Trois questions à… Ihsane El Khadi
Trois questions à… Ihsane El Khadi
Florence Beaugé, Le Monde, 30 avril 2001
1 Vous êtes un militant du « Printemps berbère » et avez passé huit mois en prison en 1981. Comment expliquez-vous les émeutes de ces derniers jours ?
Il y a toujours eu, en Kabylie, une cohabitation difficile entre la population et les gendarmes. Ces derniers sont perçus comme les représentants du pouvoir central, comme des forces d’occupation en quelque sorte, beaucoup plus que les policiers, qui sont généralement des gens du bled. De nombreux témoignages font état d’abus réguliers de leur part. Cela s’appelle « la hogra », l’abus de pouvoir. A cela se surajoute la situation économique qui n’est pas fameuse, mais qui n’est pas plus désastreuse ici qu’ailleurs.
Et la génération actuellement dans la rue est celle du boycott scolaire de 1994, porteuse d’un fort ressentiment à l’égard de l’Etat, mais aussi des aînés. On assiste à une véritable rupture entre parents et jeunes.
2 Pourquoi la répression de ces émeutes se solde-t-elle par un nombre aussi élevé de victimes ?
Les gendarmes, et dans certains cas les policiers, ont fait usage de leurs armes à feu, à balles réelles et à hauteur d’hommes. La rumeur qui court en Kabylie, c’est qu’il s’agit d’une provocation délibérée d’une partie du pouvoir qui veut jeter de l’huile sur le feu dans la région, pour trancher des conflits internes en son sein. Plus prosaïquement, il est vraisemblable que les forces de sécurité ont fait preuve d’incompétence et qu’elles ont paniqué.
3 Cet embrasement a-t-il des chances de s’éteindre prochainement ?
La revendication principale « plus de gendarmes chez nous ! » me paraît difficilement envisageable. En revanche, le pouvoir pourrait accepter de présenter des excuses et d’offrir des réparations morales aux familles des victimes. Ceci pourrait calmer la situation.