Déluge de révélations du général Nezzar

DELUGE DE REVELATIONS DU GENERAL NEZZAR

“Ce que je sais d’Aït Ahmed”

Le Soir d’Algerie, 14 septembre 2002

En exclusivité, nous publions quelques extraits de Un procès pour la vérité , un livre que l’ancien ministre de la Défense, le général major Khaled Nezzar, compte éditer à la fin du mois de septembre.

Mes amis, mes anciens camarades, mes avocats, tout le monde m’a mis en garde : “Attention, c’est un terrain miné. Tu seras entouré d’hostilité et de parti pris. Tu seras interpellé, insulté et menacé. N’oublie pas que, dans l’esprit de ces genslà, tu symbolises tout ce qu’ils honnissent : l’ANP”. Ou bien : “Tu vas leur donner une occasion inespérée de taper sur l’Algérie et de réaffirmer, devant une tribune médiatique, leurs thèses mensongères”. D’autres ont objecté : “Il vaudrait mieux tenir un procès en Algérie contre Souaïdia pour éviter de prêter le flanc aux gardiens vigilants du dogme, ces faux dévots de la révolution pure et dure qui, quarante ans après, débusquent le harki derrière chaque buisson”. Un de mes proches, collectionneur d’idioties bien tournées, m’a donné à lire une sentence commise il y a quelques années par un grand clerc de làbas : “L’Algérie est trop proche, trop familière pour que la France s’en tienne à son égard à une stricte politique de non ingérence. Le voudrait-elle que ses interlocuteurs d’outre- Méditerranée s’emploieraient à tout faire pour la mêler à leurs affaires de famille” ?

Un autre point de vue se prétendra plus convaincant encore : “Certains auront beau jeu d’insinuer que tu es venu rechercher l’absolution par le biais d’un plaidoyer pro domo devant une juridiction piégée par ta qualité de plaignant… Ils diront que tu cherches à t’expliquer sur les accusations de tortures et d’assassinats sans courir de risques”.

Il restait un dernier veto, d’ordre éthique celui-là, qui me sera opposé : “On dira que tu t’ériges en porte-parole de l’ANP alors que tu n’en as plus le droit ! Après tout, pourquoi ceux dont c’était le devoir de le faire n’ont-ils pas attaqué le livre ?” Ai-je été aventureux lorsque je suis allé quand même à Paris, malgré ce faisceau d’avis concordants et malgré ma certitude que j’allais avoir contre moi le ban et l’arrière-ban des ONG, du FIS et du FFS ?

J’ai pris mes responsabilités en pleine connaissance des risques. J’ai relevé le défi, non pas comme un fier-à-bras prompt à en découdre, mais comme un homme soucieux de vérité et de justice. Je savais qui j’allais trouver dans la pleine lumière des personnages et quels personnages… ! qui se tiendraient un peu plus en retrait, dans la pénombre propice aux mouvements des dextres qui tirent les ficelles. J’étais sûr que ceux-là finiraient par venir vers l’avant, à l’ultime heure du tir groupé de leurs témoins, pour le plaisir de la curée, pour asséner leur rhétorique décennale façonnée (du moins, le voulaient-ils ainsi) comme le pistolet du coup de grâce.

Pour répondre à ceux qui ont tenté de bonne foi de me dissuader de me rendre à Paris, j’ai dit que je n’ai jamais eu l’ingénuité de croire que la politique est un jeu de salon, un duel à fleurons mouchetés, une comédie au happy end obligatoire. Je connaissais ceux d’en face et la teneur de leurs discours. Il aurait fallu être sourd et aveugle, pendant dix ans, pour n’avoir ni vu ni entendu. Qu’importent les indignations du moment que l’on refuse d’affronter les conséquences d’un parler vrai conséquent ! Peut-on continuer à subir les accusations et les anathèmes, partir du territoire français, sans oser apparaître là-bas et dire “Allons une bonne fois pour toutes au fond des choses !” D’abord, ôtons-nous d’un doute : les Français n’ont jamais été neutres et, pour mille raisons, ils ne pouvaient pas l’être. A travers quelle lucarne toute l’Europe a-t-elle regardé et regarde-t-elle encore l’Algérie Alors, trêve d’hypocrisie, c’est chez eux que les choses se passent et c’est bien là-bas qu’il fallait que j’aille !

