M. Bouteflika perd ses alliés politiques en Kabylie

M. Bouteflika perd ses alliés politiques en Kabylie

Moins de vingt-quatre heures après le message du chef de l’Etat, le Rassemblement pour la culture et la démocratie a officialisé, mardi 1er mai, sa décision de se retirer du gouvernement, alors que la tension reste vive dans la région. Le message à la nation du président Abdelaziz Bouteflika a laissé les Algériens sur leur soif de réformes et de libertés. M. Bouteflika a annoncé une seule mesure concrète, la création d’une commission nationale d’enquête.

ALGER correspondance

La déception est grande en Algérie, depuis l’adresse à la nation du président Abdelaziz Bouteflika à la télévision algérienne. Attendu avec impatience, le chef de l’Etat avait choisi, lundi soir, de s’exprimer dans un arabe classique difficilement accessible pour la population, que ce soit en Kabylie ou dans les régions arabophones du pays. M.Bouteflika, qui sait pourtant manier avec brio un langage accessible au plus grand nombre, a paru guindé et engoncé dans une officialité inexplicable.

Le lendemain, le pouvoir a semblé vouloir rattraper les choses. De larges extraits du discours présidentiel, avec traduction en langue française, ont été diffusés par la télévision nationale, et des journalistes parlant le tamazight (langue berbère) avaient tout spécialement été choisis pour officier lors des journaux de 13 heures et de 20 heures.

Ces petits gestes sans portée n’ont pas modifié d’un pouce les réactions sans appel de la population. « Bouteflika n’a rien à dire », commentaient les Algérois, qui ne manquaient pas de relever l’absence de mesures concrètes dans le discours présidentiel. « Il dit avoir compris le message des révoltés mais il a paru à des années-lumière de la réalité », disait-on dans les rues d’Alger.

Le chef de l’Etat s’est en effet contenté d’annoncer la constitution d’une commission nationale d’enquête formée par des représentants de la société civile et a laissé entendre que la langue tamazight pourrait être intégrée dans le futur projet de révision de constitution.
Il a également indiqué son intention d’adopter la proposition de la commission nationale de réforme de l’éducation nationale, rendant obligatoire l’enseignement de la langue berbère dans les régions berbérophones. Pas un mot, en revanche, sur l’attitude des forces de l’ordre, et surtout de la gendarmerie, tant décriées par la population. Dans le plus pur style de la tradition du pouvoir algérien, M.Bouteflika a préféré évoquer l’idée d’un « complot » et d’une « manipulation » derrière les évènements tragiques de Kabylie. Tout ceci, a-t-il dit en substance, n’est pas fortuit, mais nous savons qui se cache derrière ces violences.

La formule délibérément vague pourrait désigner aussi bien le Front des forces socialistes (FFS), adversaire politique résolu du pouvoir, que des clans au sein du régime. Quoi qu’il en soit, ce discours a été si décevant que le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi a fini par officialiser mardi après-midi sa menace de quitter le gouvernement de coalition. Un coup dur pour le président algérien, qui tirait gloire d’avoir réussi à mettre dans le même gouvernement les laïcs du RCD ainsi que les islamistes du MSP et d’Ennahdha.

Pour sa part, le premier secrétaire du FFS, Ali Kerboua, a qualifié le discours de Bouteflika de « méprisant » et de « modèle d’orthodoxie stalinienne ». Le parti de Hocine Aït Ahmed appelle à une manifestation pour jeudi soir dans la capitale, avec ou sans autorisation officielle. Etrangement, la télévision algérienne, qui boycottait systématiquement jusque-là les activités du Front des forces socialistes, a diffusé cet appel à la manifestation.

Sur le terrain, un calme précaire émaillé d’incidents régnait mercredi dans plusieurs régions de Kabylie. La tension restait vive, en dépit d’une accalmie, dans une Kabylie largement occupée à enterrer ses morts. Des affrontements, violents mais brefs, ont encore eu lieu mardi à Tizi-Ouzou, où des milliers de manifestants se sont attaqués au siège de la gendarmerie. Des incidents similaires se sont produits dans plusieurs villages ainsi que dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj. Et les universités sont toujours en ébullition.

Tandis que les décomptes de presse avancent toujours le nombre de 62 à 80 morts, le ministère de l’intérieur présente le bilan de 42 morts, dont un officier de la gendarmerie nationale. Selon lui, il y aurait eu par ailleurs 184 blessés parmi les manifestants, et 388 dans les rangs des forces de l’ordre. Yazid Zerhouni, le ministre de l’intérieur, qui, contre toute évidence, contestait encore dimanche que Massinissa Guermouh – l’adolescent dont la mort a déclenché les émeutes il y une douzaine de jours – soit un lycéen, a finalement admis dans un communiqué officiel avoir été mal informé.

La crise ouverte par le soulèvement des jeunes de Kabylie n’est pas près de s’estomper, même si le pouvoir tente de la confiner à une revendication identitaire, alors qu’elle pose fondamentalement la question du changement de régime, dont la façade démocratique ne fait guère illusion.

 

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