Quand la société civile appelle au putsch

Quand la société civile appelle au putsch

Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 24 octobre 2002

Le ton monte contre Abdelaziz Bouteflika. A mesure que se dessine l’échéance des présidentielles de 2004, les adversaires du chef de l’Etat mobilisent leurs troupes, dans un schéma aussi clair que répétitif. Avec, les mêmes hommes, les mêmes journaux, les mêmes organisations. Comme si le pays était condamné à revivre les mêmes expériences cycliques, avec les mêmes scénarios, et à en subir les mêmes échecs.

Cette fois-ci, c’est Sidi Saïd, le chef de l’UGTA, qui a lancé l’attaque. A l’occasion de la réunion de la Commission exécutive nationale du syndicat, il a déclaré que la centrale syndicale rejette… la concorde nationale! Il a laissé à ses adjoints le soin de monter les enchères à propos du projet de loi sur les hydrocarbures, de se déclarer contre les privatisations, pour se placer résolument sur le terrain politique.

Ainsi a-t-il d’abord parlé de concorde et de terrorisme plutôt que de revendications sociales. Utilisant les slogans vagues comme «s’opposer à ceux qui veulent vendre l’Algérie», il s’est attaqué à un maillon faible, Chakib Khelil, contre lequel convergent les attaques sur le terrain économique. De son côté, Yazid Zerhouni est attaqué sur le plan sécuritaire et celui des libertés, alors que Bouteflika concentre sur lui les critiques politiques.

Voilà donc les hommes à abattre. En face d’eux, il y a, comme de tradition, les mêmes acteurs: Saïd Saâdi, Hachemi Chérif, Rédha Malek malgré un peu plus de retenue, l’inconnue des «ârouch», l’UGTA, évidemment, qui vient d’entrer sur le terrain en fanfare, l’inévitable Leïla Aslaoui, ainsi que des journaux francophones, en attendant que se redéploie le reste des troupes. Peut-être d’ailleurs faut-il inclure la grève du corps médical dans cette attaque tous azimuts, en attendant que d’autres secteurs bougent à leur tour.

Cela offre une excellente couverture au chef du gouvernement Ali Benflis. Celui-ci est curieusement épargné, alors même que ses ministres promettent de bouleverser totalement la législation algérienne. En une semaine, en effet, sept ministres ont annoncé de nouvelles législations dans les domaines qu’ils gèrent. Zerhouni a annoncé une nouvelle loi sur les assemblées locales, Saïd Barkat sur les terres agricoles, Noureddine Boukrouh sur le commerce extérieur, Chakib Khelil sur les hydrocarbures, Khalida Toumi sur l’information, Tayeb Louh sur la fonction publique, Abou Bakr Benbouzid sur le sport, alors que le ministre de la Santé promet toujours de lancer des mesures qu’il avait été contraint de retirer au début de l’année.

Ce qu’on appelle «l’équipe Bouteflika» concentre ainsi toutes les critiques. Chacun est, dés lors, sommé de se positionner entre les «pour» et les «contre». Là encore, c’est du déjà vu, du déjà vécu. On ne peut être neutre, ni indifférent à cette lutte. Encore moins prétendre à une autre alternative. On se retrouve dans cette logique dictée par George Bush, au lendemain des attentats du 11 septembre, lorsqu’il partageait le monde entre ceux qui sont avec l’Amérique et les autres. Il n’y a pas de place pour le doute.

En Algérie, on est avec ou contre Bouteflika. Avec ou contre la concorde. On n’a pas le choix d’être soi-même. C’est, dit-on, le choix de l’alternance au sein de la République. Une alternance au sein du système, disent ceux qui veulent se placer en dehors de ce même système.

Mais la curiosité ne réside plus dans la nature bâtarde de ce schéma politique ni dans ces choix qui mènent toujours au même entonnoir. Elle se trouve plutôt dans le fait que ce schéma marche encore. Des hommes et des femmes se mobilisent encore pour mener campagne autour de ces thèmes, dénoncer Bouteflika ou le soutenir, en sachant qu’au bout du compte, ils reconduisent les mêmes cycles de la crise, les mêmes absences d’alternative, et accessoirement les mêmes hommes.

On a de la peine à croire que ces hommes et ces appareils qui s’agitent ne connaissent pas les enjeux et ne se rendent pas compte du résultat de leur action. Ils sont devenus de redoutables apparatchiks, même si, pour certains, ils sont ailleurs que dans les partis.

Peut-être alors sont-ils chacun dans sa stratégie, et se retrouvent-ils, ponctuellement, pour mener une action en commun. Mais alors, force est de constater que leur démarche a besoin d’un climat de crise pour se déployer. Ils ont, pour la plupart, besoin de cette opacité pour agir, une opacité qui permet de mélanger les genres, de transposer le syndicat vers la concorde et d’amener la société civile à prôner le putsch. Comme le suggèrent ceux qui voulaient détrôner Bouteflika avant les élections législatives et locales, en vue de s’offrir un autre président, y compris au détriment du pays.