Le président Abdelaziz Bouteflika est plus que jamais dans l’impasse
Le pouvoir algérien exploite le sentiment « anticasseurs » après les violences de jeudi
Le président Abdelaziz Bouteflika est plus que jamais dans l’impasse
Le Monde, 16 juin 2001
La tension demeure très vive en Algérie après la manifestation organisée par les Comités de villages de Kabylie qui a fait quatre morts selon le bilan officiel, cinq ou six selon les journaux. Les critiques contre le pouvoir, accusé de vouloir diviser la population, se multiplient. Pour Rachid Benyellès, général à la retraite, le président Bouteflika « est dépassé par les événements ». ALGER correspondance
Les affrontements ont repris, vendredi 15 juin, en Kabylie et certains pronostiquent, en l’absence d’une initiative forte du pouvoir, une escalade qui ira crescendo jusqu’à la commémoration, le 25 juin, de l’anniversaire de l’assassinat, dans des circonstances non élucidées, du chanteur populaire Lounès Matoub. Une forte tension a par ailleurs régné dans l’ensemble de l’Algérie, au lendemain de la manifestation des Comités de villages de Kabylie qui a basculé dans la violence. Le bilan officiel des émeutes est désormais de 4 morts et 365 blessés, dont 36 policiers. Les journaux font état pour leur part de cinq ou six morts. Au plan politique, le pouvoir demeure silencieux, tandis que des voix l’accusent de chercher à dresser les jeunes de la capitale contre ceux de Kabylie.
MYSTÉRIEUX CONDUCTEUR
Pour conforter le sentiment anticasseurs au sein de la population, la télévision sous contrôle étatique, média le plus puissant en Algérie, a longuement diffusé les scènes d’affrontements et surtout les dégâts matériels importants provoqués par les émeutiers. Des reportages, accompagnés du commentaire du secrétaire général du ministère de l’intérieur, faisaient un éloge très appuyé de la sagesse des « jeunes des quartiers de la capitale sortis défendre leur honneur » face aux « actes de sabotage des manifestants ».
Les Algérois n’ont certes pas apprécié les dégradations commises par les manifestants, mais certains jeunes de la capitale, supporteurs turbulents du club de football algérois, ont allégrement participé à la casse et au pillage sous le regard complaisant de la police.
Des témoignages publiés dans plusieurs journaux confortent l’impression que ces « contre-manifestants » étaient encadrés et orientés par des policiers, qui désignaient à leur vindicte des « Kabyles » et « leurs journalistes ». De véritables lynchages ont été commis par ces « braves Algérois » contre des manifestants esseulés, mais aussi contre des journalistes. « Qui est derrière ces « nazillons » qui, à chaque marche, viennent provoquer, casser et perturber jusqu’à susciter les affrontements avec les manifestants ? », s’est interrogé le quotidien La Tribune.
La Coordination des villages et quelques journaux ont également mis en doute la version officielle, selon laquelle le bus, qui a fauché les quatre personnes qui sont décédées, dont deux journalistes, était conduit par un manifestant. Des employés de l’entreprise de transport ont déclaré au journal El-Watan qu’ils étaient incapables d’identifier le conducteur du bus meurtrier.
Fortement ébranlé par un mouvement qui essaime dangereusement dans les autres régions du pays, le pouvoir est tenté d’exploiter le grand amateurisme dont a fait preuve la Coordination des villages de Kabylie. Celle-ci dénonce « un pouvoir assassin et mafieux, seul responsable de tous les dérapages constatés ». Pour le Parti des travailleurs (trotskiste), les Algériens sont « poussés dans leurs derniers retranchements par une décennie de violences meurtrières, de privations »et, en restant sourd devant leurs aspirations, « le pouvoir met le pays dans une impasse mortelle pour la nation ».
« LA PIRE DES VOIES »
Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) parle de « dérive criminelle »d’un régime qui « opte pour la pire des voies : la division de la nation ». Les islamistes du Mouvement de société de paix (MSP), membre de la coalition gouvernementale, estiment que l’expression violente des préoccupations des gens est « le produit naturel de l’impasse politique ».
Quant au parti dominant à l’Assemblée nationale et au gouvernement, le Rassemblement national démocratique (RND), il dénonce « l’exploitation de la colère sociale pour détruire les biens du peuple, qu’ils soient publics ou privés », ainsi que « l’exploitation des erreurs isolées pour ternir la réputation des forces de sécurité. »
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Alger exhorte les médias français à « l’objectivité »
L’ambassade d’Algérie en France a appelé, vendredi 15 juin, les médias français au « respect de la vérité et de l’objectivité » dans leur couverture de l’actualité algérienne. « Les médias français, notamment audiovisuels, sont regardés et écoutés par des millions d’Algériens, ce qui -leur- confère une responsabilité considérable », a-t-elle fait savoir, avant de réitérer le démenti des autorités algériennes quant à l’utilisation par la police de balles réelles, jeudi, lors de la marche de protestation.
Par ailleurs, François Huwart a pu visiter la Foire internationale d’Alger, jeudi 14 juin, contrairement à ce qui avait été indiqué. La visite du secrétaire d’Etat français au commerce extérieur a eu lieu le matin, avant que l’exposition ferme provisoirement ses portes, en raison des violences enregistrées à proximité.