Un procès pour l’Histoire
NEZZAR SOUAIDIA
Un procès pour l’Histoire
Par Leïla Aslaoui, Le Soir, 10 juillet 2002
S’il est exact d’affirmer que le procès en diffamation initié par le général-major à la retraite, Khaled Nezzar (partie civile) contre Habib Souaïdia « auteur » de la Sale Guerre, a été généralement bien couvert par l’ensemble de la presse algérienne (indépendante et gouvernementale), il est tout aussi vrai de dire que l’aspect analyse et signification dudit procès a été tantôt à peine abordé, tantôt passé sous silence.
Or c’est précisément le sens à réserver à ce procès qui s’est déroulé du lundi 1er juillet au vendredi 5 juillet 2002 à Paris 17e Chambre correctionnelle qui est non seulement le plus intéressant mais également et surtout le plus important voire capital. Préalablement à cette question, il est utile d’évacuer un point important sur lequel se sont focalisés certains observateurs, journalistes, personnalités politiques et autres. Ceux-là ont vu dans le choix de la date du procès (1er-5 juillet) une volonté délibérée de a juridiction parisienne de faire coïncider le procès avec le 40e anniversaire de notre lndépendance. Et les voici partis dans de grands effets de manche plaidant la mauvaise foi de la justice française cherchant à insulter la souveraineté algérienne.
Sans doute faut-il en incriminer leur simple ignorance (au sens de ne pas savoir) des règles, usages et conditions auxquels obéit la fixation des affaires. Selon l’importance de l’affaire, selon le volume des rôles des audiences, selon le nombre d’avocats des parties, en fonction des vacations judiciaires (vacances judiciaires) une juridiction a parfaitement le droit de fixer une affaire au mois de février pour le mois de juillet. Je me souviens en ma qualité de juge des référés avoir tranché un 14 juillet un litige portant sur la garde de deux enfants que se disputaient un époux algérien et une mère française. Pas plus, le greffier chargé de fixer l’affaire que moi-même, n’avions ne serait-ce que l’espace d’une seconde, prêté attention au lien entre la date 14 juillet) et la fête nationale française. Tant il est vrai que l’enrôlement et la fixation des affaires devant les juridictions obéissent à des critères techniques et seulement techniques loin, très loin, de toute charge émotionnelle ou affective qui n’aurait certainement pas échappé à M. Khaled Nezzar si elle avait eu un quelconque fondement. Et il est inutile de voir de l’injure, de l’offense là où il n’est question que de procédures et techniques.
Ce dont se souviendront par contre tous ceux qui étaient au procès, c’est, – et ce, quelle que soit la décision du 27 septembre 2002 la grande et parfaite déférence du président du tribunal, M. Stéphan, sa capacité d’écoute, et le temps de parole tout à fait libre accordé aux témoins nonobstant leur nombre fort important des deux côtés. De même que demeureront dans nos mémoires ce qu’a dit le magistrat (M. Stéphan) dès l’ouverture de l’audience et l’appel de l’affaire : » En raison de l’importance de la cause, nous y consacrerons le temps qu’il faudra « .
Cette question préjudicielle tranchée, il y a lieu de revenir à la question fondamentale de ce propos : A quoi aura servi ce procès ? Au-delà de l’affaire en diffamation elle-même qui aura servi de cadre ou plutôt de prétexte, il restera ancré dans nos mémoires que l’institution de l’Armée nationale populaire qui n’a cessé d’être diabolisée, tantôt accusée d’incapacité à protéger les populations, tantôt de massacrer ces mêmes populations, d’être l’instigatrice de tous les attentats y compris ceux qui ont eu lieu en France (attentats du RER Saint-Michel pourtant revendiqués par leurs auteurs parfaitement identifiés par la suite) a pour la première fois refusé de se taire et d’encaisser les coups sans répondre. Pour la première fois le terrain de la communication n’était plus abandonné aux seuls détracteurs de l’Algérie républicaine dont l’ANP.
L’on comprendra alors aisément que Habib Souaïdia dont la méconnaissance de la langue française – et l’on a pu le constater au procès – n’était absolument pas l’enjeu du procès. Marionnette instrumentalisée et manipulée pour laquelle ses maîtres ont appelé à une quête de 4 500 à 6 000 euros pour couvrir les frais de voyage des témoins, frais judiciaires, honoraires des avocats
, Souaïdia est et demeurera un délinquant radié de l’armée après avoir purgé quatre années d’emprisonnement (1995-1999) pour faits délictuels. Il avait toutes les » raisons » de se venger. Il n’a eu aucune difficulté à croiser sur son chemin ceux qui allaient lui faire croire qu’il pouvait devenir » grand et célèbre « . Lorsqu’il cessera d’être une curiosité – comme d’autres d’ailleurs – il prendra alors conscience qu’il n’intéressera plus ceux qui l’ont fabriqué parce qu’ils seront à la recherche d’autres curiosités et inventions.
