Entre Lignes 23-29 mars 2001

Entre les lignes

Nasreddine Yacine, algeria-watch, semaine du 23 au 29 mars 2001

Le décompte de presse donne 95 morts et 3 blessés pour cette semaine. On enregistre 35 morts dans la seule région de Blida – Ouled Yaïch – Koléa, soit à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. Depuis quelque temps, il semble que nous sommes revenus à des massacres qui ciblent des familles entières. Aucune explication ni aucune enquête n’a été ouverte bien évidemment. La presse écrite a tout de même relevé que ces massacres ont lieu à proximité de détachements de la Garde communale ou de patriotes.

Aux armes citoyens !
Du coup, les autorités décident de  » réarmer les citoyens  » affirme Le Matin du 24 mars. Mais avec une grille d’analyse propre à ce canard et Youcef Rezzoug, auteur de l’article, qui considère que c’est un  » Aveu d’échec de la concorde  » et non pas de toute la politique du tout sécuritaire pratiquée depuis 1992. Loin de nous l’idée de défendre la grâce amnistiante offerte par l’ANP et appliquée par Bouteflika, mais il faut avoir une sacrée dose de parti pris ou d’aveuglement politique pour ne pas comprendre et avouer l’échec des « stratèges de la guerre » de l’ANP dans leur « lutte » anti-terroriste.

Preuve à l’appui
Il est maintenant certain, prouvé et vérifié que… le ridicule ne tue pas. Hassan Zerrouky est bien vivant. Après avoir affirmé que c’est l’AIS qui est l’auteur des massacres de Relizane (voir nos deux précédentes éditions de Entre les lignes) H. Z. du Matin revient sur ce sujet dans l’édition du 24 mars avec une série d’interrogations à l’adresse d’un groupe armé, alors qu’il n’a jamais osé poser ces mêmes questions à des corps de sécurité dit « constitués ».
Extrait :  » L’AIS a voulu faire un documentaire à même de la valoriser, de l’innocenter des crimes commis ; c’est raté. Les images filmées par sa propre  » équipe  » l’accablent. D’autant plus que ce massacre a été commis dans une région censée à l’époque être sous son contrôle ! « 
Question à un franc : M. Zerrouky sait-il que la plupart des massacres (Bentalha, Béni Messous…) avaient eu lieu à quelques dizaines ou centaines de mètres de casernes, campements de gendarmerie, de patriotes ou autres services de sécurité ?

Modulation de violence
 » Les massacres ressemblent étrangement à des règlements de comptes  » déclare M. Bouhadef chef du groupe parlementaire du FFS, rapporte La Tribune du 24 mars. Expliquant la simultanéité entre la recrudescence des massacres et la guerre des clans au pouvoir, il estime que  » quelque part il y a des gens qui modulent le niveau de violence  » car  » un certain niveau de violence arrange les décideurs dans le but de faire passer leurs options politiques et surtout économiques. « 
A propos de  » Qui a tué à Bentalha ?  » de Nesroulah Yous et de  » La Sale Guerre  » de Habib Souaïdia, Bouhadef estime qu’au lieu de s’agiter, les pouvoirs publics auraient dû ouvrir une enquête judiciaire.

Guerre psychologique ?
A l’inverse de H. Z. du Matin, S. B. d’El Watan (24 mars 2001) constate que plusieurs massacres ont eu lieu à proximité de casernes de l’armée, sièges d garde républicaine, barrages… Seulement il a une explication originale. D’abord le motif de ces tueries.  » En poussant l’audace à pénétrer à l’intérieur des périmètres censés êtres fortement sécurisés au regard du dispositif militaire mis en place, l’objectif des groupes est parfaitement clair : c’est de montrer qu’ils disposent d’une force de frappe leur permettant d’intervenir où bon leur semble… Cela fait partie de l’action psychologique en vue de déstabiliser l’adversaire.  » Ensuite les raisons de cette facilité à commettre ces tueries. Réfutant  » la thèse de la complicité active ou passive de l’armée  » et la  » mise en doute de l’efficacité de la lutte anti-terroriste « , S. B. considère que  » la démobilisation ou en tout cas la baisse de vigilance qui s’est notamment accrue depuis la mise en œuvre de la loi sur la concorde civile  » n’est que le fruit de  » l’absence d’une volonté politique claire en amont « .
Voilà où nous en sommes après dix ans de « sauvegarde de la République ».

