« On a tiré avec des balles explosives »

Le corps médical du CHU de Tizi Ouzou dénonce

« On a tiré avec des balles explosives »

Le Matin, 30 avril 2001

«On a tiré à bout portant sur des manifestants et les forces de
l’ordre ont même utilisé des balles explosives. C’est inadmissible, ce
sont des crimes abominables. » Les infirmiers et les médecins du
centre hospitalo-universitaire Mohamed-Nedir sont visiblement
excédés. Dans la soirée de dimanche dernier, les ambulances et les
transporteurs privés ne cessaient d’évacuer les blessés. Les
blouses blanches n’arrivent pas à admettre le spectacle auquel elles
sont confrontées. « On avait l’habitude de recevoir des militaires
et des terroristes atteints par balle, mais pas de cette ampleur »,
fait remarquer Rachid, un jeune radiologue. Et d’ajouter : « On a
reçu des gens dont le crâne a été défoncé »
Notre interlocuteur étaye ses propos en nous montrant des clichés de
radio qu’il avait pris sur les victimes. « Les balles utilisées pour
réprimer les manifestants sont réelles et non en caoutchouc comme
voulait le faire entendre la rumeur », signale-t-il, avant que son
collègue Hamid ne le relaie pour apporter d’autres précisions : «
Dans tous les cas, on a constaté l’existence de plomb dans les corps
des blessés. » Parmi les certificats et les rapports médicaux
établis, la mention de « victimes balistiques » revenait souvent. Hamid
rapporte que « les médecins ont opéré sur des victimes balistiques »
dont les membres inférieurs ont été complètement déchiquetés,
d’autres touchées au thorax, etc ». « C’est un véritable carnage »,
commentent d’autres infirmiers venus se reposer à la cafétéria de
l’hôpital. Visages exsangues, yeux cernés, ils viennent de procéder à
quatre-vingt-cinq examens de radiologie. « Ce n’est pas farfelu
ce que nous venons de dire. » D’un ton affirmatif, Rachid signale
qu’une liste de personnes évacuées existe au niveau du bureau des
urgences. Devant le nombre ahurissant des victimes, la direction a
été contrainte de doter le service radiologie de deux nouveaux
appareils et d’aménager une nouvelle chambre noire. Impossible de
faire face à la situation avec les capacités existantes. L’aide des
médecins privés, dont plusieurs d’entre eux ont répoondu spontanément
à l’appel des solidarité a été à ce propos sollicitée.
Conscients de la gravité de la situation, les employés du CHU
Mohamed-Nedir ont convenu de rester présents à l’hôpital tant que les
émeutes perdureront. Point de répit devant l’afflux des ambulances
transportant les blessés et les morts des villages et localités
environnants. « On reçoit les victimes des émeutes d’une manière
continue », affirme Rachid. Il indique que le bilan des morts
s’alourdit de plus en plus. « C’est un fait qui nous interpelle tous,
on ne peut déserter les lieux. » L’évolution des événements est,
loin d’être rassurante. Les émeutes sont sanglantes. Même la morgue
n’arrive pas à contenir le nombre de cadavres. « Vas-y voir, il
ne reste plus de place », s’indigne Rachid.
Aux urgences, un monde impressionnant. On y distingue des familles de
victimes, des citoyens, mais surtout des étudiants. Ces
derniers viennent juste de clore les débats de l’assemblée générale
organisée à la cité universitaire de Hasnaoua. A l’issue de cette
réunion, indique Saïd, membre du comité des étudiants en langues
étrangères, les présents ont décidé de maintenir la contestation,
mais aussi de procéder à une campagne de collecte de sang.
N. B.

 

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