Discours de Taleb Ibrahimi

Discours de Taleb Ibrahimi

3 Février 1999

Au nom de Dieu, Clément et Miséricordieux

Algériennes, Algériens,

En ce moment où je m’adresse à vous, mes pensées et mes sentiments vont aux victimes du drame douloureux que l’Algérie vit depuis le début de la décennie. En ces moments où la violence aveugle continue de sévir en certaines parties du pays, je crois que renoncer à saisir la moindre occasion d’arrêter l’effusion de sang et panser les blessures ne peut aucunement se justifier.

Car, comment rester serein quand le destin du pays est incertain, qu’il suscite une inquiétude qui nous assiège, que la démoralisation risque de nous affecter tous devant l’incapacité à voir la fin du tunnel ?

C’est le sens de la responsabilité qui m’a commandé, depuis le début de la crise, de ne pas garder le silence et d’exprimer mon point de vue, au cours des phases successives de cette crise nationale, appelant à un dialogue responsable comme alternative à la confrontation et à l’exclusion. Ce même sens de la responsabilité qui, naguère, lorsque j’avais ton âge, ô jeune algérien, m’avait conduit à répondre à l’appel du devoir national, abandonnant les bancs de l’université pour rejoindre les rangs de ceux qui luttaient pour la libération de la patrie.

Combien ma vie serait aujourd’hui paisible si l’Algérie se portait bien, comme l’avaient souhaité nos valeureux martyrs, si elle jouissait de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité !

Le peuple algérien, attaché à sa noble religion, enraciné dans son amazighité, fier de son authenticité arabe et de sa civilisation musulmane, ce peuple a enduré bien des souffrances, tout au long de son histoire, pour imposer son existence libre et souveraine, dans un Etat indépendant et respecté.

La voici aujourd’hui face à une nouvelle épreuve : l’édification d’une société démocratique où les libertés publiques sont sauvegardées, les droits de l’homme protégés, où la femme occupera sa place légitime ; une société démocratique dans le cadre d’un Etat fort et juste où l’alternance au pouvoir par des moyens pacifiques revêtira tout son sens, où l’Armée nationale populaire exercera son rôle naturel en tant qu’institution homogène et moderne, avec pour préoccupation essentielle l’accomplissement de ses missions constitutionnelles qui font d’elle la colonne vertébrale de la stabilité du pays, de la défense de ses frontières et de sa souveraineté, tout en se situant au-dessus des rivalités partisanes et à l’écart des conflits idéologiques.

Face à cette épreuve difficile, les démarches partielles et extrémistes ont échoué car elles se basaient sur une erreur d’appréciation, sous-estimant l’essence de la crise qui est d’abord et avant tout de nature politique.

Le consensus apparent au sein des institutions élues et entre les partis politiques ne leur a pas permis d’exercer toutes leurs responsabilités dans le devenir du pays, pas plus que l’application du programme d’ajustement structurel de l’économie n’a provoqué la relance escomptée, tandis que la politique économique poursuivie n’a pas réussi à amoindrir les conséquences sociales de la privatisation du secteur public ni à prévenir les indécisions dans la gestion du secteur privé.

Après mûre réflexion, je suis plus que jamais persuadé que le pays a besoin d’une politique globale dans sa vision, résolue dans son exécution et courageuse dans les réponses qu’elle donne aux préoccupations quotidiennes du citoyen.

La finalité de cette politique sera :

Premièrement, le renforcement de l’unité nationale

Ce qui implique :

  • d’instaurer un climat politique sain qui permette la coexistence de toutes les couches de la société et qui remette à l’honneur les vertus de solidarité, de fraternité et de dialogue, grâce auxquelles nous avons sauvegardé notre cohésion sociale dans les moments les plus pénibles,
  • de combattre l’esprit de revanche, la culture de la haine, les comportements extrémistes et la logique de l’exclusion, afin que la tolérance s’impose comme fondement de la réconciliation nationale,
  • de mettre au-dessus de tous – individus et groupes – la loi qui consacre le droit de la majorité à l’exercice du pouvoir et qui protège, en même temps et sans ambiguïté, le droit de la minorité à l’expression et à l’opposition,
  • d’orienter toutes les énergies matérielles et spirituelles du pays vers la création des conditions de prospérité et de progrès pour tous, car il ne peut y avoir d’investissement, d’emploi ou de production s’il n’y a pas sécurité et paix et si les fondements de l’Etat sont ébranlés.

