Les brigades anti-émeutes aurait saccagé des magasins

D’après des commerçants et citoyens d’Aokas

Les brigades anti-émeutes aurait saccagé des magasins

De notre bureau Mohamed Boulahrouz et Lamine Hammouche, Jeune Indépendant, 23 mai 2001

Lundi dernier, des citoyens d’Aokas nous ont alertés sur certains dépassements graves commis par les forces anti-émeutes. L’équipe journalistique a décidé de se rendre sur place dans cette petite ville de la côte est, située à 25 km du chef-lieu de wilaya de Béjaïa. Il était 19 heures quand le tunnel situé à l’entrée de la ville est franchi. Avertie par un groupe de jeunes, l’équipe s’est engagée dans une piste, pour se retrouver au milieu d’une cité, afin d’éviter le centre-ville où des affrontements d’une rare violence se déroulaient.

Des nuages de fumée asphyxiantes s’élèvent dans le ciel, les explosions des grenades lacrymogènes se multiplient. Un guide nous fraye un passage au milieu de la foule qui battait en retraite. Nous pénétrons dans un petit café, en bas d’un immeuble. Il est déjà 19h30, la radio-cassette mise en marche, nous enregistrons tour à tour les témoignages des citoyens qui, après quelques hésitations, étaleront, toute crue, cette vérité amère et ces scènes incroyables de dépassements, de casses, de vols et de provocation qu’ils affirment être l’œuvre des brigades «qui s’en sont données à cœur joie pour dévaliser les commerces du marché couvert». Pendant que les uns tiraient des grenades afin de disperser les manifestants, poursuivent nos interlocuteurs, les autres ayant le champ libre et munis d’arrache-clous (récupérés sur les nombreux chantiers en construction aux alentours) s’activaient à ouvrir les rideaux des magasins qu’ils pillaient sans inquiétude. Les témoins sont hors d’eux et certains, des commerçants, n’hésiteront pas à décliner leur identité.

Zidane Achour, 35 ans, boucher au marché couvert nous dira «mon commerce a été la cible des CRS qui, n’ayant pas réussi à ouvrir le rideau, s’acharneront sur les enseignes lumineuses, les traces des rangers sont encore là». Belkacemi Laïd, 33 ans, gérant d’un magasin d’habillement, enchaînera : «Au moment fort des affrontements, j’avais fermé mon magasin, les CRS ont investi le marché couvert ; vers 17h00 je reviens vérifier, et là, stupeur. Ma boutique est ouverte, mes produits jonchent le sol, tout est sens dessus dessous. Je me suis adressé aux CRS : qui a fait ça ? l’un deux me répondit que c’étaient les manifestants.» Il répliquera que le marché a été occupé uniquement par les forces anti-émeutes depuis son départ et qu’aucun manifestant n’a pu accéder à ce lieu. «Mon argument a provoqué chez eux un semblant de gêne. Tout à coup, ils se mirent à me menacer. J’ai pris la direction du siège de la Sûreté, là aussi on a essayé de me convaincre que le délit serait commis par les citoyens.» On lui exigera des preuves. «Elles existent puisque l’un des agents a oublié sa matraque. C’est une preuve que j’ai mise en lieu sûr.»

Ouatmani Fawzi, Belharchaoui Hocine, Lahlouh Kamel, Moussaoui Lounès, Touati Amirouche, Saâdelli Djelloul (chômeurs) ou Nasri Karim, Berdache Zahir, Hadjdj Hacène (commerçants), tous sont affirmatifs sur les pillages, les vols et les provocations. L’un d’eux nous relatera un geste immoral commis par un élément des CRS. Nos interlocuteurs préciseront que cela a provoqué la colère des citoyens et l’escalade de la violence. Meziane Abdelmadjid, 43 ans, adjoint de l’éducation, qui a dû quitter son domicile pour se réfugier chez des amis, raconte. «J’habite près de la brigade, j’ai vu les éléments des brigades anti-émeutes s’acharner sur le café «Berbère», en dessous de mon logement. Sidéré, je suis intervenu en leur demandant de s’éloigner de mon balcon. J’ai été pris à partie par ces agents : insultes, menaces, tout y passait. Une demi-heure plus tard, les CRS m’ont appelé. On voulait probablement m’arrêter. A ce moment-là, les manifestants repoussaient les forces anti-émeutes. Profitant de leur occupation j’ai quitté la maison avec ma famille pour me réfugier chez des amis. Mes enfants sont terrorisés, ma femme est alitée. J’ai peur de ce qui peut arriver. Pourquoi cette haine ? Pourquoi ce mépris ?», conclura ce témoin au bord de l’explosion.

