Bouteflika tente de bâillonner la révolte

Bouteflika tente de bâillonner la révolte

Le président algérien a décidé lundi de suspendre l’organisation des marches de protestation contre le pouvoir. En outre, les «auteurs d’offenses» seront punis de prison. Une réponse hasardeuse à la généralisation des manifestations antigouvernementales qui dépassent à présent les frontière de la Kabylie berbérophone.

Thierry Oberlé, Le Figaro, 20 juin 2001

Alors que les émeutes continuent à endeuiller l’Algérie, le président Abdelaziz Bouteflika tente de neutraliser la révolte par décret. Le gouvernement a décidé lundi de suspendre «jusqu’à nouvel ordre» l’organisation de marches à Alger. Au cours d’une intervention lénifiante à la télévision, le premier ministre, Ali Benflis, a justifié cette mesure par le souci de «faire face aux graves dérapages constatés ces derniers jours».
Sommés d’interrompre leur activité favorite, qui dure depuis deux mois, les contestataires sont également priés de se taire. Le Conseil de la nation a adopté un amendement du Code pénal aggravant les sanctions pour écrits, dessins et propos jugés diffamatoires envers le chef de l’État, l’armée et les institutions publiques. Les auteurs d’offense risquent désormais un an de prison ferme. Le quotidien Le Matin a répliqué en publiant la caricature d’un général algérien déguisé en kangourou et portant dans sa poche un Bouteflika miniature. La légende indiquait: «La révolte est partout. Où est Bouteflika?» Abdelaziz Bouteflika, dont les voyages incessants sont raillés par l’opinion publique, est en fait dans le Sud algérien. Il poursuit dans ces contrées lointaines et traditionnellement calmes un périple de tout repos.

Abdelaziz Bouteflika entend-il démontrer qu’il s’éloigne du pouvoir, ou plus simplement qu’il est éloigné des préoccupations de la rue? Lui seul le sait. Depuis le début de la crise, les événements lui échappent. Le président s’est contenté de dénoncer un complot de l’extérieur. Il visait, sans le nommer, l’opposant Hocine Aït Ahmed, qui dirige depuis Lausanne le Front des forces socialistes (FFS), l’un des principaux partis à dominante kabyle. Ce dernier a répliqué en demandant hier l’envoi d’une commission d’enquête internationale.

Les rumeurs qui circulaient il y a quelques semaines sur une probable démission du président algérien ont provisoirement perdu de leur consistance. Les cercles de décideurs militaires, déçus par les deux premières années de gestion de celui qu’ils ont porté au pouvoir, auraient été tentés d’exploiter à ses débuts la vague de mécontentement en Kabylie. Mais le glissement vers une insurrection larvée qui déborde vers les régions de l’Est les incite à la prudence. L’anarchie et le chaos se sont installés. Rarement la rupture entre une jeunesse livrée à elle-même et les représentants de l’Etat aura été aussi marquée. Dans ce contexte, les dirigeants politico-militaires serrent les coudes. Si Abdelaziz Bouteflika doit partir, en annonçant par exemple un raccourcissement de son quinquennat, ce ne sera qu’au bout d’un lent processus délétère.

En attendant, le régime semble jouer la carte dangereuse du pourrissement. Lundi après-midi, de nouveaux affrontements ont éclaté en Petite Kabylie. Cinq manifestants et deux gendarmes ont été tués, alors qu’on dénombrait plus de cent blessés. La plupart des routes sont coupées et les communications difficiles. A Bejaïa, la ville est dévastée par des incendies et des pillages.

Plusieurs villes de l’Est sont toujours en proie au désordre. Près de Tébessa, un bastion arabophone du pouvoir, un hôtelier a abattu deux émeutiers qui voulaient attaquer son établissement. La colère des manifestants se tourne contre des petits commerces. La presse privée s’interroge sur de possibles manipulations destinées à réveiller des réflexes sécuritaires parmi la population. C’est le cas, selon le quotidien El-Watan, dans la région d’Annaba. A l’inverse, près de Constantine, les insurgés visent des édifices publics. «Nos élus ont les poches pleines et la tête vide. Ils se sont remplis le ventre durant des années, et s’ils ne sont pas jugés, nous les jugerons nous-mêmes», lancent-ils.

A Paris, Hubert Védrine a déclaré que la France jugeait «profondément légitimes» les manifestations en Algérie, et se tenait «disponible» pour accompagner «ce pays ami» sur la voie des réformes. La France «peut dire qu’elle est très sensible à cette demande, à ce désir, à cet appel qui monte des profondeurs du peuple algérien vers de vrais changements, vers la reprise de cette modernisation politique, démocratique, économique, sociale», a affirmé le ministre des Affaires étrangères lors de la séance des questions d’actualité à l’Assemblée nationale

 

Révolte en Algérie

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