extrêmement importante de sa transition démocratique. En fin de compte, cette élection déterminera peut-être à quel point les Algériens auront foi en la continuation du processus des réformes politiques et dans quelle mesure tous les Algériens auront une possibilité significative de participer au processus politique de leur pays. En autorisant et, plus encore, en aidant à la mise en ouvre de l’expression ouverte et crédible de la volonté du peuple algérien, le gouvernement algérien est en mesure de permettre à ces élections de transformer cette promesse en une réalité; une réalité, qui, nous l’espérons, apportera paix et stabilité pour tous les Algériens.

Peut-on dire que votre pays soutient, mais de manière critique, la politique des autorités algériennes ?
En 1996, lorsque l’ancien adjoint du ministre des Affaires étrangères, Robert Pelletreau, visitait Alger, nous avons défini une politique dite de «Positive Conditionality», c’est-à-dire qu’aussi longtemps que le gouvernement algérien poursuivrait sa politique de réformes politiques et économiques et sa politique de réconciliation nationale, nous le soutiendrions activement dans cette direction. Nous suivons toujours cette politique aujourd’hui. Je voyageais en mars 1998 à Alger avec l’adjoint du ministre des Affaires étrangères, Martin Indyk, lorsque ce dernier a réaffirmé notre soutien pour une politique de libéralisation économique et politique sous réserve du respect de l’Etat de droit telle que le président Zeroual l’avait détaillée lors de son élection. Nous avons apporté notre soutien à chaque nouvelle étape des réformes économiques et à chaque avancée dans le domaine de la démocratie, et nous avons pris note également lorsque parfois la situation s’engageait dans une autre direction. Nous désirons poursuivre ce processus de consolidation d’une relation bilatérale solide avec l’Algérie, alors que celle-ci poursuit ses réformes. Nous espérons également toujours, sincèrement, que les efforts accomplis en faveur d’une réconciliation nationale déboucheront sur un avenir de paix au sein duquel tous les Algériens qui rejettent la violence et acceptent les normes démocratiques pourront y participer.

Avez-vous le sentiment que votre politique est comprise en Algérie ?
Notre politique n’est, peut-être, pas suffisamment comprise en Algérie. Je crois que la plupart des Algériens comprennent maintenant la force avec laquelle nous condamnons le terrorisme. Cependant, nombre de gens ne comprennent pas que nous avons toujours cru, que ce soit par le passé ou dans le futur, qu’il était dans notre intérêt de soutenir des solutions de longue durée au présent conflit, celles-ci incluant le fait d’aider à l’enracinement et au développement des réformes politiques et économiques. Par exemple, alors que nous espérons voir l’Algérie organiser des élections démocratiques libres et justes, nous ne soutenons pas un candidat en particulier pour la présidence. Je pense que cela représente un des malentendus que de nombreux Algériens nourrissent à l’égard de notre politique. Parce que nous désirons encourager un progrès continu, l’organisation d’une élection présidentielle, libre, juste et transparente pourrait marquer le début d’une nouvelle phase dans les relations américano-algériennes et un approfondissement des liens entre nos deux pays, en général.

L’Algérie a refusé d’accéder à la demande des Etats-Unis d’envoi d’observateurs pour le scrutin du 15 avril. Quels sont vos commentaires à ce sujet ? Ce refus va-t-il modifier votre regard sur ce qui est entrepris actuellement ?
Le processus électoral algérien relève du domaine de la souveraineté nationale dans lequel les Etats-Unis n’ont ni l’intention ni le désir d’intervenir. En même temps, nous sommes convaincus que l’Algérie, qui a déjà montré la voie durant sa lutte pour l’indépendance, il y a 40 ans, pourrait être un modèle pour le monde arabe en ce qui concerne ses progrès en faveur de la démocratie et du pluralisme. A cet égard, nous avons trouvé encourageantes les assurances publiques et répétées du président Zeroual en ce qui concerne la transparence des élections et son insistance sur la nécessité de la neutralité du gouvernement et de l’Administration dans l’intérêt d’élections démocratiques et sûres. Les étapes proposées par le Premier ministre Hamdani pour l’amélioration du processus électoral sont également très importantes. Nous espérons que tous les efforts seront faits afin d’assurer que chaque échelon de l’Administration étatique agira en accord avec cette consigne qui vise à assurer la transparence, la liberté et la légalité de cette élection. Ces déclarations, et finalement, les actes du gouvernement sont des mesures importantes pour la crédibilité.
Ainsi que vous l’avez souligné, nous avons offert notre assistance aux efforts accomplis en vue de l’organisation d’élections transparentes, en particulier en offrant de fournir des observateurs internationaux. Nous reconnaissons le rôle important qu’un puissant corps d’observateurs nationaux, bien entraîné, peut jouer lorsqu’il s’agit d’assurer la crédibilité, et nous soutenons pleinement les efforts algériens allant dans ce sens. La présence d’observateurs, ainsi que l’accès complet et ouvert durant la campagne électorale et durant les élections aux médias nationaux et étrangers est un moyen important de renforcer la crédibilité du processus aussi bien au niveau national qu’international. Il existe d’autres moyens cependant, et certains sont déjà compris dans les réformes que le gouvernement s’est engagé à assumer, par exemple le fait que les représentants des candidats à l’élection reçoivent une copie des procès-verbaux des bureaux de vote et le fait que le nombre de bureaux de vote itinérants ait été réduit. Nous sommes déçus que les Algériens aient décidé de ne pas inviter des observateurs électoraux pour la prochaine élection parce que nous estimons que la présence de ces derniers aurait été un moyen important de renforcer la crédibilité de l’élection. Cependant ce n’est pas le seul moyen d’assurer la crédibilité de l’élection. Nous espérons qu’il y aura plus d’ouverture en ce qui concerne les académiciens et les journalistes étrangers. Cependant, et en fin de compte, c’est au peuple algérien qu’il appartient de décider de la crédibilité de cette élection.

