Tirs à blanc du général
Affaire de La Sale Guerre
Tirs à blanc du général
El Watan, 29 septembre 2002
Le verdict du tribunal correctionnel de Paris rendu vendredi dans le procès en diffamation intenté par le général Nezzar contre le sous-officier déserteur auteur de La sale guerre, un verdict en défaveur de Nezzar, invité par le tribunal à s’en remettre au jugement de l’histoire, continue d’ alimenter la chronique plus politique que judiciaire en France et en Algérie. A l’origine du procès : une affaire de diffamation somme toute banale comme les tribunaux en regorgent. Le général Nezzar en sa qualité d’ancien ministre de la Défense, s’estimant diffamé et atteint dans son honneur par les accusations portées par Souaïdia dans son livre pamphlet sur l’armée algérienne, décide de porter plainte devant le tribunal parisien territorialement compétent pour enregistrer sa plainte dans la mesure où la maison d’édition est domiciliée à Paris. Jusqu’ici, rien d’anormal. Des hommes politiques, des éditeurs de presse algériens ont recouru à la justice française pour des affaires similaires de diffamation. Mais dans l’affaire en question opposant Nezzar à Souaïdia, l’organisation de la défense a pris des proportions et une tournure telles que le procès avait fini par déborder de son cadre originel pour se transformer en joutes politiques. Dans ce procès, agissant seul ou sur les conseils qui se sont avérés pas du tout aussi éclairés qu’il n’y pensait, Nezzar a misé gros. Dans le sillage de la plainte en diffamation qui aurait dû se limiter à sa propre personne, il a voulu s’ériger en justicier de l’armée algérienne, laquelle, faut-il le souligner, ne s’est à aucun moment exprimée sur les accusations contenues dans le livre de Souaïdia. Et c’est là où réside le faux pas fatidique de Nezzar. Encouragé vraisemblablement par les changements géopolitiques intervenus dans le monde à la suite des attentats anti-américains du 11 septembre qui ont donné une légitimation politique à la lutte contre l’ intégrisme islamiste, Nezzar n’a pas hésité à enfiler la robe d’avocat pour défendre « l’honneur de l’armée algérienne ». Il l’a fait sur un terrain qu’il pensait, sinon acquis, du moins particulièrement favorable pour mener cette autre bataille politique et médiatique sur la responsabilité de l’armée dans la gestion de la crise. Mais avant de voler au secours de l’armée algérienne, Nezzar a cherché d’abord, à travers ce procès, à plaider sa propre cause. L’incident de la plainte déposée contre lui à Paris par des familles de disparus et qui l’avait amené à rentrer en Algérie dans des conditions rocambolesques avait été réglé alors politiquement en organisant son départ précipité de Paris pour prendre de vitesse la machine judiciaire. Le syndrome du général Pinochet, lequel avait failli ne pas rentrer dans son pays suite au guet-apens judiciaire dans lequel il était tombé, n’a certainement pas laissé indifférent en Algérie bien qu’il n’y a aucun parallèle à faire entre ceci et cela. Forçant l’histoire, Nezzar estime que les conditions politiques au plan international sont aujourd’hui réunies pour crever définitivement cet abcès en s’en remettant à la justice. Sûr de tenir sa cible en plein dans sa ligne de mire, surtout avec les soutiens qu’ il avait eus au départ au sein de la société civile avant d’enregistrer plusieurs défections dont certaines de taille, conforté aussi et surtout par la couverture politique qu’il a certainement eue auprès des cercles officiels, le général en retraite a foncé dans ce procès presque tête baissée, pleinement confiant dans la victoire. Mal lui en a pris. Dans sa confiance excessive et sa crédulité, surtout après que le tribunal eut déclaré recevable sa plainte, une décision comprise par Nezzar comme une victoire annoncée, il a occulté une donnée fondamentale : une justice républicaine et indépendante n’acceptera jamais de se compromettre dans des choix où elle est appelée à trancher entre la force qu’incarne le militaire avec toute la mythologie qui s’y rattache et le droit qui est naturellement dans ces sociétés aux côtés du civil. L’erreur stratégique commise par Nezzar dans la conduite de ce procès, c’est d’ignorer que la notion de séparation des pouvoirs entre le politique et le judiciaire n’a pas partout la même signification.
Par S. Bensalem
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Nezzar, entre pertes et profits
Les juges français, qui ont appris dans leur pays à naviguer entre les méandres assez souvent sulfureux de l’interconnexion du judiciaire, de l’affairisme haut placé et des pressions politiques, ont abusé – à dessein ? – de subtilités langagières pour que le jugement qu’ils ont rendu vendredi dernier dans le procès intenté par le général à la retraite Khaled Nezzar contre Souaïdia n’apparaisse à aucun moment comme une prise de position dans un débat opposant d’abord des Algériens entre eux. Si les attendus de leur verdict ressemblent fort à un jugement de Salomon, alors que leur approche de la diffamation apparaît plus « politique » et morale que juridique, au final ils ont bien débouté l’ancien ministre algérien de la Défense. Le reste est arguties juridiques pour esprits ratiocineurs. Sur le plan strictement judiciaire, c’est incontestablement le général Nezzar le perdant dans ce procès qui a encore surmédiatisé l’ancien sous-lieutenant auteur du brûlot contre l’armée algérienne et qui ne manquera certainement pas d’en tirer d’autres profits. Mais en prenant le risque de rallumer la polémique sur le livre de Souaïdia dans une enceinte judiciaire de la capitale française, en forçant les uns et les autres à entendre, sinon écouter d’autres versions et d’autres vérités sur les massacres des civils en Algérie, le général a voulu casser un discours univoque et partial, rectifier une vision qui passe par des prismes déformants. Y a-t-il réussi ? Les futures perceptions hexagonales du vécu algérien le diront et feront ou pas la part qu’aura prise le général dans cette uvre de rectification. Toutefois, Nezzar ne revient pas totalement bredouille de son « expédition » parisienne. D’abord, il a gagné le droit de remettre les pieds sur le sol français, ce qui n’est pas peu au regard des conditions et du contexte dans lesquels il avait dû quitter précipitamment, de nuit, Paris, il y a juste un peu plus d’un an, échappant de peu à la rétention dans les locaux de la police et de la justice françaises. Ce fut à la suite de deux plaintes déposées contre lui pour des faits en rapport avec la lutte antiterroriste. Au mois de juillet dernier, dans la même capitale où il défendait sa requête, une dizaine de plaintes ont été déposées contre lui, toutes jugées irrecevables par la justice française. Effet du 11 septembre ? Probablement, mais une revanche aussi sur ceux qui s’acharnent sur les généraux algériens et veulent les interdire d’accès en Europe et ailleurs. Celui qui fut l’homme fort de l’Algérie de la fin des années 80 jusqu’au milieu des années 90 s’est-il inconsidérément avancé avec ses gros sabots en se faisant un point d’honneur à livrer un combat perdu d’avance ? Les juges français ont peut-être répondu à demi-mot. Si le combat pour l’ honneur de l’armée algérienne est politique, il doit d’abord être mené ici. C’est quand l’image de l’ANP aura été durablement rétablie en Algérie, auprès des dirigeants et des citoyens algériens, qu’elle s’imposera à l’étranger. La mauvaise tournure prise par la concorde civile de Bouteflika, l’alliance de ce dernier avec les islamistes en vue d’un second mandat ne vont pas dans ce sens, car elles vident de sa substance tout le combat mené contre le terrorisme. Il n’est pas à exclure que la diabolisation des généraux algériens continuera à être inspirée et utilisée comme une arme politique.
Par A. Samil