DECLARATION de l’Association de Tizi-Hibel

DECLARATION de l’Association de Tizi-Hibel

Le mercredi 18 avril le jeune Guermah Massinissa, un enfant du village, est assassiné par un gendarme de la brigade de Béni-Douala. Spontanément un large mouvement de protestation pacifique, réunissant les lycéens et des citoyens de la région s’est constitué pour dénoncer ce crime et demander que justice soit faite.

Pour toute réponse les autorités publient un communiqué du groupement de la gendarmerie qualifiant Massinissa de « voleur » et « d’agresseur » alors même que le gendarme assassin convaincu de son impunité n’est nullement inquiété.

Contre cette attitude intolérable, les citoyens de Béni-Douala et des communes de la région se sont révoltés et ont exigé une fois pour toutes le départ de la brigade de gendarmerie dont les exactions et l’arbitraire ont à maintes reprises été dénoncés auprès des autorités locales ou de wilaya. Sans résultat.

La révolte, nourrie par la rage et l’exaspération, face à la répression exercée par les gendarmes et les forces anti-émeutes dépêchées en renfort, a rapidement gagné en ampleur et en détermination laissant sans effet les incessants appels au calme lancés par les parti et les élus locaux.

Au même moment près de Béjaia à Oued Amizour les gendarmes procèdent à une abusive interpellation de lycéens qui est à l’origine d’un mouvement de protestation qui embrase toute la wilaya.

En quelques jours, le soulèvement de la jeunesse gagne toute la Kabylie.

A Tizi-ouzou, Draa El Mizane, Boghni, Azazga, Ouahdias, Bouira, Béjaia, El Kseur, Sedouk, Sidi Aich, Ouzellaguen, Sétif et dans bien d’autres localités, les jeunes organisent des marches de protestation et de soutien à leurs camarades. Ils crient leur exaspération face au mépris et à l’arbitraire et dénoncent le Pouvoir responsable.

Partout une répression féroce menée par la gendarmerie et les forces spéciales
s’abat sur les manifestants donnant lieu à des émeutes sanglantes. Tirs à balles réelles et explosives, grenades lacrymogènes à bout portant, matraquages ont provoqués à ce jour plus de cinquante morts et plusieurs centaines de blessés parmi les manifestants.

L’association Tizi-Hibel, endeuillée par la mort du jeune Massinissa, s’associe à la douleur des familles de toutes les victimes de cette effroyable répression. Elle leur présente ses sincères condoléances et émet le vœux de prompt rétablissement à tous les blessés.

L’association dénonce l’attitude intolérable des autorités qui recourent à la provocation et à la répression au mépris de l’écoute et du dialogue souhaité par les manifestants.

Provocation par le silence qui a suivi les premières manifestations (dans l’espoir sans doute de les voir endiguées par la répression ), provocation dans les propos cyniques et méprisants du Ministre de l’intérieur à l’égard des manifestants à Béjaia ou de la mémoire de jeune Guermah, enfin provocation du discours présidentiel qui a tourné le dos aux problèmes soulevés par la jeunesse.

La répression est organisée par l’envoi massif et immédiat de forces spéciales en renfort partout pour tenter de mater le mouvement. L’efficacité en ce domaine ne manquera pas d’interpeller l’opinion sur les lenteurs mises, par ailleurs, à intervenir pour secourir des populations livrées aux égorgeurs.

Des tirs à balles réelles sont dirigés sur les jeunes manifestants comme si la liberté d’action était donnée aux agents pour tuer.

Tout semble géré de façon à laisser la situation évoluer vers le pourrissement comme le voudraient semble-t-il certains manipulateurs engagés dans de sordides luttes de sommet.

L’association se déclare solidaire de la révolte en Kabylie.

Au travers des mots d’ordre et des cibles de leur action, les jeunes manifestants
expriment clairement un message de révolte.

Révolte contre le Pouvoir et ses représentants tenus pour responsables de la situation de laissée pour comptes faite à une jeunesse sans perspectives, abandonnée au chômage, à la misère sociale et morale, à l’arbitraire et la terreur.

Révolte pour la reconnaissance de l’ identité culturelle et linguistique amazigh
réprimée et méprisée par un Pouvoir dont la politique en matière éducative et culturelle a toujours consisté à imposer à la jeunesse algérienne des valeurs et des repères étrangers à son histoire et à son identité réelles.

Révolte contre la classe politique réduite pour l’essentiel à des appareils bureaucratiques coupés de la société gravitant plus ou moins à la périphérie du pouvoir et dont la pratique a mené au discrédit de l’action et du militantisme politiques en tant que moyens d’opposition et de résistance au système.

L’association appelle les Algériens à une solidarité agissante avec la jeunesse de Kabylie.

Au travers des revendications à caractère démocratique et social c’est la question de la nature du système politique algérien qui est en réalité posée par la révolte de jeunes de Kabylie.

Si au cours des années les gouvernants ont parfois changés, force est de constater que le système, lui, est toujours le même.

Il est caractérisé par les choix politiques et économiques du régime qui, au fil du temps ont façonné une double Algérie :

· Celle des tenants du régime, des riches et des parvenus, qui vivent pour la plupart à l’ombre du Pouvoir et de l’armée, et bénéficient du partage avec leurs bailleurs de fonds étrangers, de l’essentiel du revenu tiré de l’exploitation des ressources du pays .

· Celle du grand nombre, des millions de citoyens de plus en plus marginalisés, abandonnés à une misère galopante, au mépris et à la terreur.

Dans ce contexte, le rôle politique dévolue à l’Etat algérien a toujours été subordonné à la volonté de maintenir cette situation et de toujours gagner du temps.

On peut à cet égard s’interroger sur les causes réelles de la persistance depuis des années dans le pays, d’un climat de terreur peu propice à l’expression des luttes sociales ou au débat politique mais largement mis à profit pour remettre en cause des acquis démocratiques conquis au prix du sang.

Aujourd’hui la révolte de la jeunesse de Kabylie constitue une nouvelle donne.

Elle permet de poser les vrais problèmes du pays et de sortir de la confusion savamment entretenue sur les véritables enjeux et les protagonistes impliqués.

Cette révolte pose les problèmes de tous les algériens victimes du système.

Elle les concerne tous et tous se doivent d’exprimer leur solidarité.

PARIS LE 1ER MAI 2001

 

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