Nezzar à l’occasion de la présentation de son livre

Armée-Bouteflika

Nezzar confirme la crise

Le Matin, 23 septembre 2002

Il voulait parler de son livre à paraître vendredi sur le procès contre Souaïdia (1), il n’a, devant les questions des journalistes, fait que s’exprimer sur la politique intérieure, sur le Président Bouteflika, sans le citer, et sur la concorde civile. Dur de convaincre de sa nouvelle vocation d’écrivain quand on est général à la retraite, et Khaled Nezzar qui présentait hier à Alger son dernier ouvrage s’est vite rendu à l’évidence : l’affaire Souaïdia, même brillamment résumée dans un ouvrage, c’est beaucoup moins important que l’avenir immédiat. Bien entendu, le général a pris des précautions infinies pour éviter de faire référence à la crise qui couve entre l’Armée et le Président de la République, et s’est même interdit d’être le porte-parole de l’institution militaire. « Je respecte trop mes officiers pour parler à leur place. Je ne suis pas le parrain » Précision inutile : les journalistes veulent savoir pourquoi il a attaqué la politique du Président lors de sa dernière sortie. Le général esquive la question, mais est obligé de se plier au jeu : « Ceux qui m’ont aidé pour mon procès face à Souaïdia, c’est le général Lamari et, avec lui, toutes les unités combattantes. » Déduction : Bouteflika n’a pas contribué au procès ni fait en sorte qu’il réussisse. Nezzar récidive : « L’affaire Souaïdia a été créée et entretenue à partir du sol algérien. Mais on ne se laissera plus jamais faire » Par qui ? Toute l’assistance a une tendre pensée pour El Mouradia. Il remue le couteau dans la plaie : « Que tout le monde sache que, comme en 1992, l’Armée a été et restera le dernier bastion pour sauver la République. » Traduction : la politique pro-islamiste de Bouteflika a franchi la ligne rouge. On a peu parlé du nouveau livre, mais il a servi de petits-fours pour un débat fort intéressant. A. M.

Le général à la retraite a rencontré la presse hier

Nezzar : « La concorde mène à l’abîme »

Le général à la retraite Khaled Nezzar a réuni journalistes et personnalités nationales, hier à l’hôtel El Aurassi, pour présenter son dernier livre, Un procès pour la vérité.

Le débat a cependant vite débordé pour toucher à l’actualité de l’heure.

En remerciant particulièrement le chef d’état-major de l’Armée algérienne qui lui a apporté publiquement son soutien qualifié d’« inestimable », Khaled Nezzar a mis en valeur le « silence » de Abdelaziz Bouteflika, le Président de la République et chef suprême des forces armées qui a qualifié l’arrêt du processus électoral de « premier coup de violence ». C’était hier lors d’une rencontre avec la presse et des personnalités nationales pour présenter son dernier livre, Un procès pour la vérité. Dans son entourage, on laisse entendre que la prétendue prise en charge par les pouvoirs publics des frais occasionnés par le procès n’a pas couvert 30 % des besoins. Mais les « vérités » de Khaled Nezzar, qui revendique la paternité de janvier 1992, ne s’arrêtent pas au procès. L’ex-ministre de la Défense s’en prend à la démarche du successeur de Liamine Zeroual à la Présidence de la République. « Cadenasser le pouvoir et en faire un habit sur mesure pour un homme providentiel » n’est pas l’alternance souhaitée par Liamine Zeroual, écrit-il. Les réformes de l’école, de la justice, de l’Etat annoncées par le Président Bouteflika depuis son arrivée à El Mouradia sont assimilées à des « slogans », « gargarisme » et autre « mot à la gorge ». Normal ! explique Khaled Nezzar. « Le pays attendait un éclaireur de chemins, un vrai leader », il a eu « un arbitre plaidant éternellement une chose et faisant son contraire ». Sur sa lancée, l’ex-ministre de la Défense s’en prend à la « concorde » que le chef de l’Etat qualifie de « seule voie de sortie de la crise ». « L’amnistie des massacres et la dévastation, sous le faux semblant du rassemblement et de la paix, lit-on en page 109, reconnaît implicitement les crimes comme les conséquences d’un combat légitime mené après une « violence originelle ». Nezzar qualifie ce « décret » et toute la démarche suivie après par de le chef de l’Etat de « hors la loi ». Elle mène, écrit-il, « inexorablement vers l’abîme » car, explique-t-il, « le mouvement fondamentaliste ne peut se satisfaire d’aucune solution intérieure, irréductiblement intégriste ».