Deuxièmement, l’élimination de l’arbitraire social

Ce qui comporte :

  • la réhabilitation de la justice en procédant à un choix rigoureux des magistrats, en mettant à leur disposition les moyens nécessaires et en consacrant dans les faits le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;

Il s’agit en second lieu d’appliquer la justice sociale en ce qu’elle signifie comme :

  • répartition équitable du revenu national entre les individus et entre les régions,
  • amélioration des conditions de vie des travailleurs et la lutte contre les disparités sociales grandissantes,
  • réhabilitation des classes moyennes qui ont garanti l’équilibre social durant trois décennies.

Troisièmement, la relance de l’économie nationale

L’économie nationale est en mauvais état et la paupérisation ne fait que s’aggraver. L’analyse objective de cette situation difficile conduit toutefois à poursuivre les réformes économiques, encore incontournables, en commençant par celle du système bancaire, à la condition qu’elles s’effectuent dans une démarche qui concilie le respect des obligations internationales de l’Algérie et l’exécution d’une politique économiquement efficace et socialement équitable, c’est à dire une politique qui garantisse la sécurité alimentaire dans des délais raisonnables, qui institutionnalise la concertation avec les syndicats et le patronat et qui veille à une répartition équitable des sacrifices imposés par le passage à l’économie de marché, afin que les couches les plus défavorisées ne supportent pas à elles seules le poids de cette transition.

Quatrièmement, l’implication de la jeunesse dans le développement national

Aucune politique nationale ne peut réussir si elle néglige la jeunesse qui représente les trois quarts de la société.

Cela nécessite l’élaboration de projets sérieux en vue de :

  • mobiliser les énergies de la jeunesse au profit du développement,
  • offrir des chances équitables d’éducation, de formation, d’emploi, de logement, de progrès et de loisirs,
  • adapter le service national aux attentes de la jeunesse et aux contraintes du devoir national,
  • défendre les droits des jeunes émigrés dans le cadre d’accords intergouvernementaux avec les pays d’accueil.

Cinquièmement, le recouvrement par l’Algérie de sa place dans le monde

Pour aussi globale qu’elle soit avec ses quatre axes, cette politique nationale restera peu efficace si elle ne s’accompagne pas de la dynamisation de notre appareil diplomatique afin que l’Algérie retrouve sa place d’Etat influent au plan régional, arabe, africain, méditerranéen et mondial, d’autant plus que nous sommes aux portes du troisième millénaire appelé à consacrer l’extension de la révolution technologique et la marche de la mondialisation. L’Algérie sera, alors, en mesure de défendre ses intérêts et de mettre à profit toutes les opportunités de coopération dans le cadre du respect réciproque de la politique et de la souveraineté de chaque Etat. Cette dynamisation portera, en premier lieu, sur la défense de la dignité du citoyen établi à l’étranger et la mise à sa disposition des moyens d’attache permanente avec la patrie.

Certes, certaines questions que je viens d’évoquer figurent dans les programmes de partis ou des gouvernements qui se sont succédé jusqu’à ce jour, je suis convaincu pourtant que le peuple algérien, d’instinct, à travers ce qu’il entend et observe, saura distinguer entre les paroles et les actes.

Je considère personnellement que le renforcement de l’unité nationale, l’élimination de l’injustice sociale, la relance de l’économie, l’implication de la jeunesse dans le développement et le retour de l’Algérie sur la scène internationale constituent des tâches réalisables.