Taxiphones, kiosques à tabacs, rien ne sera épargné par les CRS. Durant ces entretiens, un jeune vient nous informer que des grenades lacrymogènes sont tirées vers des maquis autour de la périphérie d’Aokas provoquant un début d’incendie. Les quelques habitations se trouvant aux alentours sont menacées. Il est 22 heures et les témoignages continuent.

Un jeune revendeur de tabac, blessé lors des affrontements, un bandage couvrant une oreille déchiquetée nous confie : «Lors des affrontements, j’ai reçu à bout portant une grenade qui m’a blessé sérieusement à l’oreille, je suis sûr que le tir m’était destiné, car l’un des CRS avait déjà eu une altercation avec moi avant les émeutes.»

Des femmes témoignent

Des femmes ont tenu aussi à témoigner de la cruauté des forces anti-émeutes. Mme Moussaoui Fatima, âgée de 51 ans, avait dû être évacuée à l’hôpital. Elle nous raconte, tremblante, les yeux rougis par les gaz lacrymogènes et surtout par la colère : «Nous habitons au dernier étage, comment des grenades ont elles pu atterrir aussi haut, si ce n’était pas intentionnellement ? Mes filles pleuraient quand elles se sont aperçues que j’avais perdu connaissance. Je me suis réveillée à l’hôpital. Où est passée la justice ? Où est la loi ? Le pouvoir est-il au courant de ces dépassements ? Nous avons peur pour nos enfants.»

Sa fille, Nassima, 22 ans, enchaînera, confirmant le récit de sa mère. Courageuse, elle lance un appel et elle y tient : «Monsieur le Président, faites quelque chose, nous sommes victimes d’une hogra. Les CRS nous insultent, nous agressent. Les propos des citoyens sont clairs, ils sont prêts à tout pour défendre leur honneur et combattre l’injustice.» Puis, ce fut au tour d’une voisine, Fadila (40 ans) de relater comment sa fille de 8 mois a été évacuée en urgence à l’hôpital, ces deux autres enfants de 3 et 5 ans sont dans un état second, traumatisés, ils ne peuvent ni manger ni dormir. A 23h20, nous quittons Aokas pour Souk El-Tenine et les affrontements continuaient encore. La route est coupée, nous avons été interceptés par des groupes de jeunes. Il nous conseillent de rebrousser chemin pour des raisons de sécurité. Deux d’entre eux nous racontent ce qui s’est réellement passé dans leur localité, Souk El-Tenine. «Il est inadmissible de fermer les yeux sur les dépassements des forces de répression. Cela a commencé dans la matinée de dimanche, lorsque les éléments combinés agressent verbalement les filles du CEM (insultes et agressions). C’est à partir de là que les moins jeunes s’impliquent pour défendre l’honneur de nos sœurs, nos concitoyennes. Puis, ce sera l’ensemble de la population qui prend à partie les CRS, c’est l’embrasement total. Nous sommes prêts à témoigner devant la justice. Les responsables de ce désordre sont ceux qui étaient censés faire régner l’ordre et défendre le citoyen.» «Y en a marre de ce pouvoir», lancera son ami. Au retour, il est près de minuit, un semblant de calme est revenu à Aokas. La traversée de la ville est très difficile. Troncs d’arbres, ferrailles, poteaux, pierres et autres objets jonchent la chaussée. Le conducteur est obligé de rouler sur les trottoirs. Après avoir quitté Aokas, l’équipe atteint Bakaro, localité située près de Tichy. La RN est investie par des petits groupes de manifestants qui effectuaient le contrôle des véhicules. Des troncs d’arbres, des pneus brûlent et de grosses pierres obligent à emprunter les bas-côtés pour poursuivre la route vers Tichy. Il aura fallu une demi-heure pour traverser Tichy. Une atmosphère lourde et pesante régnait sur le parcours la séparant de Béjaïa. Arrivés au pont de la Soummam, il était 1h45. C’est le mardi et nous apprenons par nos correspondants que les émeutes n’ont pas encore cessé. A Akbou, El-Kseur, Timezrit et ailleurs, les correspondants sur place nous signalent que des dépassements ont été constatés, y compris à Melbou. M. B. et L. H.

 

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