Explosion

EDITORIAL

Explosion

Jeacques Almaric, Libération, 30 avril 2001

Talon d’Achille du jacobinisme «arabo-musulman» professé à Alger, le chaudron kabyle, une fois de plus, est en ébullition. Déclenché il y a un peu moins de deux semaines par le meurtre d’un jeune manifestant à l’intérieur d’une gendarmerie proche de Tizi Ouzou, l’embrasement que connaît aujourd’hui la Kabylie est sans rapport avec les tensions qui agitent régulièrement la région. Point de revendications culturelles et linguistiques cette fois-ci, mais une véritable explosion sociale d’une jeunesse dont tous les espoirs se brisent sur le spectre d’un inéluctable chômage. Le phénomène est aussi hautement politique, puisque ce sont les structures et les pratiques de l’Etat algérien qui sont mises en cause par les émeutiers: l’armée et la gendarmerie, considérées comme une force de répression coloniale, leurs chefs, dénoncés pour leur corruption et leur pouvoir occulte, les autorités locales accusées de multiplier les passe-droits, qu’il s’agisse de l’attribution d’un appartement ou de l’entrée dans la fonction publique. Même les formations politiques fortement implantées en Kabylie, qui contrôlaient et encadraient naguère les revendications identitaires, ne sont pas épargnées par les manifestants. Ils ne veulent plus entendre parler de revendications pacifiques et ne se gênent pas pour le faire savoir aux responsables du Front des forces socialistes (FFS) du vieil opposant Aït Ahmed et surtout à ceux du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi, qui paie là sa participation au gouvernement.

Un gouvernement qui atteint pourtant, à l’occasion de cette crise majeure, le sommet de son mutisme existentiel, de conserve avec un président Bouteflika qui n’a pas jugé bon d’interrompre un voyage au Nigeria pour au moins donner l’impression de se préoccuper de son pays. Tous ces silences, dont Alger annonçait qu’ils prendront fin ce soir, doivent bien avoir une signification. Gageons que les autorités préféraient attendre de savoir si la rage de la jeunesse kabyle allait contaminer toute l’Algérie et dégénérer en crise de régime. Ou si, une fois de plus, on pouvait s’en sortir en stigmatisant le «séparatisme antipatriotique» de la Kabylie pour mieux nier les vrais problèmes.

 

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