L’indispensable leçon de choses de Burgat
Le Soir de Bruxelles, 4 janvier 2008
L’islamisme en face ***
François Burgat
La Découverte, 350 p., 12 euros.
François Burgat récidive. Ou plutôt il persiste et signe. En l’occurrence, il actualise et augmente un livre qu’il avait fait paraître en 1995, L’islamisme en face. Un livre qui peut déranger. Qui veut déranger. Un livre, en tout cas, dont la lecture s’impose à tous ceux qui, intellectuellement ou professionnellement, ont un rapport quelconque avec l’islam politique. François Burgat connaît son sujet. Ce politologue arabisant, actuellement directeur de recherches au CNRS (IREMAM, Aix-en-Provence) a vécu de nombreuses années en Algérie, en Égypte et au Yémen. Sans parler de ses fréquents déplacements en Orient.
Son premier livre, L’islamisme au Maghreb : la voix du Sud, paru en 1988, avait déjà montré les facettes méconnues de l’islamisme, trop souvent caricaturé et diabolisé sans autre forme de procès, parfois même par des « spécialistes ». La réédition actualisée de L’islamisme en face le prouve : les thèses de Burgat passent l’épreuve du temps avec succès. Et notamment celle-ci : contrairement à ce que certains experts ont trop vite annoncé avec fracas, l’islamisme n’est pas mort. De Casablanca à Karachi, en passant par Le Caire, Gaza ou Bagdad, les tenants de l’islamisme peuvent plus que jamais mobiliser les hommes et aussi d’ailleurs les femmes.
Encore faut-il admettre que l’islamisme n’est pas une position politique monolithique, qu’il cache au contraire des postures fort contrastées. En étudiant les ressorts de l’islamisme et de son succès, Burgat dénonce le prétendu « choc des civilisations » mais aussi la criminalisation de l’islam politique par des régimes dictatoriaux eux-mêmes aux abois, en mal de légitimité populaire et, souvent, soutenus à bout de bras par l’Occident.
D’aucuns diront que Burgat fait preuve d’une grande complaisance envers son sujet d’étude. Sa propension à parfois citer l’Iran des mollahs comme contre-exemple à méditer pourrait en effet le laisser penser. Mais l’auteur n’élude pas les dérives sectaires extrémistes, qu’il cherche à resituer dans leur contexte.
En vérité, cet iconoclaste fait œuvre de salubrité publique en expliquant des vérités qui ne sont pas toujours agréables à entendre. Et en restituant l’islamisme dans sa complexité. Est-ce pour cela qu’il ne bénéficie pas des faveurs des grands médias parisiens ? Pourtant, on osera le prétendre : la lecture de Burgat est indispensable à la compréhension du monde arabo-musulman.
BAUDOUIN LOOS