J’ai demandé à mes avocats de faire connaître au président du tribunal que rien ne serait tabou à mes yeux. Ce qui m’intéressait, c’était, avant tout, une clarification, une bonne fois pour toutes, dans une enceinte de justice que nul ne pourrait accuser accuser de partialité. Pour éviter de donner du “grain à moudre” à certains, j’avais tenu à faire connaître, de la façon la plus claire, que je n’étais le porteparole de personne, d’aucune institution, l’ANP en particulier. L’armée algérienne, que j’ai servie longtemps avec abnégation, a ses chefs en titre. Ce serait manquer à la bienséance et au devoir d’amitié que de me prétendre, moi général-major à la retraite, fondé de parole des titulaires légitimes. Porte-parole, non ! Mais représentant assurément, oui ! Représentant comme l’entendent exactement ceux qui se saisissaient du jeune conscrit, permissionnaire dans son douar, pour l’égorger devant ses père et mère. Représentant comme le désire Aït Ahmed qui me tient pour responsable, moi et ceux de ma génération, de tous les actes survenus en Algérie depuis les années 60 ! Représentant comme l’ont prouvé les moudjahidine, obscurs, désintéressés qui, au soir de leur vie, ont repris le fusil et se sont repostés sur les crêtes. Représentant des innombrables patriotes qui m’ont téléphoné dès qu’ils ont su, écrit, interpellé, encouragé à dire tout haut qu’il leur était devenu insupportable d’être soupçonnés, accusés, condamnés. Représentant des officiers, sous-officiers et soldats que j’ai eu l’honneur de commander et de mener au combat pour la pérennité de l’Algérie républicaine. Représentant pour la mémoire des milliers d’Algériennes et d’Algériens connus ou anonymes, qui ne sont plus là et dont le sacrifice a empêché la barbarie intégriste de détruite l’Algérie. C’est de cette façon, et de cette façon uniquement, que je représente l’armée de mon pays, et je continuerai à me sentir concerné et à la représenter ainsi jusqu’au dernier jour de ma vie.