Benachenhou se défoule sur Ouyahia
Dans une série d’article publiés au Matin, l’ex-ministre de l’économie, M. Mourad Benachenhou (à ne pas confondre avec l’actuel ministre des Finances M. Abdellatif Benachenhou) critique la  » démarche présidentielle « . La première partie diffusée le 27 mars est parue sous le titre :  » Le serment d’hypocrite « .
A propos des « réformes » engagées par Bouteflika dans différents secteurs, Benachenhou pense qu’elles sont plus  » destinées à faire croire que « des changements sont dans l’air » qu’à enclencher un processus de bouleversement de l’état des choses dans le pays ! « 
Il donne pour cela un exemple imparable, celui de la réforme de la justice. L’ex-ministre écrit :  » La Commission de la réforme de la justice est un exemple d’une manipulation « réussie », « parfaite » dans le choix de ses membres, « excellente » dans l’ampleur de ses propositions, voici que la mise en œuvre des réformes qu’elle avance est confiée à une personne elle-même passible du code pénal actuel…  » En clair, il s’agit du ministre d’Etat et ministre de la Justice et néanmoins ex-chef du gouvernement (voire futur candidat de l’armée aux prochaines présidentielles) M. Ahmed Ouyahia. Plus loin dans sa contribution Benachenhou évoque  » la fraude électorale  » lors des élections locales de 1997.
Connaissant le « courage politique » des commis de l’Etat, on ne peut s’empêcher de s’interroger : pour qui roule Benachenhou ?

Mounir B. a la mémoire courte
Abdelmadjid Dahoumène  » a été arrêté en Algérie « . L’information est diffusée par tous les titres de la presse écrite algérienne. Mounir B. du Quotidien d’Oran (du 28 mars) se met également de la partie. Rien de particulier concernant cette affaire. Le journaliste est bien sourcé, comme d’habitude. Il explique que Dahoumène « fait partie » du groupe de Ressam, l’Algérien arrêté à la frontière américano-canadienne en décembre 1999.
Mais où la mémoire de Mounir B. devient défaillante c’est lorsqu’il affirme que Ressam a été arrêté  » à bord d’une camionnette bourrée de 60 kg de TNT et de plastic « . Si vous retournez à la presse de décembre 2000, vous allez trouver que Mounir B., Salima Tlemçani d’El Watan et autres journalistes du Matin et de Liberté n’ont jamais évoqué la présence de TNT mais plutôt de celle de nitroglycérine. Ce qui, d’ailleurs, paraissait invraisemblable de transporter avec une telle aisance et facilité un explosif liquide aussi puissant.
De la rigueur, ce n’est pas ce qui est demandé à ces journalistes.

Guerre médiatique entre les services algériens et américains
L’arrestation de Dahoumane (transcription différente du nom dans El Watan) donne lieu à une confrontation médiatique par journalistes interposés entre les services de sécurités algériens et le FBI sur les colonnes d’un même journal, El Watan en l’occurrence.
Dans son édition du jeudi 29 mars El Watan publie deux articles à propos de cette arrestation. Le premier de Djemila Benhabib, correspondante à Montréal, et le second de la désormais célèbre Salima Tlemçani. Les deux journalistes s’entendent à dire que Dahoumane a été arrêté par les services de sécurité algériens. Mais, explique D. Benhabib :  » Bien sûr, il aura fallu les va-et-vient de plusieurs officiels américains dont le directeur du FBI, Louis J. Freech, qui a séjourné le week-end dernier à Alger, pour arriver à de tels résultats. D’ailleurs, ajoute-t-elle, sans une coopération entre Algériens et Américains, on n’aurait jamais pu espérer resserrer l’étau sur Abdelmadjid Dahoumane « . Pour Salima Tlemçani  » selon des sources sécuritaires, l’arrestation de Dahoumane n’a été que le fruit d’un concourt de circonstances « . Ce n’est que 24 heures après son arrestation, explique S. T., que Dahoumane avoue sa véritable identité. Les détails que donne Benhabib sur le passé de Dahoumane feraient rougir sa consœur d’El Watan.
Autre contradiction :  » Curieusement, écrit la correspondante d’El Watan, ce dernier (Abdelmadjid Dahoumane – ndlr) n’a laissé aucune empreinte digitale sur les détonateurs, les sacs d’explosifs, la Chrysler ou dans le motel 2400 qu’il a partagé avec Ahmed Ressam la veille de son arrestation.  » Sur ce même propos, Salima Tlemçani écrit :  » Après l’arrestation de Ressam, les agents du FBI sont tout de suite remontés à Dahoumane, par le biais de sa carte de crédit mais également grâce aux empreintes digitales retrouvées dans la chambre d’hôtel où était descendu Ressam « .

L’armée communique
Pour la première fois depuis l’avènement des massacres collectifs un responsable de l’ANP, le général major Fodil Chérif, commandant de la première région militaire, attribue officiellement, lors d’une conférence de presse, le massacre de Ouled Yaïch au GIA de Antar Zouabri, selon El Youm du 29 mars.
Il faut s’attendre désormais à des conférences de presse à la suite de chaque massacre. C’est cela la lutte anti-terroriste

 

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