L’Algérie dit oui à la francophonie

Premier président à intervenir au sommet de Beyrouth

L’Algérie dit oui à la francophonie

Le Quotidien d’Oran, 19 octobre 2002

C’est dans l’après-midi d’hier, consacrée à l’ouverture des travaux du sommet que Abdelaziz Bouteflika a prononcé son discours. «Répondant ainsi à des invi-tations amicales et répétées qui se devaient d’être honorées» et «cédant aux pressions amicales et conjuguées des présidents Chirac et Lahoud», le chef de l’Etat affirme se présenter au Sommet de Beyrouth «sous ma double allégeance au monde arabe et au continent africain». Il prévient avant toute chose que «l’Algérie a payé encore plus lourdement la récupération de sa personnalité qu’une longue domination coloniale avait gravement mise en danger».

Son souci, à travers ce rappel, est d’affirmer qu’il n’a pas été facile pour le peuple algérien «de renouer avec ses origines et ceci explique en grande partie notre attachement sourcilleux à tout ce que nous considérons comme les fondements de notre algérianité et de notre arabité». Et pour préciser que l’Algérie ne perd rien en s’intégrant à la francophonie, Bouteflika a estimé que l’Algérie a réussi à récupérer et à renforcer son arabité. Cette phase de récupération «de soi-même» est, à ses yeux, «suffisamment affirmée» pour qu’en s’ouvrant «aux autres pour les reconnaître» le pays ne court aucun risque. C’est probablement là une appréciation qui confirme les propos de Abdelaziz Belkhadem tenus en aparté aux journalistes algériens et qui laissent aisément savoir que le chef de l’Etat est pour l’adhésion de l’Algérie à la francophonie.

«Cette confiance en nous-mêmes nous a conduits à reconnaître le tamazight – dans toute la diversité de ses déclinaisons – comme langue nationale, étant assurés que loin d’atténuer ainsi à l’unité nationale, nous venions d’ouvrir une voie pour un enrichissement de notre culture et un raffermissement de notre cohésion sociale», ajoutera-t-il. Cette «confiance» l’a poussé «sans appréhension aucune» à s’associer aux travaux de ce sommet. Association qu’il justifiera par ce que lui a écrit Lahoud dans son invitation.

«L’Algérie peut témoigner par sa présence de la vigueur de sa personnalité aux côtés de ses nombreux amis africains qui seront à Beyrouth à cette occasion», lui a-t-il souligné. C’est là «une meilleure justification» pour Bouteflika pour s’être déplacé au Liban. Pour conforter ses propos, il évoquera «le risque évident d’embrasement généralisé au Moyen-Orient», le drame «indicible» du peuple palestinien et «le châtiment inhumain infligé au peuple irakien».

Voulant s’appuyer sur la francophonie pour défendre les intérêts du pays à travers le monde, le chef de l’Etat notera «les préoccupations de l’Algérie «en tant que pays arabe» et «en tant que pays méditerranéen».

«Mais l’Algérie est aussi un pays africain», rappelle-t-il, en précisant que pour une partie de ce continent, «la langue française doit devenir aujourd’hui la langue de l’émancipation et du progrès». Ce qui l’amène à aborder le Nepad «qui doit nécessairement s’appuyer sur un soutien extérieur que nous sommes en train de rechercher (…)». Bouteflika ne manque pas d’appeler la francophonie à participer «dans cette entreprise de rénovation du continent africain», comme le fait le G8 auprès duquel «notre campagne a déjà commencé à porter des fruits». Cette demande d’aide à la réalisation du Nepad, Bouteflika l’a faite à un espace – francophonie – qui «enjambe le passé Nord-Sud dont les déterminants socio-économiques, de manière directe ou diffuse, sont au coeur des données essentielles et de tous les dangers du monde aujourd’hui».

Le terrorisme a été aussi l’un des points abordés par le chef de l’Etat, hier, à Beyrouth «oubliant que ce mouvement terroriste est infiniment minoritaire dans le monde musulman où des centaines de millions de croyants vivent sereinement et pacifiquement leur foi», des discours et des analyses ont saisi l’évènement du 11 septembre pour «alerter les opinions sur un conflit de civilisations posées comme irréductiblement antagonistes et sur la prétendue menace que l’Islam ferait peser sur l’Occident». Par ces propos, le chef de l’Etat tient à réitérer l’impérative levée d’ambiguïté entre Islam et terrorisme. Il a aussi tenu à rappeler que «bien avant les USA, il avait pris pour cibles des pays musulmans, l’Algérie notamment, oubliant qu’il avait longtemps bénéficié de complaisances douteuses en Occident». La réplique va directement aux Américains qui ont accordé le droit d’asile à des personnes qui revendiquaient, à partir de leurs sols, les actes commis en Algérie. C’est le cas aussi d’un grand nombre de pays européens. Bouteflika comparera sans ambages «les horreurs du fascisme mussolinien ou la barbarie nazie» au fanatisme terroriste «qui ne saurait être assimilé à l’Islam». Il est persuadé que «la relecture en commun de l’histoire commune est une exigence essentielle pour permettre d’exorciser les démons du passé, pour rendre justice au présent et pour dégager les voies de l’avenir de tous les préjugés comme des tentations de la rancune». Pour lui, «l’aggravation Nord-Sud ne peut pas ne pas concourir à développer les rancoeurs et les ressentiments contre l’Occident». Et pour préciser ses idées en ce qui concerne la francophonie, le président de la République déclare: «nous devons savoir nous départir de la nostalgie chatouilleuse qui s’exprime en repli sur soi, et nous ouvrir sans complexe à la culture de l’Autre». Ouverture qui permet, selon lui, «de mieux affronter le défi de la modernité et du développement par nous-mêmes et en nous-mêmes». L’organisation de la francophonie exprime, selon lui, «des positions particulièrement positives et constructives.

