Nous parlerons encore de l’Algérie
Nous parlerons encore de l’Algérie
Editorial: Baudouin Loos, Le Soir de Bruxelles, 20 juin 2001
Comme plusieurs grands quotidiens français, « Le Soir » n’a pas réussi, ces deux dernières semaines, à obtenir de l’ambassade bruxelloise le visa nécessaire pour envoyer un reporter en Algérie. Point de refus, certes. Plutôt un répétitif « Revenez demain, s’il vous plaît ».
A l’instar de nos confrères de l’Hexagone, payons-nous ainsi en l’occurrence le prix d’une couverture de la question algérienne dénuée de toute complaisance envers le régime ? Les apparences corroborent cette thèse. Et, vis-à-vis des autorités algériennes, on pourrait même exprimer une certaine compréhension : elles ont vraiment de bonnes raisons pour ne pas cultiver une propension à la transparence.
Qui dit Algérie pense hydrocarbures. Beaucoup d’argent, donc. Qui dit Algériens pense misère. Une misère crasse. Le syllogisme implicite – réducteur mais réel, hélas – de ce qui précède rend compte d’une implacable réalité qui constitue le quotidien d’une immense majorité des trente millions d’Algériens. Une réalité qui les voit privés, grugés, des fruits des riches entrailles de leur sol national. Entre le début de l’année 1999 et la période actuelle, le prix du baril de pétrole brut est passé de l’ordre de 10 dollars à… 28. Cette manne énorme, les Algériens ne l’ont pas vue. Et ils ont l’impression tenace qu’elle s’est perdue dans d’inextricables circuits de corruption, de prébendes et privilèges.
Ils parlent d’expérience, car ce système « pourri », selon les termes mêmes du président Bouteflika, se développe depuis des décennies et bourgeonne plus que jamais dans la guerre civile et la libéralisation concomitante du commerce extérieur depuis les années 90.
Bouteflika Que d’espoirs les Algériens n’avaient-ils fondés en lui. Certes, son élection, en avril 1999, procédait d’un consensus des « décideurs » – le sommet de la hiérarchie militaire, comme chacun sait -, mais le « parler vrai » du « raïs » avait donné des frissons d’illusions. Dénonçant l’économie mafieuse, l’arbitraire, l’incompétence, les passe-droits, Abdelaziz Bouteflika s’était assuré une belle popularité. Une « concorde civile » offerte aux islamistes repentants ouvrait même une porte à la paix.
Las l’impuissance du président se fit rapidement aveuglante. Son verbe, haut, était aussi creux. La déception des Algériens suivit. Profonde, amère. La révolte des Kabyles commença. Accueillie à balles réelles. Le soulèvement, épars pour le moment, d’autres régions algériennes menace. Le pays est au bord de l’explosion. Sociale et politique.
Nous parlerons donc encore de l’Algérie. Avec ou sans visa.
© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001