Algérie: Plan antifraude
À deux mois de l’élection présidentielle, le nouveau ministre de l’Intérieur révèle les mesures qui seront mises en ouvre pour assurer la transparence et la régularité du scrutin..
Abdelmalek Sellal :
mon plan antifraude.
propos recueillis à Alger par Pierre Dévoluy
Jeune Afrique, 15 février
Abdelmalek Sellal était ambassadeur à Budapest quand, il y a deux mois, le nouveau chef du gouvernement, Smaïl Hamdani, l’a appelé pour lui confier le portefeuille de l’Intérieur. La cinquantaine sportive, il est l’archétype de cette nouvelle génération de décideurs algériens formés à l’École nationale d’administration ou dans de grandes universités. Aux antipodes de la réserve – pour ne pas dire la culture du secret – affichée par leurs prédécesseurs, ils ne jurent que par la communication et s’efforcent de proscrire la langue de bois.
JEUNE AFRIQUE : Un diplomate à la tête du ministère de l’Intérieur, est-ce un avantage ou un inconvénient pour préparer une élection présidentielle ?
ABDELMALEK SELLAL : Je connais bien le ministère de l’Intérieur pour y avoir fait une grande partie de ma carrière. J’ai été sous-préfet pendant sept ans, préfet pendant onze ans, un peu partout en Algérie, ce qui a beaucoup contribué à ma connaissance du pays. J’ai eu la chance de rejoindre les Affaires étrangères en tant que chef de cabinet du ministre, puis directeur général des ressources, enfin comme ambassadeur. Cela donne une perception plus large des problèmes. J’entends maintenir ce ministère à l’avant-garde de la modernisation et aider de mon mieux à la consolidation de la démocratie pluraliste. Je suis convaincu que, dans ce schéma, la communication est un élément très important. Elle n’est pas facile à faire accepter, tant notre société est habituée au secret.Êtes-vous en mesure de donner des garanties quant à l’honnêteté et à la transparence du scrutin ?
Nous souhaitons appliquer la loi électorale de la manière la plus rigoureuse. Le 4 février, j’ai transmis aux walis un plan de communication. Il s’agit de faire connaître, dans tout le pays, les dispositions qui vont être mises en ouvre. Notre système comporte cinq verrous de contrôle. Le premier est administratif. Les listes électorales sont révisées tous les ans, mais nous allons procéder, une semaine après l’annonce par le chef de l’État de la date de l’élection, à une révision exceptionnelle. Nous procéderons à l’inscription des jeunes qui viennent d’atteindre l’âge de voter et supprimerons les noms de ceux qui auront disparu, soit qu’ils soient décédés, soit qu’ils aient changé de résidence. Ces listes seront publiques. Chacun, à commencer par les représentants des candidats, pourra les consulter, les contrôler ou demander des précisions.
Le deuxième verrou est politique. Les représentants des partis, cinq par bureau, auront la possibilité de contrôler l’ensemble des opérations de vote. Ils pourront, par exemple, vérifier que les urnes vides sont bien fermées à l’aide d’un double cadenas. Pour la première fois dans l’histoire électorale de l’Algérie, une copie certifiée conforme du procès-verbal de dépouillement sera remise, dans chaque bureau, aux représentants des candidats. Chacun pourra ainsi comparer son propre décompte aux résultats officiels. Par ailleurs, le nombre des bureaux de vote itinérants, souvent soupçonnés d’être des foyers de fraudes, sera ramené à 703, alors qu’il y en avait 1 740 lors des précédentes consultations.
Troisième contrôle, celui de la Commission nationale indépendante de surveillance de l’élection présidentielle (CNISEP). Composée de délégués des vingt-cinq partis en lice et de quatre fonctionnaires représentant les ministères de l’Intérieur, de la Communication, de la Justice et des Affaires étrangères (pour le vote des émigrés), elle sera chargée de vérifier les opérations électorales, du début à la fin : confection des listes, impression des formulaires, déroulement de la campagne électorale, répartition des temps d’antenne pour chaque candidat, etc. Elle sera présidée par l’une des plus éminentes personnalités algériennes, le Dr Mohamed Bedjaoui, président de la Cour de justice de La Haye.
Quatrième contrôle, celui des magistrats. Dans chaque wilaya, une commission de magistrats sera chargée de vérifier le bon déroulement des opérations, de déceler d’éventuels faux bulletins et de centraliser les résultats.
Le Conseil constitutionnel assurera le cinquième contrôle. Il est seul habilité à valider la liste des soixante-quinze mille signatures nécessaires pour se présenter et à vérifier la recevabilité des candidatures. Il est également chargé de centraliser, de vérifier et de proclamer les résultats.
Techniquement, nous abordons la phase finale de la préparation. Concernant les résultats, nous allons innover : un réseau informatisé nous permettra de donner une tendance lourde deux heures seulement après la fermeture des bureaux.Redoutez-vous une recrudescence des opérations terroristes pendant la campagne ?
