Des centaines de milliers de Berbères dans les rues d’Alger
Des centaines de milliers de Berbères dans les rues d’Alger
31 mai 2001
ALGER (Reuters) – Plusieurs centaines de milliers de Berbères ont manifesté à travers les principales artères d’Alger contre la répression en Kabylie, qui a fait au moins une cinquantaine de morts depuis la mi-avril.
« Pouvoir assassin! » scandaient en français les quelque 300.000 protestataires – d’après l’estimation des journalistes – qui répondaient à un mot d’ordre du Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed, formation bien implantée en Kabylie.
Depuis le meurtre par des gendarmes d’un jeune Kabyle, le 18 avril, une bonne partie de la population de cette région berbérophone traditionnellement insoumise s’est révoltée pour réclamer le départ de la gendarmerie.
La répression de ces émeutes a fait jusqu’à 80 morts selon certains journaux et une première manifestation à l’appel du FFS contre la violence de cette réaction avait déjà réuni il y a dix jours un demi-million de Berbères à Tizi Ouzou – du jamais vu depuis une vingtaine d’années.
Aucun incident notable n’avait été signalé en début d’après-midi à l’occasion de cette nouvelle marche de protestation, qui aurait réuni également un demi-million de personnes, selon un porte-parole du FFS. Les policiers, principalement en civil, s’étaient faits très discrets.
Outre 52 morts, le gouvernement a admis que la répression a fait 280 blessés et a partiellement cédé à la rue en retirant lundi plus de 600 gendarmes de Kabylie, sans empêcher que des extrémistes attaquent une caserne deux jours plus tard, faisant cinq blessés dont un officier parmi les gendarmes.
Cette agitation pose la question de la capacité du président Abdelaziz Bouteflika à rétablir l’ordre dans un pays déjà ravagé depuis près de dix ans par la violence des islamistes armés et de la contre-guérilla menée par les forces de sécurité.
Bouteflika découragé
Selon le chef de l’Etat, qui n’était pas impliqué dans cette situation jusqu’à son retour en politique et son élection, il y a deux ans, le conflit avec les islamistes a fait plus de 100.000 morts.
Il se poursuit, en dépit de ses initiatives de « concorde civile », mais avec une moindre intensité. Selon le journal La Nouvelle République, les islamistes armés ont encore tué cette semaine trois personnes à un faux barrage routier dans la région d’Aïn Defla.
Le journal arabophone international à capitaux saoudiens Ach Chark al Aoussat, croit savoir jeudi que l’ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumédiène aurait fait part aux généraux de son intention d’abandonner le pouvoir faute de consensus parmi eux sur les moyens de rétablir la paix en Kabylie.
« Je veux rentrer chez moi », aurait, selon le journal, déclaré Bouteflika au terme d’une réunion avec des officiers supérieurs consacrée aux troubles en Kabylie, en se plaignant de ne pas avoir les moyens de rétablir le calme.
Le puissant chef d’état-major, le général Mohamed Lamari, aurait répliqué que « la situation ne se prête pas à la discussion d’une telle hypothèse ».
« Il doit rester et assumer ses responsabilités. Son départ ne ferait qu’aggraver la situation », aurait de son côté estimé un autre militaire qui « pèse », l’ancien général Larbi Belkheir, aujourd’hui secrétaire général de la présidence, mais considéré comme l’oeil de l’armée auprès de Bouteflika.
Ach Chark al Aoussat, citant une source autorisée, conclut que « ceux qui ont porté Bouteflika au pouvoir n’en veulent plus, mais n’ont pas de solution de remplacement »