Conclusion du livre de Hocine Malti, Histoire secrète du pétrole algérien
Sortie du livre le 2 septembre 2010
Conclusion
La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l’Algérie
Cette « histoire secrète » du pétrole algérien, commencée dans l’effervescence des premières découvertes françaises puis dans l’enthousiasme des jeunes ingénieurs de l’Algérie indépendante, se referme donc sur le constat amer d’un pays profondément gangrené par les dégâts de cette « maladie hollandaise », ce Dutch Disease que j’évoquais en introduction. Ce n’est cependant pas la fin de l’histoire, car le pétrole et le gaz algériens sont toujours présents et le seront encore durant quelques décennies. Et si le système de gouvernance que le pays a connu jusqu’à ce jour continue à prévaloir à l’avenir – pas avec les mêmes hommes bien entendu, mais avec leurs clones -, alors son état de santé se détériorera plus encore et le peuple sera toujours plus malheureux. Et pourtant, s’il y avait des degrés dans le malheur, on pourrait dire que l’Algérie a presque atteint le sommet de l’échelle. Mais quelles souffrances peut encore endurer ce peuple ? Qu’y a-t-il de plus horrible qu’une guerre civile qui a déjà coûté la vie à 200 000 de ses enfants ?
Les manifestations de désespoir que l’on enregistre depuis les années 2000 montrent hélas que l’on est encore loin du summum de l’horreur. Les jeunes Algériens ont bien compris que les richesses en hydrocarbures de leur pays ne leur appartiennent pas, ne servent pas à faire leur bonheur, que dis-je, ne permettent pas leur survie. Et ils ne rêvent que d’une chose : fuir vers l’étranger. Y compris en se jetant à la mer, sur une embarcation de fortune, avec une mort quasi-certaine au bout du voyage. Ces jeunes disent : « Je partirai n’importe où, mais je ne resterai pas ici. Mieux vaut être mangé par les poissons de la Méditerranée que par les vers de la terre d’Algérie. » Quelle pensée horrible ! Dans quel gouffre de désespoir doivent se trouver ces hommes qui, à l’âge de 20 ou 25 ans, envisagent avec une telle froideur de mettre ainsi fin à leurs jours ?
Et comment réagit le pouvoir face à ces tentatives de suicides collectifs ? Il jette en prison ces boat people d’un genre nouveau, qui se sont donné le nom très expressif de « harragas », ceux qui ont tout brûlé autour d’eux, passé, présent et avenir. Ceux qui ont perdu tout sentiment de tendresse ou d’amour, toute humanité vis-à-vis de leurs parents, leurs frères, leurs s?urs, leurs voisins ou leurs amis. Les quelques maigres biens qu’ils possèdent ne représentent plus rien pour eux, leur vie n’a plus de sens à leurs yeux. Après avoir poussé une grande partie de l’intelligentsia du pays vers l’exode, le pouvoir des Larbi Belkheir, Smaïn Lamari, Tewfik Médiène, Khaled Nezzar, Abdelaziz Bouteflika et consorts en est arrivé à faire de la majorité des jeunes Algériens des zombies, alors que, si rien ne change, les deux ou trois prochaines générations de leurs propres enfants se pavaneront dans la richesse et le luxe.
Tous ceux qui gardent encore quelque espoir sont bien convaincus que ce niveau d’injustice et d’horreur ne peut perdurer, qu’il faudra bien que les choses changent un jour. Ah ! Le changement. Voilà le mot qu’il ne faut surtout pas prononcer dans l’Algérie de 2010. Quand on évoque la possibilité de changement, que répondent les hommes au pouvoir ? Qu’il n’y a personne pour les remplacer. C’est là encore un des succès de ce régime machiavélique, puisqu’il a réussi à amener une part importante de la population à en être convaincue.
Et de fait, dans le système de cooptation actuel, il n’y a vraiment personne pour prendre la relève. Parce que cette cooptation se limite à puiser les candidats aux postes de très hautes responsabilités dans le même vivier, dont ils ont épuisé toutes les disponibilités, un vivier mis en place voici plus de cinquante ans. Pratiquement à la même date que la découverte du pétrole. Il n’y a personne, parce que pour les hommes du système, un demi-siècle plus tard, eux seuls peuvent accéder au pouvoir.
Abdelaziz Bouteflika en est le symbole frappant. Il était là au début de l’histoire, il y est encore aujourd’hui. Il avait tout juste 25 ans quand il a occupé le poste de ministre de la Jeunesse et des Sports dans le premier gouvernement de l’Algérie indépendante, il en a 73 en 2010. Son cas n’est pas unique, il en est ainsi de tous ceux qui détiennent les vraies rênes du pouvoir. Il faudra pourtant bien que cette « génération de novembre », qui prétend détenir une certaine « légitimité » en raison de sa participation à la guerre de libération, cède la place aux générations montantes. D’autant que cette « légitimité » dite révolutionnaire, elle l’a en vérité confisquée dès les premiers instants qui ont suivi l’indépendance et qu’elle l’a ensuite transformée en tutelle, qu’elle voudrait ad vitam aeternam, sur un peuple qu’elle juge mineur.
C’est pourquoi l’Algérie, où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, est dirigée en 2010 par des septuagénaires. À titre de comparaison, depuis 1962, année de l’indépendance de l’Algérie, les États-Unis ont changé dix fois de président, des présidents qui étaient tous jeunes lors de leur accession à la magistrature suprême. De même, l’URSS avec ses dirigeants grabataires a cessé d’exister ; les nouveaux dirigeants russes, les Poutine, Medvedev et autres sont des hommes jeunes. L’Allemagne ou l’Argentine sont dirigées par des femmes qui n’étaient que des fillettes en 1962.
Il est grand temps que les septuagénaires au sommet de la pyramide du pouvoir en Algérie rentrent à la maison, comme n’a cessé de le proclamer Abdelaziz Bouteflika lui-même au début de son premier mandat. Ils se rendront compte alors que, contrairement à ce qu’ils affirment, il existe en Algérie des hommes jeunes et compétents, en mesure de prendre en mains les destinées de leur pays. Mais ce n’est qu’à partir du moment où la parole sera redonnée au peuple, où il lui sera permis de choisir librement ses dirigeants lors d’élections sans fraude, réellement propres et honnêtes – car la véritable légitimité s’acquiert par les urnes -, que le pétrole redeviendra ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, un bienfait. Seule la démocratie pourra guérir l’Algérie de son Dutch Disease.