Ait-Ahmed le dérangeur

Les élections présidentielles auront lieu le 15 avril prochain

AÏT AHMED, LE DÉRANGEUR

Le président algérien continue de bavarder. Il a précisé  » qu’il veillerait au déroulement normal de ce scrutin  » et qu’il prendrait  » les mesures qui s’imposent  » si une déviation de l’Alternance pouvait survenir. Courageux président. Nobles desseins. Comme si le monde politique était partagé entre les bons et les méchants. Dans son discours retransmis par la télévision nationale, Zéroual, a donc exhorté l’armée à rester neutre et s’est engagé à prendre toutes les mesures nécessaires pour que le scrutin soit « équitable et transparent ». Comme s’il s’était agi d’autre chose… Les généraux Nezzar, Lamari, Tewfiq Mediene doivent en être glacés. Président dérisoire pour une fin dérisoire ponctuée de discours dérisoires.

Amale SAMIE, Maroc-Hebdo, 20-26 février 1999

Quarante-sept postulants à l’élection présidentielle algérienne du 15 avril 1999. Sur ce nombre grotesque, une dizaine de candidats devraient réellement être en mesure de se présenter. Parmi ces candidats postulants figurent notamment les anciens ministres des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika et Ahmed Taleb Ibrahimi, les anciens chefs de gouvernement Mouloud Hamrouche, Sid Ahmed Ghozali, Redha Malek, ainsi que le président du Front des forces socialistes (FFS, opposition) Hocine Aït Ahmed et Cheikh Abdallah Djaballah, président du Mouvement de la réforme nationale (MNR, islamiste).
Pléthore qui augure mal de la crédibilité des élections et d’un retour de l’Algérie à la paix. Mais la façade ne doit pas cacher l’arrière-boutique où une drôle de pitance se prépare. Car au-delà du fourmillement des candidatures, c’est l’Algérie profonde qui va encore écoper de l’irresponsabilité des politiques et des manuvres de l’armée.

Terrorisme

Dans la série « qui est qui?, l’Algérie réelle est « écrasée » par la volonté officielle d’accréditer la thèse de la continuité démocratique dans un État qui n’a jamais été démocratique. La démocratie a de drôles de « fans », soudain. Leur nombre serait même inquiétant. Quand il y a trop de nouveaux adeptes de concepts nouveaux dans un pays nouveau, il y a lieu de s’interroger sur les motifs des uns et des autres. Mais il faudrait faire preuve d’un notable retard mental doublé d’une ignorance sidérante de la réalité politique du pays pour croire à une sortie non négociée de la guerre contre le terrorisme. Un terrorisme qui profite grandement aux généraux et aux « nouveaux entrepreneurs d’import export ex-barbus » qui ont transformé le produit de leur butin en devises et surtout, en sociétés pour remplacer l’ancienne base FLN aux commandes économiques. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Il n’y a pas lieu de parler en toutes circonstances de lutte entre les forces de sécurités et les terroristes islamistes. C’est le pouvoir dans le pays profond que l’on négocie, à la kalachnikov ou au dollar. Le bol d’oxygène offert à l’Algérie par le FMI, en 1994 et qui lui a permis de rééquiper son armée, de former des unités spéciales anti-guérilla urbaine ou rurale et surtout de s’attirer les bonnes grâces des électeurs ou sympathisants de l’ex-FIS, est une solution qui ne doit rien aux négociateurs gouvernementaux: ils ne détiennent aucun pouvoir. La guerre et la paix prennent des voies qui ont été déterminées ailleurs.
Le président algérien, Liamine Zeroual, n’en a pas moins promis, la semaine dernière que l’élection présidentielle anticipée aurait lieu le 15 avril prochain et qu’en aucun cas, quiconque pourrait se permettre d’avancer que le résultat de cette élection présidentielle soit déjà joué.

