Réponse de H. Bouabdellah à R. Boudjedra
Réponse de H. Bouabdellah Cinéaste, écrivain à Boujedra pour son article paru dans le monde et intulé «L’honneur de l’armée algérienne »
Hassen Bouabdellah, 17 juillet 2002
Avec un simplisme de soldeur, l’écrivain algérien BOUDJEDRA, met dans un même package bonheur des Algériens et honneur de l’armée, package qui lui sert d’argumentaire pour justifier dans le Monde du 6 juillet sa décision de servir à la fois de témoin de moralité et de blanchisseur politique au Général Khaled NEZZAR dans son procès contre l’ex-ex sous lieutenant de l’armée algérienne et auteur de la » sale guerre » Monsieur SOUAÏDIA. Si on le fait en conscience, il n’y a aucun déshonneur à venir servir de caution à son idole, même si cette idole est le personnage le plus vomi des officiers supérieurs algériens. Là où ça ne va, c’est lorsque l’écrivain, s’accompagnant du refrain de Luky Luke – je ne suis qu’un pauvre artiste solitaire – et sur un ton messianique s’adresse aux lecteurs du Monde qu’il essaye de séduire en citant H.MICHAUX dont il transforme ce qui ne peut être qu’une boutade littéraire – la fameuse définition du bonheur qui consisterait » à rendre le réel inoffensif » – en aphorisme universel, pour prêcher foi ( il écrit : » Je ne démontre rien » ) en la magnifique sainteté du général » sauveur de l’Algérie » et prévenir de ce qu’il en coûterait si on ne devait pas le croire sur parole !
Il est désolant et même affligeant de voir un écrivain établi se prendre pour un Raspoutine, ébouriffé et écumant. Mais il devient tout simplement intolérable d’entendre tuer une seconde fois les morts , ces victimes expiatoires d’une guerre civile déclenchée par le brutal arrêt des élections législatives de 1991 : on n’a pas le droit de rire, ni même de se taire devant la profanation du grand cimetière qu’est devenue l’Algérie entière.
Dans son désir fou d’émasculer la réalité pour la rendre inoffensive ( pardon Monsieur Michaux, je sais que vous n’y êtes pour rien dans cette affaire ) – cela bien sûr pour le grand bonheur des Algériens qui, je ne doute pas apprécieront, Boudjedra occulte des faits pourtant évidents et qui ne laissent aucun doute quant à la responsabilité de la caste des hauts gradés de l’armée algérienne dans la transformation d’une immense espérance démocratique en tragédie de tous les jours.
D’abord et avant tout, il n’est pas permis de draper d’oubli la mémoire des plusieurs centaines d’adolescents ( 400 à 500 morts : mais là aussi les velléités des » démocrates algériens » faisant bien les choses, l’enquête n’a jamais abouti ) fauchés par la mitraille des chars de l’armée algérienne. Y a-t-il discussion sur qui a tué ce jour-là ? Et ce jour là même, n’en déplaise à l’auteur de » La répudiation « , l’armée algérienne a perdu son honneur Sans état d’âme aucun, l’Etat major a commandé et les officiers ont exécuté l’ordre de canarder à coups de tourelles de tank, des jeunes manifestants qui criaient » Démocratie » et d’autres » Peuple, armée, tous unis « . C’est faire preuve de forfaiture que d’accepter que soit bafouée toujours et toujours la mémoire de ces martyrs de la démocratie, car – n’est-ce pas Monsieur Boudjedra et autres exorciseurs de la réalité – la brèche démocratique en Algérie, on ne la doit ni à vous ni à l’auteur de ces lignes ni à nul autre qu’à ces jeunes d’octobre 1988 ! et qui à l’époque ont été traités de » gamins chahuteurs » par quelques auto-proclamés démocrates d’aujourd’hui.
Le napalm ensuite ! Ne reculant devant aucune extrémité, les responsables militaires algériens en sont venus à asperger de napalm les maquis au nom de la lutte antiterroriste comme l’a fait l’armée française au nom de la lutte contre les fellaghas. Cela a plusieurs reprises. Croyant bien communiquer, ses services de propagandes ont livré des images à la presse étrangère sur le honteux exploit ( TF1 par exemple a diffusé pendant une poignée de seconde l’image ) ! C’est là une innommable offense faite à ces montagnes qui ont abrité la lutte de libération. La pierre et les arbres en portent les stigmates ce qui rend les choses facilement vérifiables ! Les islamistes possèdent -ils du Napalm ? ! L’utilisation de cette essence incendiaire contre les populations civiles pose le problème de la responsabilité du pays fournisseur à l’armée algérienne !