Vous êtes de ceux qui pensent, au sein de l’Administration américaine, que l’Algérie vit dans la douleur la plus extrême, il est vrai, de profondes mutations. Est-ce dû à votre connaissance approfondie de la réalité algérienne, puisque vous avez passé trois années en tant qu’ambassadeur à Alger ?
L’Algérie est un pays difficile à comprendre. De nombreuses politiques, de nombreux intérêts y coxistent qui tirent tous dans des sens différents. La crise, d’après de nombreux Algériens, a mis longtemps à se développer. Elle touche la société entière, et le changement est donc douloureux. J’ai remarqué que pour chaque pas en avant accompli dans le domaine de la réforme politique, on observe un pas de côté ou un demi-pas en arrière, et cela fait qu’il est difficile pour les observateurs, y compris algériens, d’avoir confiance en la direction prise par les évènements politiques. Et cependant, je crois fermement qu’il y a eu du changement. Il existe maintenant un parlement qui est très différent du CNT qui occupait les mêmes chambres au moment où je me suis rendu en Algérie en 1994. Il existe des promesses de changement dans la procédure électorale pour cette élection. La poursuite de l’avancée vers un respect réel de l’opinion des Algériens sera un travail de longue haleine, mais un travail possible néanmoins. Il sera également difficile pour les Algériens d’apprendre que pour que la démocratie marche, il faut avoir recours au compromis, il faut travailler patiemment les uns avec les autres, il faut chercher des terrains d’entente. C ‘est une nouvelle culture politique. Je constate par bien des signes que cela a commencé, mais il faut du temps et de la patience.

L’opinion publique algérienne reproche à l’Administration américaine son soutien à l’islamisme politique en Algérie. Qu’en est-il réellement aujourd’hui ?
Nous n’avons jamais apporté notre soutien à une idéologie ou faction particulière en Algérie. Nous soutenons et avons toujours soutenu, en revanche, une politique favorisant la libéralisation économique, le pluralisme politique et l’amélioration de l’Etat de droit et des droits de l’homme. Ce qui est essentiel pour la démocratie est qu’un parti élu à un moment donné puisse toujours être battu à un autre moment si le peuple le veut ainsi. Accepter de quitter le pouvoir et cependant désirer l’obtenir, voilà qui forme les bases de la démocratie. Evidemment, nous sommes absolument opposés à l’usage de la violence pour gagner ou garder le pouvoir.

Vous tentez depuis quelques mois de mettre au point avec les trois pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) une relation privilégiée aux plans économique, financier et commercial. La démarche semble ambitieuse. A-t-elle des chances d’aboutir ?
Les pays de l’Afrique du Nord ont fait d’excellents progrès en parvenant à une stabilisation macroéconomique qui est un élément-clé pour les entreprises américaines à la recherche de partenaires pour le commerce et l’investissement. Tous les Etats du Maghreb ont instauré des réformes économiques structurelles en vue d’ouvrir les marchés et de faciliter l’investissement et le commerce. Déjà, on peut constater l’accroissement de l’intérêt des investisseurs commerciaux américains, que ce soit à propos des hydrocarbures et des projets pharmaceutiques en Algérie ou des centrales énergétiques, du textile et des biens de consommation au Maroc et en Tunisie. Ces investissements apportent des salaires plus élevés aux travailleurs locaux et le transfert de technologie et le savoir-faire commercial aux économies nord-africaines. Une dérégulation accrue des marchés, jointe à une stabilité macroéconomique soutenue, renforcerait l’intérêt des entreprises américaines vis-à-vis de la région nord-africaine, nous chercherons d’ailleurs de nouveaux moyens de travailler avec les gouvernements du Maghreb pour promouvoir des réformes plus rapides et des accords commerciaux plus importants. En particulier, la facilitation du transit des biens et des capitaux au sein des pays de l’Afrique du Nord aiderait à la création d’une économie régionale comptant presque 70 millions de consommateurs, ce qui serait particulièrement intéressant pour les entreprises américaines.

N’y a-t-il pas, à cet égard, entre la France et vous une compétition pour la domination de cet important marché, tout en contenant par le fond le poids de l’Europe ?
Nous nous battons pour le business, pas pour la domination. Pourquoi chercherions-nous à dominer alors que notre technologie est déjà la meilleure du monde. La domination apporte le ressentiment de ceux qui sont dominés. La compétition apporte des bénéfices aux deux côtés et construit de nouveaux types de relations. L’Europe a traditionnellement été le principal partenaire commercial du Maghreb, mais les intérêts commerciaux américains dans la région sont en train de croître de concert avec le développement des économies de cette région. Les pays de l’Afrique du Nord ont aussi rejoint ou du moins espèrent rejoindre l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a établi les règles de jeu pour la compétition au niveau du commerce mondial. Des réformes économiques nord-africaines plus rapides et plus approfondies et le développement graduel d’un marché régional maghrébin accéléreraient l’investissement du secteur privé des Etats-Unis et de l’Europe et accéléreraient la création d’emplois à travers toute l’Afrique du Nord.

Mme Clinton a effectué une tournée au Maghreb, mais sans visiter l’Algérie. Y a-t-il une raison à cela ?
La visite de Mme Clinton dans trois pays amis avait été prévue il y a longtemps déjà. Nous espérons que dans le futur, elle aura la possibilité de faire une visite en Algérie.

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