A. Sellal, ministre de l’Intérieur: « Priorité à ceux qui participent au scrutin »

ABDELMALEK SELLAL, ministre de l’Intérieur,

«Priorité à ceux qui participent au scrutin»

Salima Tlemçani et Mohamed Tahar Messaoudi, El Watan, 22 mars 1999

C’est un ministre très décontracté et bien à l’aise qui nous a reçus dans son bureau pour nous parler sans ambages de toutes les questions liées à l’actualité. Il promet la neutralité de son administration et menace les «fraudeurs» de sanctions pénales.

Le président de la République s’est engagé à organiser une élection crédible. Comment comptez-vous concrétiser cet engagement dans les faits ?
Nous avons déployé un important système de contrôle. Un personnel qualifié et assermenté a déjà été réquisitionné. Nous allons également détacher des cadres du ministère pour assurer l’inspection des bureaux de vote et des membres des services structurés pour vérifier sur les lieux le bon déroulement du scrutin. Nous aurons donc nos propres policiers pour contrôler l’opération de vote depuis l’ouverture du bureau jusqu’à la fin du dépouillement.
Le magistrat sera chargé de centraliser les résultats au niveau des wilayas.
Nous donnerons à chaque représentant de candidat une copie du procès-verbal de dépouillement dans les bureaux et au niveau de la commune.
Le procès-verbal du recensement du vote sera remis au président de la Commission communale du contrôle de l’élection présidentielle (ccisep). C’est toute une batterie qui sera donc mise en branle par l’Administration pour assurer un scrutin propre. Comment voulez-vous qu’ il y ait fraude avec tout cela?

Pourtant les partis politiques redoutent sérieusement l’intervention de l’Administration…
Quand les partis politiques ont été reçus par le président de la République, ils étaient unanimes à affirmer que le seul moment où il peut y avoir trafic, c’est lors de l’établissement des procès-verbaux de dépouillement. Comment peut-on le faire aujourd’hui avec tout le dispositif mis en place et la présence des représentants des candidats dans les bureaux de vote ? Je réaffirme qu’il faudra que les représentants des candidats soient en mesure de jouer leur rôle parce que le plus grand travail de contrôle leur reviendra. Il faudra également qu’ils coordonnent leurs efforts et aident l’Administration, bien organiser le rendez-vous électoral. Je suis à l’aise parce que j’ai un dispositif légal qui me permet de sanctionner toute personne qui fraude. Les textes sont clairs. Est punie de cinq à dix ans de réclusion toute personne qui touche aux bulletins de vote, aux procès-verbaux … Ce n’est pas de la rigolade. Il en est de même pour celles qui toucheront aux listes électorales. Un emprisonnement de trois ans est prévu pour tout citoyen qui sera inscrit sur deux listes.

Mais lors de la dernière élection, de nombreux représentants des candidats ont été évacués de force par les membres des services de sécurité des bureaux de vote…
Les instructions que j’ai données sont claires. Les membres des services de sécurité n’ont pas à être à l’intérieur des bureaux de vote, sauf réquisition du chef de bureau. Leur mission est d’assurer la sécurité à l’extérieur des bureaux et non à l’intérieur. Des sanctions seront même prises dans le cas où il y a un manquement à ces instructions. Il existe des textes dans ce sens et nous allons les rappeler par voie de presse.

Le vote des corps constitués a toujours été sujet à controverse. Avez-vous pris des mesures cette fois-ci pour éviter qu’il y ait fraude?
Les corps constitués – gendarmerie, police, ANP, gardes communaux et douanes – sont mobilisés le jour de l’élection pour assurer la sécurité. Ils voteront soit quarante-huit-heures soit vingt-quatre heures avant le 15 avril. Il faut signaler qu’avec la réduction des bureaux itinérants, les citoyens vont se déplacer dans des régions enclavées pour aller voter. Il faudra assurer leur sécurité et celle des urnes. Pour ce scrutin, il a été décidé de permettre aux représentants des candidats et des commissions de contrôle d’assister à toute l’opération de vote à l’intérieur des casernes, des autres bureaux, où les autres corps des services de sécurité votent généralement. Ils ont la possibilité de suivre le transport de l’urne vers le centre de vote avec le président du bureau et d’y passer la nuit jusqu’au dépouillement. Cela est le cas également pour l’opération de vote de l’émigration.