Chadli et Hamrouche, complices de Abassi Madani

« Derrière les événements du 5 Octobre 1988, il y avait les réformateurs qui voulaient imposer le changement par la rue », précise tout de go Khaled Nezzar, hier devant l’assistance. Explication de l’ex-ministre de la Défense : Mouloud Hamrouche, qui s’est entouré de ses réformateurs pour « prendre part avec préméditation à la manipulation du Président Chadli et de certains chefs intégristes (), était intéressé par la montée du FIS pour casser le FLN, faire passer ses réformes et pousser peu à peu Chadli vers la porte de sortie et apparaître aux yeux de la population et de l’armée comme l’homme de l’alternative ». « Que comprendre quand un Chef de gouvernement permet aux islamistes de défiler dans la rue, de choisir des lieux publics chaque vendredi ? », s’est interrogé Nezzar, avant d’accuser Hamrouche d’avoir tout fait pour que le FIS rafle les mairies, et son ministre des Finances, Ghazi Hidouci, d’avoir aidé « efficacement le FIS à réussir l’opération des souks islamiques » en obligeant le directeur d’une agence bancaire (BNA) à faire détourner des sommes d’argent au profit d’un commerçant de Bab El Oued. A Paris, Hidouci, qui a témoigné en faveur de Souaïdia, a reconnu que son gouvernement a « choisi d’aider le FIS à gagner les communales ». Chadli ? « Il ne savait pas que sa capitale, Alger, était en passe de devenir Kaboul, il n’avait d’oreille que pour Hamrouche et refusait de nous entendre et de tenir compte de nos alertes sur la menace islamiste », répond Nezzar. Ali Haroun atteste que l’ex-Président a été amené à démissionner mais que personne ne l’a forcé à le faire. « La preuve, dit-il, il a eu l’occasion de s’exprimer en Algérie et en Belgique et il a toujours affirmé qu’il était parti de son propre gré. »

Le procès de Paris

Le procès de Paris connaîtra son verdict vendredi prochain. Mme Aslaoui et maître Boutamine craignent déjà un renvoi « dos à dos » des deux parties par la justice française, ou l’évocation d’une quelconque raison d’Etat, même s’ils affirment, comme l’ensemble des témoins, que l’enjeu n’est pas le procès en lui-même mais celui de pouvoir enfin étaler la vérité sur l’Algérie à Paris. « J’ai voulu faire participer l’ensemble des segments de la société algérienne car le terrorisme islamiste n’a épargné personne, au procès que j’ai intenté contre le félon Souaïdia, véritable pion d’une stratégie de désinformation et derrière lequel se cachent le FIS, le FFS d’Aït Ahmed et François Gèze », reconnaît Nezzar avant de faire remarquer que sa tentative d’impliquer Mahfoud Nahnah, le leader du MSP, Mouvement de la société pour la paix, et Lahbib Adami, l’ex-président de Nahda, a été vaine. La défense de l’institution militaire, objet de critiques depuis l’arrêt du processus électoral, ne semble pas les intéresser outre mesure. Nezzar a tenu hier à préciser que contrairement à ce qui s’écrit ici et là, il n’a jamais sollicité le témoignage de Saïd Sadi, le président du RCD, rassemblement national démocratique. Hier à l’hôtel El Aurassi, aux côtés de Nezzar, il y avait Rachid Boudjedra, Maârifia, Leïla Aslaoui, Ali Haroun. Des gens qui ont témoigné en juillet en faveur du général à la retraite à Paris. Dans la salle, outre des gens des médias, des compagnons d’armes du général, comme le général Djouadi. Djamel Boukrine

« Le pardon ne peut produire la concorde »

Nous publions ci-dessous un extrait du Procès pour la vérité, où Khaled Nezzar remet en cause la politique actuelle dans le domaine sécuritaire. « L’alternance souhaitée par Liamine Zeroual et par l’ensemble des Algériens était censée mettre en uvre : – la réforme de l’Etat, non pour cadenasser le Pouvoir et en faire un habit sur mesure pour un homme « providentiel », mais pour renforcer les structures de gestion et de contrôle qui font l’Etat moderne au service de la nation, et non pas au service d’un seul homme atteint par le vertige des sommets ; – la réforme de l’école qui forme les citoyens attachés aux grandes valeurs humaines et se reconnaissent dans ce même dénominateur commun ; – la réforme de la justice. Une justice équitable qui ne sera pas un slogan, un gargarisme, un mot de gorge. C’étaient ces chantiers républicains qui devaient être ouverts. Le pays attendait un éclaireur de chemins, un véritable leader comme le fut Houari Boumediène, et non un « arbitre » plaidant éternellement une chose et faisant son contraire. L’intermède de Blida a fait la preuve que le mouvement fondamentaliste ne peut se satisfaire d’aucune solution intermédiaire, irréductiblement intégriste ; il ne peut concevoir de solutions que celles qui font triompher son dogme. Toutes les générosités sont utilisées par ses stratèges comme des pauses pour se rétablir avant un autre rebond. Le pardon ne peut produire « la concorde » que s’il ne passe pas dans la colonne « pertes et profits » la mort de dizaines de milliers d’Algériens. L’amnistie des massacres et de la dévastation, sous le faux-semblant du rassemblement et de la paix, reconnaît implicitement les crimes comme les conséquences d’un combat légitime mené après une « violence » originelle. Cette démarche – initiée hors la loi référendaire du 16 novembre 1999 que nous avons tous adoptée – offre aux tueurs l’alibi moral et politique de leur récidive. La fuite en avant qu’aucun garde-fou n’arrête consomme toujours l’échec et mène inexorablement vers l’abîme. »