Houari Boumediène

L’ANP était l’œuvre de beaucoup d’hommes. Boumediène en fit sa chose, sa chasse gardée son instrument, le mythe par lequel il effrayait et dissuadait. ll en était le “patron”, jaloux de son pouvoir. Tout ce qui avait trait à l’armée le concernait au premier chef : les mutations, les promotions, les prébendes ou les sanctions (les conjurés du 14 décembre 1967 seront frappés d’une main de fer, la sévérité du châtiment devant servir d’exemple). Craignant que l’unité des chefs ne mue en entente, en connivence, il assurait sa tranquillité en maintenant ouvertes, mais gérables, les petites lignes de fracture entre les anciens baroudeurs et les jeunes compétences. Il bénéficiait de l’effet de la mésentente larvée qui resurgissait, de temps à autre, entre les uns et les autres. Aucune décision n’était prise sans son aval. Toujours aux aguets, méfiant, il avait bloqué l’avancement, les salaires, l’organisation de l’armée en grandes unités opérationnelles. Tout ce qui pouvait inspirer des candidats aux pronunciamentos était écarté. Pas de généraux, surtout pas de généraux ! L’exemple de la Syrie et de l’Irak était là pour lui rappeler l’équation moyen-orientale : un général + une grande unité = un coup d’Etat. L’implantation spatiale des unités était faite en fonction non pas de la défense du territoire, mais du contrôle de la population. Grosso modo, il avait maintenu le découpage géographique des wilayas historiques. L’ANP était-elle au pouvoir au temps de Houari Boumediène ? Quelle a été son influence réelle, son poids, les secteurs où elle a exercé son entregent ? Par qui et comment ? se demande-t-on encore 25 ans après la disparition de l’homme qui l’incarna. De même qu’il avait tout fait pour éviter le partage de la décision politique, sa conception du pouvoir (aut caesar, aut nihil) lui fit maintenir l’ANP sous sa férule directe afin qu’elle lui demeure inféodée, sans intermédiaire et sans équivoque, (Tahar Z’biri paiera le prix d’avoir été simplement là où il ne fallait pas être). S’il est vrai que la fonction ne vaut que par l’homme, Abdelkader Chabou, mort dans des circonstances tragiques, ne sera, en fait, jamais remplacé. Le commandement et l’organisation de l’ANP connurent longtemps le statu quo. Pas d’état-major. Des directeurs centraux confinés dans des rôles strictement administratifs. Des chefs régionaux vieillissants et sans aucune envergure technique. La période où Houari Boumediène a exercé le pouvoir a été une période de marginalisation sur le plan politique de l’armée et de quasi-stagnation sur le plan technique. A peine si la guerre de Cent ans au Moyen-Orient et les menaces sur notre frontière occidentale ont poussé Houari Boumediène à secouer sa routine pour moderniser les équipements de l’ANP et élever le niveau de la formation militaire. La configuration du Conseil de la Révolution semblait politiser l’ANP, mais les commandants de région qui en étaient membres demeuraient en fait, écartés du vrai pouvoir qu’ils avaient délégué à Boumediène… puisque, sous leur deuxième casquette, il était leur chef. Curieuse position que celle de ces hommes politiques auxquels il était interdit de faire de la politique ! Ahmed Ben- Ahmed Abdelghani, Chadli Bendjedid (le futur avatar de son système), Salah Soufi, Saïd Abid (pour peu de temps) ou encore Mohamed Salah Yahiaoui, ne seront jamais à l’aise dans cet exercice qui tenait du grand écart. Il les convoquait, les réunissait de temps à autre, leur exposait les grandes lignes d’un dossier ou donnait la parole à un commis qui dissertera savamment sur les tenants et les aboutissants techniques de telle ou telle question. Ils écoutaient, faisaient semblant de comprendre, opinaient du chef. Quelquefois, l’un d’eux posait timidement une question, souvent à “côté de la plaque”. Qu’importe, il avait l’impression d’avoir contribué à la gestion du pays. Plus tard, lorsque le Conseil de la Révolution, lavé et relavé, se sera rétréci comme une peau de chagrin, les réunions seront communes avec les membres du gouvernement. Ces rencontres — audelà de l’importance des dossiers qui y étaient traités — servaient essentiellement à tirer vers le bas ce qu’il restait de ce directoire. La non-implication de l’ANP dans la décision politique était indéniable malgré le faux-semblant de la physionomie du Conseil de la Révolution. Il demeure, cependant, que la présence de militaires dans l’instance politique suprême du pays, même virtuelle, et surtout l’extraordinaire activisme de la sécurité militaire auront, irrémédiablement, impliqué l’ANP, pour le meilleur et pour le pire, aux côtés de Houari Boumediène. Au lendemain de l’indépendance, l’ANP ne pouvait pas être un outil militaire confiné dans une aire délimitée, aseptisée et silencieuse. De par son histoire récente, de par les fortes personnalités qui étaient à sa tête, elle était un réceptacle bouillonnant de projets et d’ambitions. La vie d’un pays, la vie d’une institution ne sont jamais un long fleuve tranquille, elles sont remplies de fureur et de remous. Selon la conjoncture, les arguments et surtout les moyens des uns leur avaient permis de l’emporter sur ceux des autres. La décantation sera longue et souvent douloureuse. Je ne prétends pas revisiter l’histoire et porter, a posteriori, des jugements de valeur sur les personnes ou sur les raisons qui les ont fait agir. Je dis simplement que pour l’immense majorité des militants en armes que nous étions, Ies allégeances n’étaient pas inspirées par des sympathies doctrinales ou idéologiques, qui étaient les mêmes chez tous les compétiteurs, mais par des sentiments, des jugements de valeur, forcément subjectifs et réducteurs. Houari Boumediène avait une relation particulière, forte, humaine, chaleureuse avec chacun des officiers de l’armée. Cette relation exceptionnelle explique la fidélité sans faille à sa personne au moment où les circonstances avaient fragilisé sa position ou mis en danger sa liberté d’agir. Personne parmi ceux qui servirent l’Algérie sous son commandement et qui, indirectement, ont servi son ambition, n’avait eu de problème avec sa conscience pour une simple et évidente raison : entre 1954 et 1962, les différentes structures du FLN-ALN agissaient dans le cadre du programme global : la décIaration du 1er Novembre 1954, qui avait librement et dans l’enthousiasme entraîné les adhésions. Les crises à rebondissements qui avaient affecté les rangs du mouvement national n’avaient jamais remis en cause le fondement du projet : “Reconquérir l’Algérie”, par une gestation quotidienne, une lente élaboration. Après 1962, la concurrence, parfois violente, pour l’exercice du pouvoir n’avait pas ébranlé le principe de l’Etat républicain et de ses valeurs définies, précisées ou réaffirmées par les décisions du congrès de la Soummam, le programme de Tripoli ou la charte d’Alger. Les différents protagonistes, inspirés par les grandes options idéologiques communément partagées, avançaient, chacun à sa manière, des alibis, des méthodes d’approche et de rythmes, mais pour la concrétisation du même idéal et le premier d’entre eux, l’édification de I’Etat national.