Autre fait univoque : les nombreux crimes exécutés en prison, réalisés selon la recette mafieuse ce qui a permis d’éliminer les témoins gênants (par exemple le présumé assassin de l’ancien secrétaire générale de la centrale syndicale, Monsieur Benhamouda ) . Les prisons d’El-Harrach , de Serkadji ont connu de véritables carnages. Très récemment, pratiquement toutes les prisons algériennes ont vécu des événements similaires
Il y a encore tous ces disparus ! Et toutes ces mères qui attendent qu’on leur dise qu’est-ce que les militaires ont fait des enfants qu’ils sont venus chercher la nuit ( autre méthode reprise aux amis de LE PEN pendant les » événements » d’Algérie°) !
Boudjedra a l’audace de parler des jeunes circonscrits ! Par milliers préférant rejoindre le maquis ou basculer dans une vie de clandestinité et d’errance plutôt que rejoindre l’A.N.P. Par milliers aussi désertant ! Et par milliers exécutés si tôt retrouvés. Et les autres jeunes recrues, » troufions » que le commandement militaire a basculées dans une guerre, non pour défendre la patrie, mais pour tuer des Algériens comme eux. Non ! ils ne sont responsables mais les victimes de ces hauts officiers algériens qui depuis le coup d’Etat contre Ben Bella en 1965, fonctionnent selon le paradigme : monopole des armes égale monopole du pouvoir !
Et s’il est besoin de rappeler ce que sont les brutalités de l’armée algérienne, un seul fait suffit : le jeune adolescent tué par une rafale à bout portant dans une gendarmerie près de TIZI-OUZOU ? Avec les conséquences que l’on sait : depuis, toute la Kabylie est en crise et réclame le départ définitif des gendarmes de la région ! Est-ce la preuve d’un amour immodéré d’un peuple pour son armée ? Et dire qu’il y a des imbéciles qui croient que la sensibilité artistique ou littéraire se doit de mentir vrai et non de mentir faux !
Leur honneur les hauts officiers algériens l’ont perdu ces jours d’octobre 1988 ! Et fin décembre 1991, en donnant un coup de botte dans les urnes, ils ( et le général NEZZAR avec eux ) ont perdu leur âme. En vertu d’une loi très simple et toujours vérifiée : lorsqu’une armée sort de sa mission première pour se consacrer aux opérations de police, elle se met automatiquement sur la pente conduisant infailliblement à perdre et son honneur et son âme. L’armée française d’abord, puis Pinochet, les généraux argentins et même l’armée soviétique en Afghanistan sont autant d’exemple. Rien que pour ça, Monsieur SOUAIDIA ( Monsieur c’est quoi ? selon Boudjedra ) a déjà gagné contre le Général NEZZAR ( Monsieur » TOUT » donc ! ), le principal responsable du coup d’état contre le président élu – M.CHADLI et contre le verdict des urnes.
Boudjedra a raison de croire qu’il a eu beaucoup plus de chance que d’autres pendant cette guerre civile qui a maintenant plus de dix ans d’âge ( 3 ans de plus que la guerre de libération et ce n’est pas fini). Mais dans les noms qu’il évoque, il pratique l’amalgame et évite de dire l’essentiel comme par exemple que la police algérienne si prompte à arrêter les auteurs des crimes crapuleux n’a pu le faire qu’à de rares exceptions ( et encore le présumé coupable est tué en prison ) en ce qui concerne les éliminations attribuées aux islamistes. A cet égard est édifiant le cas de ce binational de Annaba dont l’assassinat a été d’abord attribué avec fracas au GIA, trois jours plus tard, le criminel fut arrêté ! – c’était un voleur !
Monsieur ASALAH n’était pas peintre mais le directeur de l’Ecole Supérieures de Beaux Arts – un homme charmant qui n’appartenait à aucun groupe politique, les circonstances de sa mort et celle de son fils, pouvaient permettre à la police, considérant les indices de départ, d’aboutir vite : l’assassin était un jeune homme de 20 ans dont la tenue comme l’attitude se confondaient avec celle des étudiants de l’Ecole ; jeans, pas de barbe, un cartable sous le bras ; il a attendu dans la cour l’arrivée de ses victimes sans soulever le moindre soupçon. Les nombreux témoins ont pu l’observer et le décrire. Il a tiré sans crier » Allah Ouakbar » – <<Allah est grand >>- au moment de tirer ! Pourquoi serait-ce a priori un islamiste ? En tout cas malgré les nombreux indices et la bonne description qui en fut faite, il n’a jamais été appréhendé.
Youcef Fathallah était notaire. Cet homme affable et discret fut tué dans son étude située en plein centre d’Alger. Comme le professeur Boucebsi, il était membre de la commission d’enquête sur l’assassinat de Boufiaf (En cette tragique occasion Boujdera s’était illustré par sa clairvoyance en venant dire le soir même au journal de 20 heures de TF1 sa certitude que l’assassin du Président du Haut Conseil de l’Etat était un agent islamiste.) L’élimination des deux personnes est d’autant plus étrange que les deux ont fait part à la presse de leurs réserves sur la manière dont se déroulaient les investigations. Boudjedra aurait pu encore citer l’ancien Premier Ministre et ex-chef de la sécurité de BOUMEDIENNE, en l’occurrence Monsieur Kasdi Merbah, arrosé de balles, un après-midi ensoleillé, tout à fait comme dans le film » Le Parrain « .
