La crainte des généraux

La crainte des généraux

Par Jacques Amalric, Libération,15 juin 2001

La révolte kabyle, qui gronde depuis le mois d’avril, est-elle en train de virer à la révolte algérienne? On ne peut pas l’exclure mais on ne peut pas encore l’affirmer catégoriquement, même si plusieurs agglomérations des Aurès ont connu des montées de fièvre depuis quelques jours. Et même s’il est clair que l’impressionnante manifestation d’hier à Alger ne comptait pas que des kabyles.

Une telle transmutation constitue en tout cas la grande crainte de la poignée de généraux qui, mal cachés derrière le président Abdelaziz Bouteflika, exercent l’essentiel du pouvoir et profitent de l’essentiel de la «rente» pétrolière. D’où les soupçons que l’on est en droit de nourrir sur l’origine des violences qui ont éclaté dans la capitale algérienne. Car la stratégie des chefs militaires algériens aura été constante tout au long de ce printemps noir: provoquer en Kabylie, via une présence gendarmesque particulièrement pesante et tenter d’isoler cette même population en l’accusant de menacer l’unité de l’Etat et de vouloir porter le désordre jusqu’à la capitale.

En dépit de quelques provocations lors de la dernière grande marche du 31 mai, on ne peut pas dire que la tactique ait vraiment réussi: si les Kabyles ont des revendications d’ordre identitaire, leurs protestations contre la corruption, l’incurie et l’autoritarisme de l’administration centrale rejoignent en revanche les préoccupations de la majorité d’une population dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader.

Nul doute que la propagande gouvernementale exploitera les pillages et les destructions d’hier, auxquels a participé une partie de la jeunesse algéroise, alors que des dizaines de milliers de protestataires descendus en autobus de Kabylie étaient toujours bloqués à la périphérie de la capitale. A la tentation de la politique du pourrissement et de l’autisme institutionnalisé risque alors de répondre une nouvelle et irrésistible montée des extrêmes. Mais les généraux régisseurs d’Alger n’ont-ils pas toujours pris soin, pour se protéger de la contestation, de s’abriter derrière un rideau de violence?

 

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