Quel est le nombre des électeurs ?
Les électeurs inscrits sont au nombre de 17 495 707, y compris les Algériens en âge de voter et installés à l’étranger.

Ne pensez-vous pas que ce nombre est un peu exagéré ?
Non, pas du tout. Lors de la dernière élection présidentielle en 1995, le corps électoral était de 15 969 930. Lors des élections municipales, il était de 15 817 306, il faut ajouter à ce chiffre le nombre des Algériens en âge de voter et qui vivent à l’étranger. Selon le recensement de 1997 établi par l’ONS, le nombre de la population algérienne âgée de 18 ans et plus représente
18 678 394. La différence, ce sont les personnes qui ne sont pas inscrites et donc qui ne vont pas voter. Les trois millions d’électeurs que le candidat Taleb-Ibrahimi a qualifiés de volant sécuritaire est un leurre. Il faut savoir qu’avant le scrutin de 1995, nous n’avions jamais eu de fichier électoral fiable. C’était le système du parti unique, les chiffres n’étaient jamais corrects. C’est après 1988 que l’Administration a commencé à inscrire les gens plus ou moins correctement. En 1962, lors de l’élection de la première assemblée constituante, le corps électoral était de 6 594, il a évolué pour atteindre lors du référendum de 1986 les 11 218 000. Durant la présidentielle de 1988, il a atteint les 12 572 043, et au référendum de 1989, il est passé à 13 000 000, alors que pendant les élections municipales de 1990, il était de 12 800 000, et aux législatives de 1991, il est arrivé à 13 258 000. Il est tout à fait normal que le fichier connaisse une évolution à partir du moment que chaque année il y a une forte population âgée de 18 ans qui vient s’ajouter. Actuellement la population algérienne est de l’ordre de
29 276 467. Pour ce scrutin il y a eu par exemple 304 842 radiations et 859 201 nouveaux inscrits. L’émigration représente actuellement 764 479 (13 087 nouveaux inscrits et 4 170 radiés).

Actuellement beaucoup de choses ont été dites à propos du vote des terroristes de l’AIS et de la collecte des signatures qu’ils ont effectuée pour certains candidats.
Ces terroristes, identifiés, ne peuvent pas voter. Ils ne sont même pas inscrits sur les listes électorales. Les prisonniers peuvent-ils voter ? Eh bien eux aussi ils ne pourront pas se diriger vers les urnes.

Les familles des personnes enlevées par les terroristes réclament l’ouverture des charniers et des puits susceptibles de contenir le corps de leurs proches…
Lorsque les charniers ont été localisés, les services de sécurité les ont ouverts. Parfois nous entamons des recherches qui ne donnent rien, comme cela a été le cas récemment à Sidi Moussa. Le problème qui se pose pour ces familles est d’ordre purement juridique. La loi stipule qu’il faut attendre une période donnée pour pouvoir déclarer le décès et avoir droit à une indemnisation.

Avez-vous une idée sur le nombre de ces cas ?
Il est difficile de les recenser, parce qu’il existe des cas que les parents n’ont pas déclarés. Lorsque j’avais reçu le président de l’association de cette catégorie de victimes, je lui ai proposé l’ouverture d’un bureau au niveau de chaque wilaya afin que l’on puisse avoir une idée sur le nombre au moins, comme nous l’avons fait pour les familles des «disparus».