Dieu sait reconnaître les siens, il faut le croire ! BOUDJEDRA, menacé par les intégristes, a été bien protégé. On peut, on doit s’en féliciter ! Ce ne fut pas le cas des habitants de (Bentalha ) ! Peut-être, parce qu’ils ne comptaient pas parmi eux un écrivain, un artiste ! En supposant que ce massacre n’a pas été commandité par les aigrefins du service de propagande de l’armée ( méthode courante dans toutes les armées amenées à faire des missions de police ), ni ne fut « un dommage collatéral », il n’en reste pas moins que la tuerie à l’arme blanche de femmes et d’enfants, a eu lieu à cinq kilomètres d’une caserne et sous la surveillance d’un hélicoptère de l’armée – les assassins se sont acharnés exclusivement sur des femmes et des enfants ce qui en fait un phénomène inédit dans l’horrible histoire des crimes contre l’Humanité, (même les nazis se sont contentés de tuer à l’aveuglette hommes, femmes et enfants, ou se sont limités à tuer les hommes, mais jamais seulement des femmes et des enfants ). De plus le carnage a pris plus de trois longues heures. Aucun secours, rien ! Ayant accompli leur forfait, les bouchers ont pu repartir tranquillement, armes à l’épaule ! En dehors de la satisfaction du ministre de la santé de l’époque ( » Voilà ce qui arrive quand abrite le GIA » – archives filmées à l’appui ! – a t-il dit en substance sans que personne n’ait pensé serait-ce protester ! , l’explication avancée parle de dysfonctionnement : eh ! bien ! rien que pour ce dysfonctionnement, les Etoilés de l’armée algérienne n’ont plus d’honneur, et s’il leur en restait, ils devraient faire du mot « pardon » une incessante prière !
Dans son amour immodéré pour le maquillage de la réalité – sans doute par admiration pour la » réalité inoffensive » selon Monsieur M.Michaux) – notre forgeron des mots fait preuve d’un superbe entêtement : » C’est une chèvre, même si elle vole » aiment dire les vieilles commères d’Algérie. Libre à lui de croire, dix ans après que l’arrêt du processus électoral des premières législatives libres, a été un bienfait. Et par pitié, on ne le contrariera pas non plus lorsqu’il affirme que le Général NEZZAR et consorts ont déposé Chadli et annulé les élections, non pour obéir à leurs intérêts de caste mais seulement ( et l’âme remplie de souffrance bien sûr ! ) pour accéder à la demande de la » société civile » algérienne, Boudjedra en tête ( Madame Aslaoui, ex-ministre de la Justice et autre témoin de moralité cité par le Général offensé a le même refrain en bouche ). Cependant tout observateur sait ce qu’il en retourne : l’islamisme est vivace comme au premier jour, le terrorisme plus endeuillant que jamais, la Kabylie en dissidence, des jacqueries aux quatre coins du pays, des scandales financiers en veux-tu en voilà, la misère et sa sur la désespérance dansant la farandole etc. Et que 53% d’abstentions aux dernières législatives soit un gage d’optimisme démocratique, montre à quel point Monsieur BOUDJEDRA, cet homme généreux ne compte pas lorsqu’il aime
La haine, c’est l’impasse ! C’est vrai en politique comme en littérature. Comme il arrive souvent, la haine fiévreuse et aveugle conduit son homme à l’autre bout de ce qu’il recherche. A cet égard, le cas Boudjedra constitue un excellent exemple. Un peu de bon sens lui aurait permis de comprendre que son agitation antiislamiste n’aide qu’à entretenir la formidable machine à fabriquer des intégristes. Cette machine, c’est l’armée ! Elle incarne en effet tous les échecs et toutes les humiliations du pays qu’elle dirige sans partage depuis le coup d’Etat contre Ben-Bella, en 1965. Et tant qu’elle est pouvoir, tant que ses chefs continuent de s’accrocher à leurs privilèges qui n’ont rien de privilèges républicains ! l’islamisme non seulement ne sera pas éradiqué, mais de beaux jours l’attendent Aussi vrai qu’on a aucune chance d’arrêter l’inondation, si l’on ne commence pas d’abord par arrêter le robinet
Et ma foi, si pour la défendre la République, il n’y a que des pareils à NEZZAR, alors tans-pis pour la République !
C’est vrai aussi que l’anti-intégrisme est un fonds de commerce si rentable.
Décidément, la haine, cette autre forme d’intégrisme, pourrit tout, l’esprit comme la sensibilité !