Aït Ahmed, l’opposant
Aït Ahmed, sûr de l’impunité que confère l’auréole aux icônes sacrées, autoproclamé “zaïm” d’une Kabylie homogène et prompte à la fronde, s’est juré de régler son compte à une armée algérienne coupable, selon ses analyses, de toutes les dérives et de toutes les tragédies. Son opposition est un cas d’école, une pathologie psychique complexe. Elle s’est bonifiée avec le temps : 1949, Le Caire, l’Indonésie (à Djalan Tjik-Ditiro, l’avenue djakartienne où Aït Ahmed, représentant du FLN, partageait un bureau avec Moungi Slim le Tunisien, il enrageait quand il entendait ses hôtes dire : “Faites savoir à Ben Bella…” ). L’OPA de Ben-Bella sur la Révolution lui était insupportable. La forte personnalité de Krim, les avanies d’Aulnoy, la rudesse de ses compagnons de détention, les déceptions de 1962, Boumediène le taciturne aux visées lointaines, le maquis de 1963 piteusement conclu, la condamnation à mort, I’angoisse des œuvres mortelles de Kasdi Merbah, la mort de M’cili son mentor jusqu’au bout des fins dernières et l’exil immense, vide, brûlant comme le désert des Tartares, le RCD créé, selon lui, pour casser son influence en Kabylie, les fraudes électorales, les promesses non tenues… La liste des ”bonnes” raisons qui fondent sa rancune est longue comme ces litanies interminables qui bercent une vendetta de montagnard. Certains traumatismes marquent et demeurent malgré le passage des décennies. Aït Ahmed, condamné à mort et recevant un jour la visite d’un de ses avocats, lui dit, terrorisé : “On vient de me changer de cellule… on va m’exécuter cette nuit.” L’avocat aura toutes les peines du monde à lui ôter cette idée de la tête. Lorsqu’on a été une fois dans la peau d’un condamné à mort sur le point d’être fusillé, le frisson glacial demeure pour la vie. Jamais il n’oubliera les circonstances de son arrestation et de son transfert sur Blida juste après son arrestation à bord d’un camion de transport de troupes, un casque placé d’autorité sur la tête, la jugulaire serrée à le marquer. Le poids de ce casque s’est transformé dans sa paranoïa en camisole, en chape de plomb glaciale, opaque et lourde… Il lui pèse encore, c’est l’ANP. En pleine insurrection “éféfiste”, alors que les katibas de Moh-Oul-Hadj I’avaient déjà abandonné à sa solitude, Tahar Z’biri, chef d’état-major, lui tendit la perche pour lui éviter, à lui l’homme de la première étincelle, de consumer dans un combat douteux l’inestimable pécule qui était le sien. Tahar Z’biri le fit contacter par l’intrépide militante Mériem Belmihoub, en jurant sur son honneur qu’il garantissait sa sécurité et sa totale liberté de mouvement. Le chef d’état-major alla personnellement le prendre au large des Issers et l’escorta jusqu’à la villa Jolly où Ben-Bella, écoutant pour une fois l’ancien chef de la wilaya des Aurès, l’attendait. La rencontre dura deux longues heures. Z’biri, sur le chemin du retour, interrogea le ”maquisard” : – Alors, si El Hocine, y a-t-il un espoir ? – Niet ! fit l’autre à la façon de Khrouchtchev. La fin de l’aventure du djebel, la prison, l’évasion, l’exil… Le temps s’écoula, Houari Boumediène emporta dans la tombe les illusions de toute une génération. Le système craqua de toutes parts laissant entrevoir derrière les maigres arbustes plantés à l’ère de l’euphorie la jungle proliférante de nos tristes réalités. L’évolution algérienne conforta ses projections. Boudiaf débarqua. Il tendit la main, Aït Ahmed fut le premier à la repousser. Pour ma part, j’ai pu voir tout de suite la différence de perception et d’analyse qui séparait les deux hommes : l’un flottait littéralement au-dessus de la planète, attentif à son signe héraldique marqué de quelques vocables creux et chatoyants et l’autre, le faiseur de briques, le faiseur d’œuvre, habitué à toucher la matière, à en sentir les rugosités, à la pétrir jusqu’à la rendre malléable et à la faire tenir dans son moule, l’artisan probe et digne, travaillait avec patience et humilité. Aït Ahmed, a-t-il jamais su qu’en repoussant la main tendue de Boudiaf, les hommes de sa génération, ceux du combat indépendantiste, ceux qui ont vu à l’œuvre les immenses Kabyles (Abane, Krim, Amirouche, Ouamrane…) qui ont remis de l’ordre dans les rangs de la Révolution minée par des crises à répétition et mené l’Algérie à la victoire, ont