Il suffit pour cela de bénéficier de la confiance du peuple qui est la source indispensable de la légitimité, de prendre en compte le facteur temps et ce qu’il implique comme patience et comme persévérance, d’établir une franche collaboration avec les partis en tant que partenaires effectifs et d’ouvrir le champ de l’action politique à l’ensemble des enfants de l’Algérie dans le cadre du respect de la constitution.

Une autre condition, non moins indispensable, doit être réunie : il s’agit de moraliser la vie publique afin, en particulier, de mettre fin à la corruption, de rétablir la confiance entre gouvernants et gouvernés et de placer l’administration au service de tous les citoyens sans exception.

Oui, ces conditions sont indispensables. Mais elles sont insuffisantes car le président de la République élu doit être entouré d’une équipe de travail soudée, dont les membres partagent un même amour pour la patrie, un même esprit de sacrifice, un sens moral élevé et une compétence avérée. De telles personnes existent, dans tous les milieux de la société (parmi les femmes et les hommes), les intellectuels, les cadres, les chefs d’entreprises, les ouvriers et les paysans, c’est à dire les vrais producteurs, qui doivent contribuer à la prise de décision et à son exécution.

Algériennes, Algériens,

J’ai décidé de me présenter à l’élection présidentielle en qualité de candidat indépendant, en candidat indépendant mais qui ne renie pas ses convictions idéologiques et son appartenance civilisationnelle, reflétées par la proclamation du Front de libération nationale, le 1er novembre 1954, qui appelait notamment à l’édification d’un « Etat démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ».

Je m’engage dans ce combat muni de deux armes essentielles : la confiance en Dieu et la confiance en le peuple, telle que je l’ai perçue à travers les marques de soutien et l’affluence des délégations de citoyennes et de citoyens. Cela constitue le meilleur appui pour l’élection prochaine qui traduira, je le souhaite, la volonté populaire et restituera au scrutin sa crédibilité, afin que ne se reproduisent plus les fraudes flagrantes qui ont caractérisé les précédentes consultations électorales. J’insiste sur ce point, car certains agissements apparus ces derniers temps laissent penser la persistance d’une certaine tutelle sur le peuple et doivent inciter à davantage de vigilance.

Mon souhait est de mettre à la disposition de mon pays, alors qu’il est à un tournant décisif de son histoire, l’expérience des longues années que j’ai déjà consacrées à le servir.

La priorité des priorités, et tel est mon objectif, est de rétablir la sécurité et la paix, de rassembler le plus grand nombre de concitoyens autour d’un projet de renaissance nationale globale qui tienne compte de la réalité, compose avec le possible, l’harmonise avec les exigences de l’époque et dont l’exécution se déroule graduellement.

Tel est le changement souhaité

Ni soubresaut menant à l’anarchie et à un conflit de générations, ni immobilisme aggravant notre déclin, mais un changement rationnel qui permette de relever les défis et fasse renaître l’espoir et la confiance en l’avenir.

Les épreuves que subit cette terre sacrée d’Algérie, doivent prendre fin, inéluctablement. D’autres pays, considérés aujourd’hui parmi les plus puissants du monde, ont traversé des circonstances bien plus difficiles que les nôtres. Ils en sont sortis victorieux parce que leurs enfants ont été convaincus qu’il n’y avait pas d’alternative à la coexistence et à la compréhension mutuelle qui permettent de transcender la haine.

Ce n’est pas impossible pour l’Algérie : l’épreuve peut se transformer en victoire et le désespoir se muer en espérance si le peuple se reconnaît dans une direction qui, par son comportement et ses actes, concrétise les critères d’intégrité et de compétence.

C’est à Dieu tout puissant que j’adresse ma prière afin qu’il nous assiste tous par son Aide et sa Bénédiction : « Je veux seulement la réforme autant que je puis. La réussite ne vient que de Dieu. »

Que le salut et la grâce de Dieu soient sur vous!

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