Justement ces dernières affirment que ces bureaux ont fermé…
Ce n’est pas vrai. Les bureaux fonctionnent normalement partout. Nous avons reçu jusqu’à aujourd’hui 3 100 dossiers et répondu à 400 d’entre eux. Le mécanisme d’enquête et de recherche prend beaucoup de temps.

Les organisations des droits de l’homme parlent beaucoup des dépassements commis par les services de sécurité. Avez-vous été saisi pour ces cas, et qu’avez-vous pris comme mesures contre ces dépassements ?
Allez demander le nombre de policiers qui sont actuellement en prison et vous saurez que ces dépassements ne restent pas impunis.

Les partis qui appellent au boycott auront-ils les mêmes moyens que ceux qui participent au scrutin pour exprimer leur opinion et faire leur campagne ?
La logique veut que l’Etat appelle ses citoyens à voter. Il mettra à la disposition des candidats tous les moyens pour assurer leur sécurité et le bon déroulement de leur campagne. Ceux qui appellent au boycott, ils sont libres de le faire jusqu’au 25 mars. Au-delà, la priorité sera donnée à ceux qui participent au scrutin. Les partisans du boycott auront leurs locaux pour activer. Pour l’Administration, la campagne est faite pour appeler les gens à voter. Nous avons d’ailleurs affirmé cela au MSP. Nous lui avons fait signifier qu’il peut manifester dans ses locaux, mais il n’est pas question d’occuper la rue. Ils ont tenté de le faire, ils en ont été empêchés en cours de route.

Ne pensez-vous pas que les partisans du boycott ont le droit de s’exprimer au même titre que les autres ?
Je vous ai dit tout à l’heure qu’il est du rôle de l’Etat de faire tout pour appeler le citoyen à voter. Je ne vais pas leur interdire de s’exprimer, ils le feront dans leurs locaux. Le programme des salles durant la campagne électorale est très chargé. N’oubliez pas qu’il y a sept candidats et non pas quatre comme le dernier scrutin présidentiel. La totale priorité sera accordée à ces derniers. Nous devons, cependant, protéger l’ensemble des candidats, que ce soit ceux qui participent ou ceux dont les dossiers ont été rejetés. Il faut signaler à propos de ces derniers qu’ils ne bénéficieront pas de la gratuité des salles comme les autres, tout simplement parce que cet avantage entre dans le cadre de la campagne électorale.

De nombreuses Assemblées populaires communales sont au bord de la paralysie du fait des conflits existant entre les membres. Pourquoi l’Administration n’intervient-elle pas ?
Il existe une dizaine de communes qui ne fonctionnent plus pour des rivalités entre les membres du conseil. Les textes sont clairs à ce sujet. Normalement il faut dissoudre l’Assemblée, installer un conseil provisoire et refaire l’élection après six mois. J’allais le faire pour trois communes dans la wilaya de Tizi Ouzou où c’est la paralysie totale. Les travailleurs n’ont même pas pu être rémunérés à cause de cette situation et pendant plus d’une année. Cependant, il y a une élection, donc il faut tempérer. A Alger, ce problème ne se pose pas, parce que les présidents d’APC arrivent toujours à avoir leur majorité. Ils font donc passer leur budget et assurent plus ou moins le fonctionnement des affaires de la commune.

Nous avons l’impression, ces derniers jours, que l’on assiste à une recrudescence des attentats terroristes. Avez-vous pris des mesures supplémentaires pour assurer le bon déroulement de la campagne électorale et du scrutin ?
En termes de dispositif sécuritaire électoral, nous avons une expérience maintenant. Je ne peux tout vous dévoiler. Ce que je peux affirmer, c’est que les candidats seront tous sécurisés, même ceux qui ne participeront pas à l’élection et lors de leurs déplacements, que ce soit dans l’intérieur du pays ou ailleurs. Il ne faut pas se dire qu’il n’y aura rien. Les attaques ciblées contre les populations, les attentats à la bombe sont prévisibles. Il faut rester extrêmement vigilants durant cette période et ne pas croire que c’est terminé.

