La « sale guerre » renvoyée au jugement de l’histoire
La « sale guerre » renvoyée au jugement de l’histoire
Le Monde, Samedi 28 septembre 2002
La justice française a débouté de sa plainte le général Nezzar, qui s’estimait diffamé par un ancien officier
Bien décidé à laver l’honneur de l’armée algérienne devant la justice française et à faire reconnaître sa vérité sur la guerre civile en Algérie, le général Khaled Nezzar n’a pas obtenu satisfaction. La 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a débouté, vendredi 27 septembre, l’ancien ministre de la défense nationale de sa plainte en diffamation contre Habib Souaïdia, auteur de La Sale Guerre (Editions La Découverte, février 2001).
Dans cet ouvrage, l’ancien officier algérien devenu réfugié politique en France racontait comment il avait été témoin de tortures, d’exécutions sommaires et de massacres de civils dont il attribue la responsabilité à l’armée. Invité sur une chaîne de télévision française en mai 2001, Habib Souaïdia avait mis en cause le général Nezzar, l’ex-homme fort du pouvoir algérien, l’accusant, lui et ses pairs, d’avoir « décidé d’arrêter le processus électoral » en 1992, point de départ de la guerre civile entre les islamistes et le pouvoir. L’ex-militaire avait également reproché à ses anciens supérieurs d’avoir « tué des milliers de gens pour rien du tout ».
Dans son jugement, le tribunal reconnaît que le général Nezzar « a pu, à juste titre, s’estimer atteint dans son honneur en ce qu’il a été visé de façon personnelle et pratiquement exclusive alors que, à l’évidence, les responsabilités dénoncées doivent être partagées. » Les magistrats inscrivent néanmoins les propos incriminés dans le contexte d’un débat « parfaitement légitime » et qui « compte tenu des enjeux » peut justifier « des positions divergentes, empreintes de passion, voire d’excès ». Ils insistent aussi sur la légitimité de M. Souaïdia à exprimer son point de vue en tant que témoin privilégié des événements. « Le caractère particulièrement dramatique de la situation algérienne ainsi que les fonctions éminentes occupées par le général Nezzar lors d’événements cruciaux autorisent des sujets comme M. Souaïdia, ayant été personnellement impliqués dans ce conflit, à faire part de leur expérience, fût-ce d’une façon virulente », soulignent les juges, qui insistent, à l’intention de l’ex-ministre : « Quand bien même les idées ainsi émises ne correspondraient pas à sa propre interprétation des événements. »
« BONNE FOI »
Pour autant, les magistrats se gardent bien de prendre position sur l’enjeu symbolique de ce procès, celui de la responsabilité du pouvoir et des islamistes dans la guerre civile algérienne. « Il n’appartient pas au tribunal de se prononcer sur la véracité des thèses soumises à son appréciation, que seule l’histoire pourra déterminer, ainsi que l’a d’ailleurs déclaré M. Nezzar lui-même », affirme le jugement. Tout au long de l’audience, début juillet, le général Nezzar et Habib Souaïdia avaient défendu leurs visions opposées des événements, nombreux témoins à l’appui (Le Monde du 5 juillet). Dans leur jugement, les magistrats de la 17e chambre soulignent d’ailleurs le « caractère fortement contrasté des positions soutenues de chaque côté de la barre » et relèvent « les appréciations très différentes, voire antagonistes, pouvant être portées sur des événements identiques ». Sur le fond, le tribunal renvoie les deux parties dos à dos mais, au nom « du droit à la liberté d’expression », il accorde à Habib Souaïdia « le bénéfice de la bonne foi ».
Frédéric Chambon