Déviation

Il a tout de même appelé l’administration et le gouvernement à la « neutralité et à la réserve ». Faut-il s’étonner de cette précaution qui a l’air superfétatoire ? Pas tant que ça. La campagne électorale grouille de généraux, moins recommandables les uns que les autres, au passé chargé, de politiciens sur le retour et de partis girouettes.
Et dans le capharnaüm des postulants, l’Armée est la première visée par cette phrase apparemment conventionnelle. C’est qu’elle peut tout accepter, sauf de laisser une chance d’accession à la Magistrature suprême à un candidat qui ne soit issu de ses rangs ou du moins qui ne lui offre les meilleurs gages d’impunité sur les 30 milliards de dollars évaporés depuis sept ans. Cette somme astronomique n’a pas été perdu pour tout le monde : alors certaines badernes aimeraient bien prendre toutes les précautions pour que personne ne recherche plus jamais la destination finale de cet argent. Elle soutient donc « ses » candidats, Abdelaziz Bouteflika, en premier lieu.
Le président algérien n’en continue pas moins de bavarder. Il a précisé « qu’il veillerait au déroulement normal de ce scrutin » et qu’il prendrait « les mesures qui s’imposent » si une déviation de l’Alternance pouvait survenir. Courageux président. Nobles desseins. Comme si le monde politique était partagé entre les bons et les méchants.
Dans son discours retransmis par la télévision nationale, Zéroual, a donc exhorté l’armée à rester neutre et s’est engagé à prendre toutes les mesures nécessaires pour que le scrutin soit « équitable et transparent. Les généraux Nezzar, Lamari, Tewfiq Mediene doivent en être glacés. Président dérisoire pour une fin dérisoire accentuée par des discours dérisoires.
Liamine Zéroual a noté que des partis politiques avaient sollicité des assurances quant au caractère équitable de l’élection, certains d’entre eux estimant que le résultat était « connu d’avance ». Bouteflika gagnera peut-être. Mais il aura au moins eu ce tort : accepter des soutiens compromettants.

Soutien

D’ailleurs, nombre de dirigeants politiques ont fait état de pressions de certains généraux et responsables influents en faveur de la candidature de l’ex-ministre des Affaires étrangères, largement considéré comme le candidat de l’armée. Une armée dont le chef suprême, pour l’instant identifiable, est le général Khaled Nezzar. Parmi les « râleurs » crédibles, Hocine Aït Ahmed. L’intervention de Liamine Zeroual, le 12 février, aura été incontestablement une surprise de taille : la confirmation par le chef de l’État de la date du prochain scrutin est un avertissement apparemment net et vigoureux à ceux qui tenteraient d’en empêcher la transparence. Il a été jusqu’à menacer d’user de ses pouvoirs constitutionnels pour empêcher tout détournement de l’élection. De quels pouvoirs parle-t-il? Liamine Zeroual n’en a pas dit un mot. Mais les allusions sont transparentes et indiquent que la « préférence » de l’armée pour Abdelaziz Bouteflika, n’a pas fait que des heureux.
Liamine Zeroual a visiblement tenu à rappeler à l’ordre les généraux qui ont présenté Bouteflika comme le candidat des militaires. Il a même stigmatisé les ministres qui ont signé une pétition en faveur de Bouteflika. Nezzar a donc piqué une fureur en traitant Zeroual « d’emmerdeur ».

Pièges

Quelque chose, dit-on à Alger, s’est vraiment cassé là-haut pour qu’on en arrive là. Le président sortant s’est-il jugé piégé et roulé dans la farine par les cercles obscurs qui font la décision ?
Liamine Zeroual craint-il simplement que la pagaïe monstre qui règne à Alger ne dérive vers de nouvelles violences ? Si l’appui de la haute hiérarchie militaire paraît majoritairement assuré à Bouteflika, les choses ne semblent pas aussi simples au niveau des officiers supérieurs.
Jusqu’à présent, le haut commandement militaire n’a toujours pas réuni le « conclave » où les grandes décisions sont traditionnellement avalisées par consensus par les principaux cadres de l’armée.
Ce qui limite largement le coup de sang « à blanc » du président Zeroual.

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