G.O.

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Belkhadem explique la position algérienne

Le chef de la diplomatie algérienne a laissé entendre, hier, que la participation de Bouteflika au Sommet de Beyrouth est pratiquement le gage de l’adhésion de l’Algérie à la francophonie. Belkhadem a affirmé, par ailleurs, qu’Alger oeuvre pour adhérer au Commonwealth et tente, en même temps, de se rapprocher des pays hispanophones (Espagne et Amérique Latine).

Abdelaziz Belkhadem ne nuance plus ses propos au sujet de l’adhésion ou pas de l’Algérie à l’Organisation internationale de la Francophonie. Rencontré, hier, avant l’ouverture du 9ème Sommet de la Francophonie, à l’entrée du Centre international d’exposition et de loisirs de Beyrouth (BIEL), Abdelaziz Belkhadem, comme à son habitude, n’a pas fui les journalistes algériens qui tenaient à comprendre la position de l’Algérie vis-à-vis de cette organisation. «Aujourd’hui, nous tenons à jouer notre rôle d’invité et nous verrons», dira-t-il, avant d’ajouter «mais, nous y allons». «Notre adhésion ne sera pas décidée aujourd’hui mais nous sommes en train de voir comment les choses évoluent», ajoutera-t-il à propos d’une éventuelle adhésion de l’Algérie à l’OIF. Au fur et à mesure que les questions des journalistes algériens qui l’ont pris en aparté, étaient posées, Belkhadem devenait, de plus en plus, précis à ce sujet.

Diplomate jusqu’au bout des doigts, il fera comprendre que le rapprochement de l’Algérie de cet espace, sous-entend des discussions sur son adhésion. Le plus grand gage à cet effet est, inévitablement, la présence du chef de l’Etat au Sommet de Beyrouth. D’ailleurs, en faisant la proposition de la participation de Bouteflika à ce sommet, le Président français Jacques Chirac a certainement voulu donner l’exemple du Liban: un pays arabe, qui non seulement est membre de l’OIF mais a accepté d’abriter un de ses importants sommets. Pour le chef de la diplomatie algérienne, l’Algérie a beaucoup à gagner en intégrant l’espace francophone. Il est convaincu qu’une démarche dans ce sens de l’Algérie confirmera son poids politique au sein d’un espace dont les principaux membres ont un grand rôle à jouer dans le monde. Belkhadem estime aussi qu’une adhésion de l’Algérie permettra de peser par rapport à l’Afrique, pour la réalisation des objectifs du NEPAD. La France étant l’un des pays qui s’est engagé à aider à la réalisation du NEPAD, l’Algérie a tendance à rétablir les équilibres entre les pays africains francophones et ceux anglophones. L’adhésion à la francophonie pourrait, enfin, selon le ministre des Affaires étrangères, permettre à l’Algérie de «peser au niveau de l’Asie francophone et plus loin l’Europe de l’Est», dont sept pays ont déjà formulé la demande d’intégration à l’OIF. «L’Algérie a intérêt à investir tous les espaces qui existent à travers le monde pour pouvoir négocier et préserver ses intérêts», nous lancera Belkhadem. L’adhésion de l’Algérie à l’OIF est donc, aujourd’hui, très probable «puisque la francophonie n’est plus seulement une organisation culturelle», précisera le chef de la diplomatie. Pour lui, des démarches à ce sujet sont certaines «après que la francophonie ait recentré ses interventions, ses positions et ses objectifs à des niveaux purement politiques». En clair, en cas d’effective adhésion, l’Algérie ne sera pas appelée à défendre la culture francophone, encore moins à jouer le promoteur de la langue française à travers le monde. Le repositionnement de l’OIF, le Président libanais, Emile Lahoud, n’a pas hésité, hier, à le démontrer à travers son discours inaugural du Sommet (voir article à côté). Le dialogue culturel pour le Président libanais, est de mettre un terme à la politique de «deux poids, deux mesures» des Américains et au terrorisme d’Etat israélien. Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligne arabe a, lui aussi, orienté son intervention sur ce même cap.

L’entrée de l’Algérie à l’OIF se fera, certainement dans peu de temps, sauf s’il y a levée de boucliers, notamment chez le courant islamiste qui a rejeté, sans hésiter, une telle idée dans sa forme et dans son fond.

Mais selon toute vraisemblance, une radicalisation des positions à ce sujet, n’inquiète, ni n’émeuve Belkhadem. «Ce sont des pesanteurs du passé qu’il faut dépasser», indiquera-t-il. Le ministre ira plus loin en déclarant qu’il est pour l’enseignement de la langue française dès la première année à condition que le français ne soit pas une langue d’enseignement qui étoufferait la langue arabe». La préservation, la promotion et l’épanouissement de la langue arabe est pour Belkhadem un devoir, avec toute l’ampleur et la profondeur qu’impose le terme. Le français devient, de ce fait, à ses yeux, un instrument qu’il faut absolument exploiter, à chaque fois qu’il s’agit de l’intérêt du pays». «Nous aurions pu généraliser l’anglais mais il ne faut pas se leurrer, nous n’avons pas les moyens de le faire», souligne-t-il avec la même conviction pour indiquer «qu’il faut reconnaître que tout le territoire algérien parle français». Conscient de la situation du pays, Abdelaziz Belkhadem plaide, sans complexe, pour l’adhésion de l’Algérie à la francophonie.

Il faut croire que le président de la République a dû donner un sacré feu vert, à cet effet, même si son rapprochement de l’entité francophone coïncide avec une forte polémique sur la réforme de l’Education et le rapport Benzaghou.