La djemaâ en Kabylie: pour quoi faire ?

La djemaâ en Kabylie: pour quoi faire ?

Rafa Debbah Kheïreddine, Le Quotidien d’Oran, 9 mai 2001

Habitué aux effets d’annonce, un confrère de la presse quotidienne rapportait hier en grosses manchettes à propos des derniers événements de Kabylie que, désormais, les choses allaient non seulement bon train mais que la « djemaâ », inspirée sans doute par la sagesse de ses membres, était sur le point de tout prendre en main. Avant de nous immerger dans le dédale inextricable qu’on nous soumet à l’étude, sachons que la djemaâ est la dernière des formes d’organisation sociale et « économique » que nous avons héritée de nos ancêtres. Jusqu’au 19ème siècle, plus précisément jusqu’à la fin des dernières jacqueries connues avant la stabilisation complète de la colonisation dans notre pays, la djemaâ, système archaïque par excellence, servait encore passablement de relais au passage des troupes « combattantes » quand il y en avait, mais son rôle exact se limitait à assurer les travaux des champs en mobilisant les gens des villages moyennant un repas quand, par exemple, les plus nantis des villageois refusant de s’associer aux travaux collectifs, étaient appelés à régler la contrepartie des efforts redevables à la société en espèces sonnantes et trébuchantes ou, faute de mieux, en produits naturels destinés à la consommation. La djemaâ pouvait ainsi exercer sa légitimité en planifiant ses périodes pour mobiliser les gens sur la base de la touiza, une sorte d’entraide dont le mouvement ne peut être actionné qu’en s’appuyant sur une certaine forme d’intéressement.

Mais pour en avoir une meilleure idée qu’on sache que depuis la fin des guerres fratricides qui opposèrent pendant 700 ans les Berbères Sanhadja et Zenata sans oublier les Khaouaredj, dans des guerres menées de longue main par les nombreux khalifats qui jalonnèrent l’expansion territoriale de l’Islam d’Arabie à l’océan Atlantique, la djemaâ prit progressivement la place des formes d’organisation politique, forcément éphémères, qui se faisaient et se défaisaient au gré des avancées des troupes combattantes ou de leur recul.

Au 17ème siècle, les djemaâs atteignaient leur apogée. Mais sans autre horizon que celui du recroquevillement sur soi. L’Empire ottoman qui en avait usé et abusé pour dominer les régions qui lui étaient restées hostiles, les laissa en l’état, autrement dit dans un dénuement extrême. Le colonialisme français arrive à son tour. Une fois encore, les djemaâs trouveront à s’employer, les unes pour aider à consolider les rangs de la résistance anticoloniale, les autres pour aider l’étranger à s’implanter. Formule simple en apparence mais ô combien dangereuse par ses conséquences. Bien souvent lors d’une agression, le sort de l’Algérie était joué selon que les vieilles méthodes parvenaient les premières à maîtriser la situation au profit de l’envahisseur. La France s’installe et dès qu’elle a commencé à mobiliser les gens en les réquisitionnant pour les conduire sur les champs de bataille européens comme chair à canon, la djemaâ voit soudain ses jours se réduire. La guerre de libération en achevant de se séparer d’elle avait pensé moderne et démocratique. Par tâtons.

Or, voilà qu’on nous annonce que la solution miracle pour la Kabylie est toute trouvée. Comment ? En réhabilitant la djemaâ ! Pour quoi faire ? Surveiller les stations de péage des autoroutes ? Encore faut-il qu’elles existent. La djemaâ n’est même pas une solution provisoire car relevant d’une inspiration plutôt hasardeuse qui aurait conduit le pouvoir à la solution du coup de poker menteur qui a consisté à opposer les anciens à la nouvelle génération. Cette fois les premiers ont vaincu la grogne de leur progéniture. A quand la prochaine manche ?

 

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