Bien entendu, la question sécuritaire est prioritaire. Nous avons vécu des moments très, très durs. Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas d’un problème strictement algérien, mais d’une stratégie élaborée à l’extérieur : nous faisons face à une offensive visant à faire de l’Algérie, avec l’Égypte et l’Iran, un pôle intégriste en vue de déstabiliser l’ensemble du Bassin méditerranéen, la péninsule Arabique et même une partie de l’Afrique.
La première année, les terroristes se sont attaqués à tous ceux qui pouvaient représenter le fondement culturel de notre pays : professeurs, journalistes, médecins… Dans un deuxième temps, les étrangers et les hommes de religion ont été systématiquement pris pour cible. Puis, les terroristes se sont efforcés de détruire les structures socio-économiques du pays : trains, écoles, ponts, usines, parcs automobiles… Enfin, dans une quatrième et dernière phase – qui, heureusement, s’essouffle -, ils se sont attaqués aux populations civiles. Dans les campagnes, surtout, une sorte de répression sauvage a été entreprise à l’encontre des familles les plus démunies qui ne pouvaient plus supporter l’emprise de ces bandes armées et refusaient de les aider.
Au début, je le reconnais volontiers, nous n’étions pas prêts à lutter contre le terrorisme. Nous n’avions jamais imaginé que la police ou la gendarmerie, à plus forte raison l’armée, seraient un jour obligées d’intervenir au sein même de notre population. Il y a eu un nouveau maillage du pays. Pour soutenir l’armée conventionnelle, la Garde communale a été créée et des fusils de chasse distribués aux patriotes. Mais ce qui a été le plus efficace, c’est la prise de conscience des populations. Trouvant de moins en moins d’appui logistique, le terrorisme a régressé. Je ne dis pas qu’il a été éradiqué, mais il se limite désormais à certaines poches, notamment dans les régions montagneuses.Où en sont les réseaux extérieurs d’aide aux terroristes ? De nombreux pays, européens et arabes, ont été eux-mêmes touchés par le terrorisme. Avec la France, l’Italie et la Belgique notamment, la coopération est réelle, et d’ailleurs très efficace. Je précise bien qu’il s’agit d’une coopération entre professionnels, entre services de sécurité. L’aide extérieure aux terroristes a incontestablement diminué. Les réseaux qui les alimentaient en moyens de destruction ont été, dans leur majorité, annihilés. Je reviens d’une réunion du Conseil des ministres de l’Intérieur des pays arabes, qui s’est tenue au début du mois en Jordanie.
Je suis en mesure de vous révéler que l’ensemble de ces pays, du Golfe au Maroc, tentent d’obtenir de l’ONU que cette question soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale. Et que des mesures soient prises, au niveau planétaire, en vue de l’éradication du terrorisme islamiste.
Il me semble que nous avons grandement contribué à cette prise de conscience, mais, pour nous, le prix à payer a été très lourd. Nous n’en sommes pas encore sortis, mais, quand je me rends en province, je m’efforce déjà de jeter les bases de la politique de l’après-terrorisme. Dans les régions les plus touchées, comme Blida ou Médéa, on assiste au retour des populations dans leurs villages. Il faut maintenant réduire la fracture sociale et aider le peuple algérien à combattre la haine, à se ressouder.Le précédent gouvernement avait promulgué un décret – très contesté – visant à aider les victimes de la « tragédie nationale »…
Ce décret était malencontreux et sa formulation malheureuse. Nous sommes en train de procéder à une nouvelle rédaction. Il faut absolument éviter de donner une impression d’amalgame. Je considère que les victimes du terrorisme sont tombées au champ d’honneur. Nous devons les considérer comme la seconde génération des héros de ce pays. L’Histoire ne les oubliera jamais. Ceux qui ont aidé les terroristes, nous ne les assisterons pas, mais nous prendrons en charge leurs enfants pour éviter d’aggraver la fracture de la société algérienne. Mais il n’est pas question que les entourages des terroristes soient traités à égalité avec les victimes.Les associations de défense des droits de l’homme critiquent beaucoup les services de sécurité algériens. Que leur répondez-vous ?
Nous n’avons pas de problème particulier en ce qui concerne le respect des droits de l’homme. Certes, nous admettons volontiers que, au cours de la lutte contre le terrorisme, des dépassements ont pu avoir lieu, mais des mesures ont été prises pour que de tels faits ne se reproduisent pas. Tous les pays confrontés au problème se sont heurtés à la même difficulté : il n’est pas simple de concilier respect des droits de l’homme et élimination du terrorisme. Mais qu’on ne nous mette pas à l’index, qu’on cesse de déformer la situation algérienne en n’en retenant que la terreur. En Égypte, il y a des morts tous les jours, mais on en parle jamais. Chez nous, les attentats sont montés en épingle.