Jusqu’à maintenant le décret portant annulation du texte consacré à la «tragédie nationale» n’est pas publié. Qu’en est-il au juste ?
Il y avait un problème d’une frange de la société qu’il fallait prendre en charge. Maintenant, nous avons élaboré un autre texte totalement différent du premier et qui va assurer la protection sociale des enfants des familles démunies, conformément aux textes relatifs à la protection sociale. Vous constatez que même la terminologie a changé. Ce projet de texte a été présenté aux associations et elles ont donné leur point de vue. Il va passer par les membres du gouvernement avant d’être signé, ce qui risque de prendre un peu plus de temps.

Un décret portant indemnisation des familles des victimes du terrorisme vient d’être publié. Où allez-vous trouver les fonds nécessaires pour son application ?
Ils seront puisés du fonds de solidarité nationale auquel est consacré un budget annuel.

Vous êtes aussi le ministre chargé de l’Environnement, pourtant on dit que ce secteur est le parent pauvre de votre département…
Non, pas du tout. Je ne pense pas que l’on ne s’intéresse pas à ce secteur. Pour preuve, il y a moins d’un mois, le wali de Annaba a fermé l’usine d’Asmidal pendant quelque temps puis l’a rouverte dès que le taux de pollution a baissé. Il y a un travail qui se fait, mais pour le moment le problème qui se pose au pays n’est pas la pollution en terme moderne, comme dans les pays industrialisés. Il est d’ordre toxicologique. C’est le manque d’hygiène qui engendre des épidémies. En termes clairs, des problèmes des pays sous-développés. Lorsqu’un pays n’arrive pas à contrôler ses réseaux d’assainissement il fait face à des problèmes de santé et d’ordre public.

Les collectivités locales vivent des situations catastrophiques du fait de l’absence de politique de développement…
Il y a quelques années seulement il y avait à peine une trentaine ou une quarantaine de communes qui souffraient d’un déficit budgétaire pour plusieurs raisons : l’augmentation des charges, de la population, de l’absence de ressources financières, etc. Certaines APC faisaient preuve de démagogie, elles ont pris l’habitude de ne compter que sur le budget de l’Etat. Aujourd’hui le nombre de ces communes a atteint les 1 100. L’Etat ne peut pas aider toutes ces communes. Avec l’augmentation des charges il y a des APC qui ne peuvent même pas assurer le paiement des salaires de leur personnel. Le dossier qu’il faut absolument rouvrir, c’est celui des dettes et du financement des communes. C’est une extrême priorité. Si nous n’assurons pas un budget équilibré aux APC, elles ne pourront plus fonctionner.

Mais comment voyez-vous l’assainissement budgétaire de ces communes ?
Il faut d’abord éponger toutes leurs dettes, qui s’élèvent, si je ne me trompe pas, à 27 milliards de dinars. Le terrorisme a beaucoup influé sur le déficit. Il fallait reconstruire les sièges des communes, des écoles, des infrastructures publiques, installer les locaux de la garde communale…

Il y a eu un budget spécial pour les villes sinistrées par le terrorisme…
De nombreuses wilayas justement ont puisé de ce budget. Médéa par exemple a pu reconstruire une bonne partie de ses infrastructures saccagées par le terrorisme. De nombreux projets ont été effectivement lancés dans ce cadre, mais faute de moyens ils ont été gelés. Il y a des choix à faire et une priorité à respecter. Lorsque les moyens le permettront, ces projets seront finalisés. Pour Constantine, la situation est plus grave, le problème du glissement de terrain. Le pont de Sidi Rached est menacé. Ils ont commencé les travaux de réfection, mais faute de financement, ils ont été arrêtés. Il y a des choix, il faut commencer par le plus urgent ; quand il y aura l’argent on verra.

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