découvert la vraie stature du personnage et qu’ils ont été saisis par une incommensurable tristesse ? Les islamistes du FIS recourent aux armes. La décennie “rouge” commence. C’est désormais “tag ala men tag”. Aït Ahmed choisit son camp. Pendant dix années il déversera sur son pays le fiel de sa hargne. Aït Ahmed a donné son poids spécifique à l’opposition s’exprimant à l’extérieur en lui fournissant l’alibi du FFS, parti au programme démocratique, dont elle avait besoin pour développer sa campagne médiatico-politique. ll a accompli un immense travail d’agitation et de propagande en direction des médias, de toutes les chancelleries de la planète, de nombreuses personnalités étrangères, des partis socialistes européens et des multinationales des droits de l’homme. C’est lui l’auteur à part entière du célèbre « qui tue qui ? ». Lui qui parlait de “fleuve de sang”, il en a versé les premiers flots en 1963, mû par la rancune et l’ambition. Pendant que le président du FFS s’acharnait sur l’armée de son pays et que le collectif venu soutenir Habib Souaïdia jubilait, j’ai surpris dans la salle des regards tendus vers Aït Ahmed, leur étrangeté (surprise, curiosité, pitié ?) m’a rappelé une image qui m’est restée de toutes les représentations télévisuelles d’Aït Ahmed, celle de ce dernier hôte d’Anne Sinclair à TF1, avec Philippe Seguin… Le regard de Philippe Séguin… Aït Ahmed devrait revoir la cassette. S-A. Ghozali avait tort quand il disait qu’Aït Ahmed avait été frustré de n’avoir pas pu jouer un “rôle d’arbitre”. J’avais tort de penser que le chef du FFS était inconsolable d’avoir raté le perchoir de l’Assemblée mort-née. A bien y réfléchir, le grand regret d’Aït Ahmed est d’avoir été privé du rôle de l’OPPOSANT au FIS, un FIS vainqueur et menant la poursuite gibets au clair. OPPOSANT à un parti intégriste furieusement triomphant, quel magnifique métier ! Ceux d’entre nous qui auraient survécu à l’éruption verte auraient entendu des vocalises inouïes. ll aurait rameuté la planète. “Nous avons nos montagnes !”, avait-il menacé un jour le FIS. Il l’aurait déclenchée sa guerre civile. Pour moins que ça, il l’avait perpétrée en 1963. Houari Boumediène a pratiquement ouvert les portes du pénitencier d’EI-Harrach à Aït Ahmed pour lui permettre de partir. Aït Ahmed le sait si bien, qu’il a fini par lancer la police marocaine aux trousses de l’homme qui l’avait fait “évader” et qui l’a accompagné dans sa fuite. Cet homme vit toujours. Il exploite une fermette aux environs de Boufarik. Il raconte à qui veut bien l’entendre sa piteuse histoire. Etre opposant au pouvoir de la “junte“ d’Alger a ses limites. Son parti boycotte, fulmine, insulte ou participe, à sa guise, c’est tout juste si Bouteflika au plus fort des entreprises d’Aït Ahmed destinées à faire décréter l’embargo sur son pays, excédé, fait un pas en avant en retroussant les manches : “On peut ouvrir les archives de la Révolution ! “) puis se ravise et fait deux pas en arrière. On pardonne tout à Aït Ahmed, c’est une tradition. Houari Boumediène, lorsqu’Aït Ahmed et Khider s’étaient partagé les cotisations des militants (le fameux « trésor de guerre du FLN ») avait dépêché auprès de Khider Djamel- Chérif Belgacem, mais accompagné de Slimane Hoffman. Aït Ahmed, quoi qu’il raconte, ne fut jamais en danger de mort de la part du pouvoir d’Alger. Houari Boumediène l’avait exécuté d’une phrase, une seule : “Notre “zaïm” a évalué le coût de sa contribution à la Révolution et il s’est servi !”. Le pire était à venir, il est venu d’Aït Ahmed lui-même. Il s’était compromis politiquement avec les pires ennemis de la démocratie, il se suicidera historiquement en salissant la matrice originelle de l’ALN : I’OS. Etrange dictature en vérité que celle de la “junte” d’Alger qui adresse supplique sur supplique à notre homme pour qu’il prenne sa place sur l’échiquier politique national. Etrange police algérienne qui maintient en permanence un piquet de policiers devant la grande maison vide du chemin des Glycines et étrange mairie d’Alger qui, de temps à autre, en ravale la façade. En ce qui me concerne, après Souaïdia comparé à un militant de l’OS, je n’ai plus le courage de ravaler quoi que ce soit. Cinquante ans de faux semblants, de mensonges et d’illusions ! …

 

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