Il suffit de lire l’ouvrage de Mohamed Sifaoui La Sale Guerre : une Imposture (Editions Chihab) pour se convaincre que la genèse de l’écriture de la Sale Guerre de Gèze est décidément un » sale mensonge « . Mais là n’est vraiment pas le problème car au risque de me répéter, je redirai que Souaïdia n’était qu’un prétexte et non un enjeu. Mais lui qui a qualifié à une émission télévisée » Droits d’auteur » (5e) le général-major en retraite de » lâche » a permis de constater que M. Nezzar Khaled est venu de lui-même devant une juridiction française, non pas s’expliquer (comme l’on écrit certains journalistes), non pas justifier et se justifier, mais prendre prétexte de ce procès en diffamation – dont le débat politique a largement dépassé l’aspect purement juridique – pour crier au grand jour une vérité tout à fait autre que celle à laquelle se sont attelés à véhiculer l’Internationale socialiste, les organisations humanitaires, les partisans et artisans du contrat de Rome, tous alliés de l’islamisme intégriste.
Une vérité bien connue et que l’on peut résumer en trois points : 1 – Le processus électoral arrêté a été une confiscation d’une victoire de l’ex-FIS et ce fut l’arrêt du processus démocratique. 2 – Le contrat de Rome était une chance historique pour les Algériens de connaître la paix. 3. On ne sait pas qui tue en Algérie (le fameux et ridicule « qui tue qui ? Ne sont-ce pas là les mêmes propos contenus tant dans l’ouvrage de Gèze La sale Guerre que dans les déclarations de son élève, Souaïdia à l’émission sus-citée ? Et alors l’on comprendra que ce n’était pas comme l’a écrit un journaliste d’un quotidien algérien pour « laver son honneur et celui de l’armée en croisant le fer avec un soldat banni » que le général-major Nezzar a initié ce procès. Tout comme les témoins de la partie civile qui n’étaient pas à Paris à cause de M. Nezzar Khaled ou pour lui mais plutôt grâce à lui puisqu’il leur a permis pour la première fois d’opposer aux thèses haineuses, mensongères, diffamatoires de l’Internationale socialiste et autres alliés de l’islamisme et du terrorisme une autre vérité. Celle de ceux très nombreux, qui n’ont pas joué une pièce de théâtre, qui n’ont pas compté les morts sur une terrasse agréable de café parisien, ou sur les bords du lac Léman, mais ont vécu le drame jusqu’au bout, jour après jour, nuit après nuit, enterrant proches et amis et posant la question : « à qui le tour ? ».
Pour l’Histoire, ce procès demeurera celui de l’affrontement en direct de deux thèses en direct. Il était celui de la guerre en matière de communication. Il est clair que nous aurions dû – y compris l’institution de l’armée – mieux communiquer afin de ne pas abandonner le terrain aux seuls islamistes intégristes, lesquels souvenons-nous, étaient il n’y a pas si longtemps accueillis à bras ouverts, chouchoutés, écoutés, plaints, financés à travers le monde entier et notamment en Europe. En France, il n’y a pas si longtemps que « Fraternité algérienne en France » une organisation islamiste a été interdite. Elle avait pignon sur rue au 11, rue Rochechouart à Paris et diffusait régulièrement ses bulletins macabres revendiquant les attentats avec un style bien connu du type : « les moudjahidine ont abattu une policière qui espionnait les musulmanes » (il s’agit de Karima Belhadj assassinée le 06 avril 1993). Mais le terrain a été abandonné non seulement aux islamistes terroristes mais également et surtout à leurs alliés.
En tout état de cause même si cette bataille de la communication qu’il nous faudra intensifier et gagner à tout prix peut paraître tardive, l’essentiel est d’avoir saisi l’occasion de ce procès en diffamation – encore une fois quelle que soit la décision – pour détruire les thèses mensongères tendant à diaboliser l’ANP et déniant jusqu’au droit à l’intelligence de la société civile. Bien entendu, des voix de journalistes se sont élevées pour s’indigner contre le fait que le procès avait eu lieu en France, alors qu’il eût été judicieux selon eux de l’organiser en Algérie. Le général-major à la retraite Khaled Nezzar ainsi que les avocats et les témoins étaient pleinement conscients de ce « déballage algéro-algérien ». Mais n’aurait-on pas encore accusé (le « on » renvoyant aux mêmes détracteurs) les généraux de faire un procès sur mesure ? N’aurait-on pas accusé la justice d’être aux ordres ?
Ces mêmes voix n’ont jamais exprimé leur indignation lorsqu’on s’acharnait à casser l’Algérie et ses institutions et leur patriotisme est plutôt tardif d’autant que leurs écrits sur l’arrêt du processus électoral sont connus pour être semblables à ceux qui ont appelé cet arrêt « Arrêt du processus démocratique ». L’intérêt de ce procès et sa signification demeureront essentiellement son débat politico-médiatique. Enfin les officines, les laboratoires obscurs, les médias bien connus (presse écrite et parlée), les organisations humanitaires sélectives dans le choix de leurs victimes et des termes employés (opposition armée pour les égorgeurs !) l’Internationale socialiste, les déserteurs de l’armée, souvent – le plus souvent – non par conviction, mais refusant de rentrer au pays après un poste d’attaché militaire à l’étranger, les relais islamistes, n’étaient plus seuls à parler et à communiquer.
Ce moment, personnellement je l’ai attendu dix ans, dix longues années où la pire des injustices qui a été faite aux Algériens est bien celle d’avoir subi le jeu de l’amalgame, de la diversion absolvant l’assassin et accusant la victime. En cela le procès essentiellement axé sur le débat politique n’était pas inutile. A la vérité de ceux qui ont vécu, qui ont connu, qui ont vu, qui ont entendu, la défense fit venir à la barre des témoins qui avaient tous appris la même leçon : les morts sont dus à l’arrêt du processus électoral. Maître Gorni, avocat de M. Nezzar le fera remarquer au tribunal à travers l’exemple de Dame Dutour Nacéra, la sur de Yous : « J’ai entendu, dira-t-il, le témoignage de cette mère de disparu. J’aurais pu être ému si Nacéra Dutour n’avait pas fini son témoignage par cette conclusion : tout cela c’est à cause de l’arrêt du processus électoral ». De même que c’est encore cet éminent avocat qui compara les témoins de la défense à des écureuils qui se nourrissent les uns les autres : « Le premier dit je sais » le second dit : « Je sais puisque le premier sait », le troisième dit : « je sais puisqu’ils savent
et ainsi de suite ».
Ce qui retient l’attention est la haine des témoins non pas contre un pouvoir, non pas contre un gouvernement – ce qui serait leur droit – mais contre leur pays. Leurs visages sont tellement crispés qu’ils semblent déformés par la haine. Les rôles sont bien distribués. Il y a ceux qui ont appris leur leçon, il y a ceux chargés de l’applaudimètre. Dehors dans la salle des pas perdus islamistes purs et durs et militants du FFS ont recours aux menaces verbales (insultes, crachats). J’entends l’un d’eux crier à l’adresse de Mmes Benameur Anissa, Benhabylès Saïda, et moi-mêmes : « Mais qu’ils rentrent chez eux ces s
» combien a-t-il raison ! C’est vrai en France ce n’est pas chez nous et nous ne sommes ni à vendre ni à acheter. Latifa Benmansour, écrivain connue est prise à partie par un militant « FF.FIS » pour reprendre la formule géniale d’un avocat algérien de M. Khaled Nezzar. Elle est agressée physiquement et dépose plainte.
Bien entendu, le chef d’orchestre on l’aura compris est José Garçon journaliste à Libération dont on connaît l’attachement viscéral aux thèses du FFS. Son discours ressemble en tous points à celui d’Aït Ahmed Hocine. Son visage d’une pâleur extrême laisse entrevoir l’acharnement haineux contre l’Algérie républicaine et l’absence de toute féminité. Que dire de cet ancien ministre sorti un jour de son anonymat qui voit en un soldat revenchard son propre fils ? Il n’a pas tort, tel père tel fils, éternels casseurs de leur pays !
De l’autre côté les témoins, calmes, pondérés, ne gesticulaient pas, n’insultaient pas. Eux avaient vécu, ils n’ont jamais imaginé l’Algérie. Ils l’ont connue ensanglantée, ils ont enterré des amis et ils se sont prononcés pour l’arrêt du processus électoral parce que femmes et hommes de convictions, ils savaient que le fascisme à travers l’histoire n’avait jamais été fécond et qu’une élection libre n’a de sens que lorsqu’elle promet une avancée démocratique.
La défense a cru présenter un témoin important, son joker M. Aït Ahmed, et certains journalistes ici et là-bas ont beaucoup mis l’accent sur son témoignage. Pour avoir eu la chance d’être dans la salle d’audience, je peux affirmer qu’il était fatigué très fatigué même, en proie à de sérieuses difficultés de mémoire (erreurs sur des dates). En outre c’était la première fois que je l’écoutais. J’ignorais qu’il mettait la main sur la hanche pour s’exprimer. Cela m’a rappelé un souvenir d’enfance. Ma grand-mère avait pour voisine Khalti Tamani une faiseuse d’embarras qui parlait ou se disputait en gardant la main sur la hanche. Quant à son témoignage il n’a rien, mais absolument rien apporté de nouveau. 1) le processus électoral a été une violence et une erreur. 2) Il a refusé l’idée que c’est à l’appel du CNSA que nous avions manifesté le 02 janvier 1992. Fort heureusement un des artisans- M. Lounis Omar syndicaliste- a expliqué au tribunal comment le CNSA avait été créé et dans quelles conditions la marche a eu lieu. Je me souviens pour ma part que j’avais crié avec d’autres : « Non au deuxième tour, Armée avec nous ».
Quant à la phrase : « Il y a un fleuve de sang entre nous » (Aït Ahmed) s’adressant à M. Nezzar) il convient d’ajouter que ce sang a été versé par les seuls assassins islamistes qui ont décidé que « ceux qui n’étaient pas avec eux sont contre eux et leur meurtre est licite ». Non, décidément Aït Ahmed a raté un autre rendez-vous le 04 juillet 2002 avec l’histoire, lui qui a dit à ce procès qu’il n’était pas citoyen algérien ou qu’il ne se sentait pas citoyen algérien ce qui revient au même. La cerise sur le gâteau a été la comparaison faite par Aït Ahmed Hocine entre un soldat radié des rangs de l’armée pour faits délictuels, – Souaïdia en l’occurrence – et un militant de l’OS (Organisation secrète de la guerre de Libération). « Il me rappelle 1949 lorsque nous militions dans l’OS » (Aït Ahmed). A la décharge de celui qui a fait cette malheureuse déclaration, il y a certainement la grande fatigue des neurones et l’âge avancé de son auteur.
Une chose est sûre : quelle que soit la décision qui sera prononcée, ce procès aura marqué l’Histoire, car le général major à la retraite, Khaled Nezzar a montré en initiant lui-même le procès, que l’armée n’est pas celle des lâches et qu’elle ne fuit pas. Il a fait le choix de livrer une vérité – la seule – au tribunal. C’est là l’intérêt de ce procès, car comme l’a dit le procureur de la République : « L’Histoire jugera ». Et c’est précisément, que consciente que le tribunal devenait au fil des jours un espace d’expression – sans le vouloir – que les deux avocats de la défense ont souvent fait dans l’insulte, c’est certainement parce qu’ils n’ont pas pu supporter que puissent leur apporter la contradiction des témoins du niveau et de la qualité de M. Sid Ahmed Ghozali, Ahmed Djebbar, Ali Haroun et autres. Eux sont habitués au fonds de commerce avec des demandeurs de sandwichs et de tickets de métro comme Souaïdia et autres
Ils n’aiment que les sous-hommes, les petits sous-développés.
Une chose est sûre : le tribunal aura à examiner la plainte en diffamation dont le procureur n’a fait que préciser les conditions du délit ! Il reviendra au même tribunal de se prononcer sur ce point. Mais d’ores et déjà, quelle que soit la décision, une autre chose est sûre : toutes les plaintes à l’encontre du général-major Nezzar ont été classées sans suite pour absence d’éléments graves et concordants. Cela signifie implicitement que la justice française sait qui tue en Algérie, qui massacre et sait surtout et avec elle l’État français que la France, voire l’Europe, que cibler l’Armée algérienne seul rempart contre l’intégrisme – islamiste, c’est se tromper surtout après le 11 septembre 2001 de combat et d’ennemi. Le tribunal a entendu deux thèses, une vérité et un mensonge. La vérité de ceux dont les blessures sont indélébiles telle cette pauvre mère dont les trois fils ont été égorgés et le mensonge de ceux qui se sont délectés de nos malheurs.
L’on comprendra alors que la victoire du général major à la retraite Khaled Nezzar et à travers lui l’ANP est le rejet des plaintes. Le procès aura été la première bataille en matière de communication, elle ne sera pas la dernière. Cela est si vrai, que de l’autre côté, le public est reparti dépité car il s’attendait à voir le général-major à la retraite Khaled Nezzar interpellé et arrêté. Les plaintes (neuf en tout) désormais rejetées sont un message politique on ne peut plus clair. C’est le sens de ce procès lequel aura démontré aux uns et aux autres ainsi qu’au tribunal, que le combat de ceux qui ont des convictions est fondé sur des arguments, des faits et des témoignages et non sur le mensonge, l’insulte, la gesticulation et la diffamation. De ce fait, témoigner pour moi n’était pas seulement la continuité de mon combat anti-islamiste-intégriste-terroriste, mais c’était un devoir.
Car comme l’a dit mon ami Rachid Boudjedra « ‘s’il faut juger l’armée, jugez aussi la société civile ». Le message s’adresse à ceux qui se tromperaient d’ennemi et de combat, mais aussi à M. Bouteflika qui a déclaré « que l’arrêt du processus électoral fut une violence ». Pour ma part, je l’assume et si c’était à refaire, je le referai. Une chose est sûre : ce procès demeurera dans l’Histoire et dans les mémoires.
L.A.